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Railtour

mercredi 31 octobre 2012, par rixke

Un grossiste en voyages !

Dans le « RAIL » n° 190 de juin 1972, consacré au « Trafic international voyageurs » nous avions laissé entendre que nous avions l’intention d’étendre plus tard le débat en donnant la parole à un responsable de « RAILTOUR ». C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à M. CORNET, administrateur délégué de « Railtour », de nous préciser quelque peu le rôle de cette Société.

Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est la Société RAILTOUR ?

RAILTOUR veut dire en fait : « Société anonyme belge du tourisme par rail ». Ceci donne déjà une idée assez précise de son rôle. RAILTOUR consacre l’essentiel de son activité à la promotion, l’organisation et la vente, par l’intermédiaire de toutes les agences de voyages, des forfaits touristiques par rail. Il ne s’agit pas de faire un tour d’Europe en train mais de transporter des vacanciers par le train vers une station de séjour ou bien d’intégrer le transport par rail dans une formule train + autocar.

RAILTOUR est essentiellement un grossiste.

Pourriez-vous concrétiser ce qu’est vraiment un grossiste dans le domaine des voyages ?

Un grossiste en voyages a une fonction similaire à celle d’un grossiste dans l’organisation du commerce en général. Nous achetons les places-trains, les places-hôtels, etc. et nous en faisons un tout organisé. En fait, nous fabriquons un produit que nous vendons aux voyageurs par l’intermédiaire des agences de voyages traditionnelles, moyennant une commission ou un prix que nous avons fixé nous-mêmes, en tenant compte de toutes les facettes du problème pour le calcul des prix.

Pour revenir à la Société RAILTOUR, pourriez-vous nous en faire l’historique ? Quand exactement la Société a-t-elle été fondée ? Quels en sont les statuts ? Quelles sont les circonstances qui ont provoqué la constitution d’une telle Société ?

Prenant forme en 1957, la Société RAILTOUR a été fondée par quatre agences de voyages. Sa création se justifie du fait qu’à la fin des années 50, il s’avérait évident que les initiatives individuelles étaient à court terme vouées à l’échec. En 1960, RAILTOUR comptait déjà 14 actionnaires. Actuellement le nombre d’agences de voyages représentées dans son sein, disons carrément « actionnaires », s’élève à 19. La SNCB est devenue également actionnaire dès 1970. Les statuts de la Société sont les statuts normaux d’une société anonyme, bien qu’elle ait toujours fonctionné comme une société coopérative ; la représentation au capital est équivalente pour tous les actionnaires.

Vous avez brossé un tableau sommaire des objectifs de votre Société. Nous souhaiterions néanmoins qu’en quelques phrases vous soyez plus explicite quant aux grands objectifs que se propose votre Société.

Ceux-ci consistent à mettre sur le marché des produits qui, par la masse, tant dans le transport que dans l’hébergement et d’autres prestations, font que ces derniers sont plus attractifs pour le client, qui n’a plus à s’occuper d’acheter son billet de train, de demander ses réservations d’hôtel, etc.

Nous passons des contrats avec les chemins de fer, des hôtels et des restaurateurs, et pour toutes les autres prestations prévues. De cette façon, l’agence qui est rémunérée au moyen d’une commission, peut vendre un forfait « tout compris » sans aucun souci d’organisation pour le voyageur.

Comment vos programmes de voyage sont-ils conçus ? De quelle manière parvenez-vous à les mettre sur pied et à choisir certaines destinations ?

Le tourisme ne date pas d’hier. Depuis 1960, on connaissait les grands courants en matière de tourisme. Il est certain que tout le monde recherche une plage ensoleillée ou bien une station de montagne si une cure d’air vivifiant est souhaitable. C’est en fonction de cette demande que nous avons mis sur pied une série de voyages-forfait pour lesquels la durée de transport reste dans des limites raisonnables, et en prenant soin d’offrir une gamme d’hôtels qui couvre un éventail de prix le plus large possible.

Voudriez-vous expliquer - c’est important - les différences qui existent entre le service du rail traditionnel et l’offre de RAILTOUR ?

Un voyage normal à long parcours en train comporte des notions d’anti-service. Il fallait changer de cap et c’est la raison pour laquelle à mon arrivée à Railtour, il y a 4 ans, nous avons pris la décision d’offrir à la clientèle une prestation complète, le vrai « tout compris ».

Grosso modo, la philosophie en est celle-ci : à l’heure du repas, on se restaure, qu’il y ait ou pas de voiture-restaurant dans le train. Dans cette optique nous prenons des mesures pour que la clientèle reçoive toujours, quelles que soient les circonstances, à boire et à manger. Les repas comportent viande, légumes, pommes de terre, fromage, beurre, dessert, boisson. Ils sont servis sur des tables qui, grâce à la SNCB, ont été aménagées dans tous les compartiments. Nous parvenons, avec des convois de 800 personnes, à assurer la distribution en 2 h 30.

Les trains sont accompagnés par des hôtesses et par ce que l’on appelle des accompagnateurs. De plus, grâce à la collaboration de la SNCB, nous avons été en mesure de sonoriser les voitures-couchettes, ce qui nous permet de diffuser jusqu’à 6 programmes musicaux différents qui procurent une détente incontestable et créent une ambiance de vacances tout au long du parcours.

Nous mettons des jeux de société à la disposition du voyageur pendant le voyage (dominos, échecs, dames, 421, combat naval, etc.) Nous réservons une attention particulière aux enfants : nous leur remettons des livres à colorier. Dans certains trains, un bar-dancing crée encore plus d’ambiance.

Le forfait comprend aussi le transport des bagages à l’étranger de la gare à l’hôtel ou pension de séjour et dans les principales gares étrangères (Milan, Munich, etc.). Nous ne le faisons pas en Belgique parce que la clientèle arrive de façon trop dispersée. A la station touristique, des hôtesses veillent à commander les autocars ou les trains en vue du transfert de la gare à l’hôtel.

Grâce à notre intervention, les voitures-couchettes ont été équipées de porte-skis ; des tapis ont été posés dans les couloirs pour assourdir les bruits de passages durant la nuit, ainsi que dans les compartiments.

En outre, une attention toute particulière a été accordée à la qualité des installations sanitaires. Lorsqu’il y a 1 200 km à parcourir et que l’on reste 18 heures dans le train, il y a incontestablement des problèmes qui se posent. C’est pour cela que dans notre train spécial, avec une moyenne d’environ 400 voyageurs, voire même des pointes de 800 voyageurs, nous avons mis en place une femme de charge qui accompagne le train de bout en bout et qui veille à la propreté des couloirs, compartiments, toilettes, etc. Depuis l’été dernier, notamment vers l’Italie, nous assumons un complément de service, en offrant, dès 10 h du matin, des fruits frais.

Quel est en fait l’accueil réservé à la formule par le voyageur qui se trouve confronté avec tous ces changements ?

Il s’agit d’un point que je qualifierai d’extrêmement important. Depuis 4 ans, notre trafic a doublé car la formule plaît au voyageur et les efforts déjà consentis portent leurs fruits mais rien n’est plus grave que la perte d’un client parce que, si on le perd, on en perd vite dix.

Afin de connaître comment les clients apprécient les efforts qui ont été faits et également de mettre à jour les lacunes qui subsistent, nous avions introduit un bulletin référendum. Récemment, ces bulletins ont été remplacés par des cartes perforées, remises par groupes de clients. Nous avons déjà pu ainsi analyser notre « produit » de Noël.

Venons-en à la concurrence. Il est évident que le rail traditionnel se trouve confronté avec la concurrence de la voiture privée, de l’avion et de l’autocar, dans une moindre mesure. Vous devez aussi rencontrer cette concurrence sur votre chemin ?

Oui, elle est présente.

Les cheminots estiment que la concurrence de l’autocar peut être négligée. Je pense que du point de vue touristique, il joue encore un rôle très important. En 1972, il a même progressé parce que le prix du transport par route est plus stable que le prix du transport par rail. Chacun des réseaux ferroviaires qui participent à un certain transport, réagit en appliquant des tarifs nationaux. Dès lors, on se trouve devant une juxtaposition de tarifs et il n’est plus possible d’arriver dans la même plage de prix que les autres moyens de transports. L’autocar, avec un prix de revient extrêmement bas et une stabilité tarifaire, provoque à un moment donné une perte énorme de la clientèle. Donc, l’autocar constitue un concurrent important pour les moyennes distances, même pour de simples séjours.

En ce qui concerne l’avion, j’ai l’impression que ce n’est pas sur vos relations que vous êtes le plus concurrencé mais que l’avion, offrant des destinations plus dans le vent, crée quand même une certaine concurrence ?

Le transport aérien nous concurrence considérablement sur toutes les destinations « soleil », même sur les destinations que nous considérons encore comme absolument valables pour le rail. L’avion nous concurrence sur toute la Riviera italienne et encore bien plus sur la Costa Brava. Mais ce qui est en effet plus curieux de constater, c’est que pour un prix intéressant, on peut, grâce à l’avion (et à une pratique particulière des prix), faire séjourner des touristes dans des régions plus attractives comme l’Afrique du Nord.

Le prix moyen d’un séjour en train pour deux semaines sur la côte italienne, par exemple, est à peu près équivalent à celui que l’on doit payer pour aller au Maroc ou en Tunisie, voire même en Grèce et à la limite du Moyen-Orient.

Et la voiture privée ?

La voiture privée reste le plus grand concurrent, puisque 70% des Belges l’utilisent pour partir en vacances. Il y a incontestablement une partie qui nous échappera toujours du fait que l’on voit mal quelqu’un faire un tour gastronomique en France et utiliser le train. Cependant, la voiture perd de son aspect concurrentiel pour des personnes plus âgées et pour des régions où, en dehors du trajet aller et retour, elle devient inutile.

En tout cas, nous dirigeons nos efforts vers cet immense réservoir que constituent les tenants de l’automobile.

Mais l’automobiliste, il ne faut pas le décevoir par un confort discutable et par des prestations d’horaires qui amoindrissent la qualité du train.

Vis-à-vis de cette concurrence, quel peut être le rôle du chemin de fer sur le plan touristique dans un avenir assez proche ?

Des mesures immédiates s’imposent, il ne faut pas vivre en l’an 2000. Ce sont les années 1973 et 1974 qui sont importantes. Il faut absolument que la priorité de circulation soit accordée aux trains spéciaux et cela sur l’ensemble du parcours. Nous avons les moyens de concurrencer l’auto si nous offrons un produit acceptable pour un prix raisonnable.

On doit accorder la priorité absolue au confort. On ne peut pas fonder l’avenir du rail sur la voiture-lits. La nouvelle voiture T2 a déjà apporté une solution raisonnable mais nous croyons que ce sont surtout la voiture-couchettes 2e classe et la voiture places assises 2e classe à 6 places par compartiment qui permettraient une évolution favorable. Il faudrait aussi que ces voitures soient dotées d’un conditionnement d’air même simplifié.

Dans tout cela, l’avenir de votre Société ?

Le développement de l’entreprise est conditionné par la qualité du transport et son adaptation psychologique. Il faut se dire qu’après une nuit en chemin de fer, chaque minute dépassant le point pivot situé entre 9 h et 10 h du matin devient insupportable. C’est pour cela qu’il faut revoir les horaires et organiser des départs en fin d’après-midi parce que les heures qui s’écoulent le jour du départ passent très vite. Après la nuit, une fois que le petit déjeuner est pris, il faut absolument arriver à destination au plus tôt. Et c’est possible ; évidemment il y a sur chaque réseau des contingences qui ne tiennent pas compte des desiderata d’une politique touristique adéquate. Je vous dirai qu’il n’y a aucun reproche à faire vis-à-vis de la SNCB. En effet, au niveau de la qualité et du respect des horaires, il n’y a absolument rien à dire sur notre réseau. Quant à l’adaptation psychologique, je crois que c’est un fait nouveau. On a souvent produit sans savoir ce que l’on produisait et si cela convenait. L’important, c’est désormais de savoir ce que le client veut, où il veut aller, quels services il désire.

Grâce à cette adaptation psychologique, nous partons maintenant de Bruxelles à 17 h 05 et nous arrivons à Rimini à 10 h 45. De même, au retour par exemple, le voyageur quitte sa chambre à midi et après le déjeuner, il ne sait plus que faire. Il faut donc partir le plus tôt possible et arriver en Belgique le lendemain bien avant midi. Si, sur le plan ferroviaire, on parvient à améliorer l’aspect confort ainsi que l’aspect qualité et régularité des horaires, nous avons un avenir que je crois valable.

Pourriez-vous nous parler en détail des programmes pour l’année 1973 ?

Je serai bref. Pour l’été nous avons toujours deux grands pôles d’attraction : l’Italie et la Costa Brava. Nous allons aussi en Suisse, soit au bord des lacs, soit en montagne. Nous nous rendons également vers le Tyrol et vers la Bavière.

Ce qui est important en 1973, ce sont les améliorations apportées à la qualité du produit par une meilleure adaptation des horaires et l’extension des voitures directes. RAILTOUR détient au départ de la Belgique les seules voitures directes à destination du Tyrol, de la Carinthie et du Valais, de Venise et de la Riviera italienne sans parler des voyages à destination de Rimini qui, hiver comme été, se font tous en voitures directes.

Voyez-vous, dans l’immédiat, des nouvelles formes de collaboration entre la SNCB et RAILTOUR ?

Je crois que, à l’avenir, Railtour continuera de jouer un rôle stimulant des plus favorable. Je m’explique. D’une part, nous avons la SNCB qui, en tant que Société de transport, rend celui-ci matériellement possible. D’autre part, il y a Railtour qui, par son contact immédiat avec la clientèle, connaît à la fois ce dont elle a besoin et ce qu’elle attend. Grâce à ces rapports directs, l’offre que propose le chemin de fer peut être adaptée à ces besoins, ce qui ne peut qu’amener une amélioration constante de la qualité des services offerts. En plus, Railtour assure tous les services complémentaires qui se situent avant et après le transport proprement dit (accueil, accompagnement, restauration, etc.). Il n’est d’ailleurs pas exclu que Railtour étende le bénéfice de ces services complémentaires à certaines catégories de la clientèle ferroviaire sans les astreindre nécessairement à souscrire un forfait RAILTOUR.

Quels sont les rapports qui lient RAILTOUR au cheminot en service ou pensionné ?

D’une part, j’espère que ces explications contribueront à mieux faire connaître aux cheminots la philosophie de RAILTOUR, qui diffère assez bien de la philosophie ferroviaire traditionnelle. Je présume également qu’ils seront convaincus de la nécessité de modifier sa politique afin de préserver l’avenir du rail. D’autre part, le cheminot se posera bien sûr la question de quels avantages peut-on bénéficier dans l’organisation RAILTOUR ?

Il faut partir du fait que Railtour travaille avec des voitures ou trains affrétés. Cela constitue une formule de haute rentabilité pour les sociétés ferroviaires qui donnent ainsi en location une voiture ou un train entier moyennant un prix forfaitaire déterminé, sans avoir pour le reste à s’occuper de la location des places. C’est donc le grossiste qui supporte le risque de « places vides ». Pour Railtour, cela signifie qu’une ou deux places inoccupées ou gratuites peuvent provoquer des « chiffres rouges » dans le bilan commercial.

Chaque place ayant une valeur réelle, en tant que responsable de Railtour, je ne puis dès lors effectuer une gestion saine en mettant à la disposition de la clientèle un certain nombre de places gratuites. Ce qui n’empêche évidemment pas un cheminot, bien qu’il n’ait pas pris place dans une voiture affrétée par Railtour, d’effectuer par exemple le voyage dans une autre voiture du même train et, une fois arrivé à destination, de profiter de tous les avantages des services Railtour. Dans ce cas, le cheminot combine les avantages des billets gratuits qui lui sont accordés par la SNCB avec les avantages de la formule Railtour.

Ces restrictions ne sont applicables qu’en été. Etant donné qu’en période hivernale, il ne s’agit plus de voitures ou de trains affrétés, les frais de transport, pour les cheminots, peuvent être défalqués du prix forfaitaire du voyage. Il en est de même en été pour tous les voyages à destination de la Suisse.

Je résume : - pour l’été : au point de vue concessions, les voitures affrétées ne sont pas accessibles aux agents munis de billets de service, hormis toutefois pour la Suisse.

  • pour l’hiver, il ne s’agit pas de trains ou voitures affrétés, ce qui revient à dire qu’une réduction des prix de forfait peut être appliquée.

Nous espérons que ce court entretien aura aidé le lecteur à comprendre que « Railtour » constitue un atout important pour le chemin de fer dans le domaine des transports internationaux, face à des concurrents aussi redoutables que l’avion et la voiture.


Source : Le Rail, juin 1973