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Dans la gazette d’hier...

mercredi 12 septembre 2012, par rixke

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On imagine difficilement de nos jours comment les gens du siècle dernier considéraient les premiers chemins de fer.

Nous vous livrons ici - tel quel - le témoignage d’un certain H. VAN MOORSEEL, paru dans le « Journal de Charleroi » du 12 octobre 1880. L’auteur tenait ses renseignements de M. Louis VAN MOORSEEL (son père ?) qui fut le premier chef de la station de Bruxelles Allée-Verte, en fait, le premier chef de gare de Belgique.

Ce témoignage piquant n’est pas dénué d’humour.

Lorsqu’on se reporte à l’époque des débuts des chemins de fer, on a de la peine à se figurer ce que l’idée de chemin de fer représentait alors à l’esprit de ceux qui n’en avaient jamais vu.

La jeune génération actuelle est née avec les chemins de fer, les a toujours vus et les trouve tout naturels. Ses parents n’étaient pas de cet avis.

Le nouveau système de locomotion paraissait étrange. La vitesse surtout inspirait à beaucoup de personnes de la crainte et même de l’effroi.

Aussi voyait-on parfois des voyageurs naïfs, montés pour la première fois dans un train, se cramponner à leur banc au moment du départ, s’attendant à sentir la voiture s’élancer comme un boulet de canon, et ils étaient fort surpris de voir le train se mettre en marche fort lentement. Je dis lentement et non pas doucement car, à cette époque, les voitures n’étaient pas encore munies de tendeurs, appareils composés d’une double vis, qui relient les voitures entre elles en les serrant fortement butoir contre butoir. Ce perfectionnement ne fut introduit que plusieurs années plus tard.

A l’origine, les voitures n’étaient réunies que par des chaînes laissant entre elles un certain espace, de sorte qu’au départ, toutes les voitures recevaient successivement un choc dont le plus ou moins de violence dépendait de l’habileté du machiniste à se mettre en marche. Les voyageurs à leur tour éprouvaient un choc qui leur imprimait des oscillations d’autant plus prononcées que les bancs des voitures de 2e et de 3e classes n’avaient pas de dossiers.

... Quant aux voitures, il n’y en avait que de deux classes pendant les premiers temps...

Mais les voitures de 1re classe que l’on appelait berlines, furent retirées des trains peu de jours après l’ouverture de la ligne, personne ne s’en servant.

On ne voyageait qu’en wagons car on n’allait en chemin de fer que par partie de plaisir, pour essayer ce nouveau système de locomotion et, pendant les premières semaines, il y avait toujours foule, au point qu’on devait, à chaque départ, arrêter la distribution des billets lorsque le nombre de places disponibles était atteint. Aussi les spéculateurs achetaient-ils des billets en grand nombre pour les revendre avec prime...

Pendant la semaine, il y avait cinq convois par jour qui allaient de Bruxelles jusque près de Malines, en face du canal de Malines à Louvain, le pont sur ce canal n’ayant été achevé que bien des mois plus tard.

Le dimanche, les trains se succédaient sans interruption. Aussitôt arrivés, ils repartaient et toujours chargés de monde.

Les wagons dont nous venons de parler étaient des espèces de bacs à ciel ouvert, semblables aux wagons dans lesquels se transportent aujourd’hui les marchandises se chargeant à la pelle.

En travers de ces bacs, il y avait des bancs en bois que l’on enjambait pour passer de l’un à l’autre et, chose presque incroyable, on pénétrait dans ces étranges véhicules au moyen d’échelles appliquées contre leurs parois aux stations de départ et d’arrivée.

Ce système était par trop primitif ; au bout de quelques jours, l’échelle fut remplacée par une ouverture pratiquée au milieu des côtés du wagon et les voyageurs s’y introduisaient en mettant le pied sur une tringle de fer placée sous l’ouverture. Comme on glissait souvent sur cette tringle, on la remplaça par une marche en bois, et, peu après, on adapta une petite porte à l’ouverture qui servait d’entrée.

Ces wagons ouverts, exposant les voyageurs au soleil et au vent, à la pluie et à la neige, restèrent en usage pendant environ dix ans. Ils furent remplacés par des voitures divisées en deux compartiments par une cloison et recouvertes d’un toit. Chaque compartiment avait cinq bancs dont un en travers et quatre en long.

Sur les côtés, la voiture restait ouverte au vent et surtout au froid. On la fermait d’abord au moyen de rideaux, puis avec des plaques de tôle. Précédemment, il y avait trop d’air. Le nouveau système présentait l’inconvénient contraire.

Enfin, on adopta le modèle en usage aujourd’hui, des compartiments à deux bancs, contenant dix voyageurs et ayant une porte de chaque côté, ce qui facilite considérablement l’embarquement et le débarquement.

La ligne ne tarda pas à être ouverte jusqu’à Anvers ; on établit alors trois classes de voitures. La voiture de 3e classe ou « wagon » que nous venons de décrire ; celle de 2e classe, que l’on appelait « char-à-bancs » et celle de 1re classe, que l’on nommait « diligence ».

Les chars-à-bancs rappelaient un peu, à l’origine, les wagons, seulement, ils étaient couverts et fermés, et les banquettes, très légèrement rembourrées, étaient recouvertes d’une étoffe de crin. Ces banquettes, placées en travers, prenaient toute la largeur de la voiture et n’avaient pas de dossier.

Il n’y avait toujours qu’une porte de chaque côté de la voiture et il fallait enjamber les banquettes pour arriver au bout du wagon...

Pendant bien des années, les gardes-convoi n’avaient pour circuler d’une voiture à l’autre qu’une tringle de fer placée sous le bord inférieur des voitures. Sur cette tringle, ils devaient faire glisser les pieds en se tenant par les mains à une seconde tringle placée au haut de la voiture, le long de l’impériale...

Nous rappellerons encore que les billets délivrés pendant les premiers temps aux voyageurs avaient été imités de ceux qui étaient en usage dans les services de messageries et diligences.

Ils étaient coupés d’un livre à souches, d’où leur vint le nom de « coupons », nom que bien des personnes appliquent encore improprement aux tickets dont on se sert aujourd’hui.

Ces coupons, imprimés sur papier épais, n’étaient commodes ni pour les employés distributeurs, ni pour le public, entre les mains de qui ils se détérioraient rapidement, ni pour les gardes dont le contrôle consistait à en déchirer et à en conserver le talon.

Toutefois, les billets employés pendant les premiers temps sur le chemin de fer du Nord en France, étaient bien plus incommodes encore. C’étaient de longues bandes de papier portant, l’un après l’autre, le nom de toutes les stations d’une ligne. A la distribution, l’employé coupait la bande au-delà du nom de la station de destination du voyageur, à qui ce papier devait servir de billet, tandis que le surplus restait comme souche. Le voyageur avait un billet dont la longueur était en proportion directe avec la distance à parcourir.

Les petits cartons en usage aujourd’hui, nommés « billets Edmondson », du nom de l’inventeur, ont été introduits pour la première fois en Belgique et peut-être sur le continent, en 1847, sur le chemin de fer de Bruges à Courtrai.

Comme dernière observation, nous citerons un fait qui étonnera bien des hommes du métier :

Pendant de longues années, les chemins de fer, dont beaucoup se trouvaient à simple voie, étaient exploités sans le secours du télégraphe, et il n’arrivait pas plus d’accidents ni plus de retards qu’aujourd’hui. Il est vrai que le trafic était beaucoup moins important.


Source : Le Rail, mars 1972