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Feu le tunnel de Godarville

ir. M. Castin.

mercredi 12 décembre 2012, par rixke

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 un peu d’histoire

Lors de l’établissement de la ligne Braine-le-comte - Manage - Luttre -Namur, vers 1843, la crête de partage des eaux entre les bassins de l’Escaut et de la Meuse fut traversée, à Godarville, par un tunnel long de 559 mètres.

Il était prévu d’y faire passer deux voies par deux pertuis distincts à construire côte à côte ; les têtes du tunnel comportaient d’ailleurs chacune deux ouvertures semblant annoncer la présence de deux pertuis juxtaposés.

Mais, pour des raisons qui n’ont jamais été clairement établies (financières ou techniques), un seul pertuis fut construit formant ainsi un goulot à voie unique sur cette importante ligne à double voie.

Dès l’origine, l’exploitation de ce tronçon à voie unique provoqua bien des difficultés. Les anciens se souviennent qu’en plus de l’échange des communications de sécurité (par numéros horaires) entre les deux blocs de signalisation établis de part et d’autre du tunnel et les gares d’about de ce tronçon, un pilotage avait été instauré pour la traversée du tunnel : chaque convoi s’arrêtait pour prendre le pilote à l’entrée, puis pour le déposer à la sortie du tunnel. Que de gymnastique !

D’autant plus que pour économiser la précieuse vapeur et faire gagner quelques secondes au convoi, le pilote, profitant d’un simple ralentissement, sautait souvent du train en marche.

En 1933, ce pilotage des convois était toujours en vigueur, alors que plusieurs projets avaient déjà vu le jour pour la mise à double voie du tunnel, réputé à l’époque comme un des plus vieux du réseau belge et même européen.

Par la suite, les conditions d’exploitation et de signalisation furent améliorées, mais l’importance de la ligne et la densité du trafic crûrent en même temps : ces dernières années, 156 trains par jour en moyenne franchissaient ce goulot à voie unique. La mise à double voie de ce tronçon s’imposait donc, d’autant plus que l’électrification de la ligne était décidée.

 à double voie

Plusieurs solutions pouvaient être envisagées.

  1. Maintenir le tunnel existant pour une voie et construire un deuxième tunnel voisin pour l’autre voie ; comme nous l’avons dit plus haut, cette solution était déjà contenue dans le projet des constructeurs ;
  2. Remplacer le tunnel ancien par un tunnel nouveau à deux voies, soit à l’emplacement de l’ancien, soit en le déportant légèrement ; c’est la solution qui fut adoptée à Huy en vue de l’électrification de la ligne 125 entre Namur et Liège ;
  3. Ouvrir une tranchée permettant la mise à ciel ouvert des deux voies en question.

Compte tenu de la vétusté du tunnel (depuis longtemps centenaire), de la nature des terrains traversés, de l’épaisseur relativement faible de la couche recouvrant le tunnel (environ 20 m) et attendu que les terrains de surface étaient disponibles (guère de constructions, pas de routes importantes), c’est la solution « tranchée ouverte » qui fut adoptée.

 la tranchée

La crête traversée par notre tunnel avait déjà été franchie, à différents niveaux, par d’autres travaux d’art et de génie civil, principalement par les deux tunnels successifs du canal de Bruxelles à Charleroi, qui ont été remplacés par la grande tranchée actuelle, situés à moins de 2 km de notre ouvrage.

Les techniciens du génie civil savaient que les terrains qui la composent se laissent difficilement modeler par les hommes : les argiles fluides et les sables « boulants » ne sont pas rares en ces terrains vraiment gorgés d’eau, bien que situés juste au sommet séparant les bassins de l’Escaut et de la Meuse. Le projet était de taille :

  • réaliser dans ce terrain « douteux » l’imposant terrassement de près d’un million de mètres cubes : l’équivalent de 1 360 trains tirant chacun 50 wagons de 25 tonnes ! ;
  • démolir le tunnel : environ 7 000 mètres cubes de maçonnerie et de béton armé, soit plus de 500 wagons de 25 tonnes ! ;
  • établir sur cet emplacement la nouvelle plate-forme et les 2 voies ;
  • organiser et réaliser ces travaux en assurant à tout moment l’écoulement du trafic dans les meilleures conditions de sécurité.

Pour mener à bien ce programme ambitieux, il a été capital d’assurer préalablement :

  1. une étude très détaillée du sol et de la stabilité des talus, réalisée en collaboration avec l’Institut géotechnique de l’Etat, sur la base d’échantillons de terrain prélevés à grande profondeur au cours de forages réalisés jusqu’à 40 mètres sous le niveau du sol ;
  2. le choix judicieux du niveau des voies futures, de façon à permettre l’exécution des terrassements sans nuire à la stabilité du tunnel qui devait rester en service et qui aurait pu s’effondrer si on l’avait déshabillé jusqu’à la base ;
  3. la mise au point d’un drainage efficace de la tranchée, de façon à assurer en permanence le captage des eaux souterraines et l’écoulement des eaux de surface, sans déstabiliser les talus et les terrains voisins dont l’équilibre était précaire ;
  4. la décomposition du travail en phases successives, étudiées en détail et organisées en tenant compte de tous les impératifs.

Nous ne pouvons pas entrer ici dans le détail de toutes ces études, des difficultés rencontrées et des solutions intervenues. Voyons seulement quelques traits caractéristiques de la tranchée, telle qu’elle a été établie.

 le niveau des voies nouvelles

Pendant la réalisation des travaux, lorsqu’un train abordait le chantier ou sortait du tunnel, le voyageur a pu être surpris de voir s’ébaucher la plate-forme des voies nouvelles à un niveau différent de la voie ancienne. Pour la raison évoquée plus haut, afin de pouvoir maintenir le tunnel en service pendant l’exécution des terrassements, les piédroits du tunnel devaient rester épaulés pour soutenir efficacement la voûte. La plate-forme nouvelle a été ainsi surélevée d’environ 3 mètres par rapport à la voie ancienne, au droit du tunnel.

Mais, il fallait pour cela réaliser un relèvement progressif de l’assiette de part et d’autre du tunnel aussi bien pour la voie nouvelle que pour la voie ancienne ; cette particularité a nécessité d’étendre le chantier sur une longueur totale de près de 2 km.

 le drainage

Récolter les eaux de surface : pluies, neiges,... mais aussi recueillir les eaux souterraines et les guider pour permettre leur évacuation sans dégrader les talus, tels sont les buts du drainage qui fut mis en œuvre et qui présente les particularités suivantes :

  1. des bermes horizontales espacées de 20 mètres divisent les versants de la tranchée en talus partiels dont la hauteur varie de 5 à 8 m ; cette mise en escaliers évite le ravinement des talus tout en facilitant leur accès pour les entretiens ultérieurs ;
  2. la partie de la tranchée située sous la nappe phréatique (niveau de l’eau dans les terrains voisins) est recouverte d’un « tapis drainant » constitué de sables calibrés et de pierrailles dont la granulométrie est réglée pour laisser filtrer l’eau du terrain vers l’extérieur en empêchant que les fines particules d’argile soient entraînées, ce qui provoquerait des affouillements intérieurs et des éboulements ;
  3. pour permettre aux eaux souterraines prisonnières de s’échapper sans dégrader les talus, on a établi aussi des « épi-drains » : saignées transversales dans le talus, sur plusieurs mètres de hauteur, parfois remplies en couches verticales successives de matériaux drainants calibrés analogues à ceux du « tapis drainant ».
    Ces épi-drains ont été installés aux endroits où des sources auraient pu se former dans les talus ;
  4. enfin, toutes les eaux ainsi recueillies sont rassemblées avec les eaux de surface (pluies.) dans des goulettes qui sillonnent les talus et sont évacuées par des collecteurs qui en cadrent la plate-forme des voies en la drainant.

 la réalisation

L’impératif de maintenir en permanence le trafic, dans le tunnel ou dans la tranchée nouvelle, a imposé une exécution par phases successives. En voici les grandes étapes :

  1. établissement de la tranchée et mise en place d’une voie nouvelle « à l’extérieur » du tunnel, en position provisoire : la présence du tunnel empêchait, en effet, de poser cette voie à son emplacement définitif ;
  2. démolition du tunnel tandis que les trains utilisent la voie posée en a) ; puis réalisation de la plate-forme et pose de la voie vers Charleroi dans sa position définitive, tout en maintenant son ancien tracé qui passait dans le tunnel ;
  3. démontage de la voie posée provisoirement en a) et mise en situation définitive de cette deuxième voie qui devient la voie vers Manage.

Simultanément, dès la pose de la voie provisoire, la signalisation de l’ensemble du tronçon intéressé a été entièrement remaniée en vue d’une exploitation toujours plus rationnelle et plus sûre.

La coordination de l’ensemble de ces travaux a ainsi permis d’améliorer considérablement la situation, à tous les points de vue : les cheminots s’en félicitent.


Source : Le Rail, septembre 1974