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Les ambulants postaux

Paul Pastiels.

mercredi 19 décembre 2012, par rixke

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Témoin, en quelque sorte « oculaire », de la « Belle Epoque », la carte postale illustrée constitue un moyen d’investigation exceptionnel pour étudier l’histoire des chemins de fer. Grâce à sa complicité, le monde ferroviaire livre ses secrets et favorise par là même nos appétits d’évasion.

Il ne faut pas négliger pour autant la valeur sociale, voire poétique, du message graphique que les documents proposent au verso de l’illustration. « La carte postale illustrée est couramment un bristol aux dimensions normalisées, d’édition privée ou d’émission officielle, dont la conception et la distribution, généralement en choix, sont destinées à favoriser l’expression d’abord graphique d’une communication à découvert, et dont la circulation générale est organisée par une administration postale. »

Cette définition laborieuse a le mérite d’éclairer d’une lueur nouvelle le visage de la carte postale illustrée : elle est plus qu’une simple image convoitée par les collectionneurs, elle constitue la marque émouvante d’un rite social devenu planétaire. La « Belle Epoque » ne soupçonnait guère les trépidations de l’ère de l’ « informatique ».

A l’ombre vacillante de la lampe à pétrole, on prenait encore le temps de lire, d’écrire, de calligraphier. Désormais, les moyens modernes de diffusion - la télégraphie avec ou sans fil, la télévision, la téléphonie, les magazines, les journaux, la publicité - rendent chaque jour moins indispensables les échanges épistolaires...

 Bonheurs tranquilles, épanchements naïfs

Le rail a contribué largement à l’essor de la carte postale. Il a véhiculé tous ces flots de joie, de bonheurs tranquilles, d’épanchements naïfs d’un coin du pays à l’autre, et au-delà de nos frontières.

La coordination des postes, des télégraphes et des chemins de fer s’avère parfaite : les trois administrations relèvent d’un même ministère.

Une bonne et rapide diffusion du courrier est donc assurée. Les gares, les convois des chemins de fer vicinaux font face à la marée quotidienne des correspondances et des journaux ; les voitures postales effectuent déjà le triage en cours de route. Etablis d’abord en Angleterre, les premiers bureaux de poste ambulants débarquent bientôt sur le continent. Dès le 15.9.1840, le premier « ambulant postal » européen circule sur la ligne Bruxelles - Anvers. Le 1.12.1841, on inaugurait l’ambulant « Bruxelles -Tubize », prolongé jusqu’à Mons dès 1842. En 1843 vint le tour du « Mons -Quiévrain » que suivirent de près « Gand - Mouscron » et « Liège -Verviers ». L’arrêté royal du 30.1.1850 instaure définitivement ce nouveau service, en vue d’une extension à toutes les lignes principales de l’Etat présentes et avenir.

Le personnel de la gare de Rhisnes (ligne 161 : Bruxelles - Namur) nous envoie une carte représentant la « station ». L’ « ambulant » Bruxelles - Arlon 2 emporte cette carte postale vers Namur. Malgré le détour, elle arrive à Bruxelles entre 17 et 18 h.

L’organisation de bureaux de tri roulants révolutionna le secteur chargé du traitement rationnel de la correspondance. Voici comment on définissait, à l’époque, le rôle de ces bureaux ambulants : « Ce service a pour résultat de rendre la distribution des lettres plus facile, plus prompte, plus sûre. En effet, il se fait pendant le trajet des dépêches que transportent les chemins de fer, et n’employant qu’un nombre beaucoup plus restreint d’agents éprouvés, il diminue considérablement les chances de soustraction (...) »

Quelque part en France : 1848 ! Nous circulons à bord d’un de ces premiers wagons spéciaux affectés au service du tri postal : « Le corps du wagon est peint en laque carminée rehaussée de minces filets rouges qui détachent légèrement les panneaux de la partie inférieure. La longueur totale du wagon-poste varie de 5,5 m à 7 m, elle est partagée à l’intérieur en deux parties inégales. Le bureau proprement dit occupe les deux tiers ; l’autre tiers, consacré aussi au service, forme l’avant-bureau. Ces deux parties peuvent être séparées par une portière que l’on abaisse ou relève à volonté. Cette disposition a été adoptée afin qu’en hiver, pendant l’échange des dépêches aux stations, on puisse, au moyen de la portière baissée, conserver à la majeure partie du bureau sa chaleur. Le plus souvent cette portière demeure donc relevée. A hauteur d’appui, règne autour du bureau une suite d’armoires garnies de rayons, de coffres et de tiroirs. Le dessus de ces armoires sert de table de travail. Au-dessus, s’élèvent, dressés contre les parois du bureau, les casiers en forme d’étagères. C’est dans ces casiers garnis d’étiquettes, portant le nom des différentes villes, que tous les objets de correspondance viennent successivement se ranger suivant leur destination. Toutes les précautions voulues par la prudence ont été prises : aucun accident n’est à craindre (...) »

 Une activité fébrile

Peu à peu les wagons-poste se dépouillent de toute ornementation superflue ; leur capacité augmente. Bien que les bureaux de tri sédentaires fassent appel aux moyens de transport les plus rapides pour acheminer la correspondance, les ambulants leur résistent pied à pied en s’adaptant aux progrès (des automotrices postales autonomes sillonnent nos grandes artères ferrées depuis le 5.3.1968). De jour, la voiture postale semble abandonnée : elle attend sur quelque voie de garage. Elle subit avec résignation les caprices du climat. Dès le crépuscule, pourtant, elle reprend une activité fébrile : « Une machine de manœuvre l’éveille brutalement pour la piloter vers le quai où l’attend le labeur. Dans la voiture, on allume la première lampe. Les employés arrivent, se saluent rapidement, échangent une brève poignée de mains car le silence du soir bannit les conversations tapageuses et les exclamations bruyantes. Viennent ensuite les gestes rituels : endosser le cache-poussière, allumer les foyers, tendre le câble électrique. Sur le quai arrive la charrette porteuse des premiers sacs.

Sans hâte superflue ni mouvements désordonnés, le travail commence dans la voiture : l’on timbre les feuilles d’avis et les « parts », les sacs vides sont accrochés, les dépêches hissées sur les tables afin d’y être ouvertes d’abord, déversées ensuite. Déjà les casiers de tri accueillent les premières lettres tandis que, par paquets, les journaux disparaissent dans les sacs. Lourdement chargées, les charrettes arrivent à intervalles plus rapprochés et leur cargaison disparaît vite dans le fourgon. Toutes les portes soigneusement verrouillées, la « cage postale » s’éloigne dans les ténèbres. (...) »

 Le relais de la diligence

Si la « Belle Epoque » est l’Age d’Or des chemins de fer (le train prend le relais de la diligence de jadis), elle est aussi celui de la carte postale illustrée. Celle-ci occupe une place de choix dans le courrier transporté, en ce début de siècle, par les ambulants postaux.

Attachons-nous un peu au verso pour déchiffrer sa face cachée, sinon son vrai visage. Les mentions nécessaires à son bon acheminement (adresse) et les timbres sollicitent notre attention qui cependant se fixera plus particulièrement sur les marques postales d’oblitération. Nous distinguons principalement les marques du bureau de départ ou d’arrivée ; mais, celles-ci peuvent avoir été remplacées sur des parcours tels que : Bruxelles -Arlon, Liège - Erquelinnes, Quiévrain - Anvers, Namur - Manage - Bruxelles, Ostende - Verviers, Tournai - Gand,... par les marques de nos ambulants postaux d’alors qui sillonnaient le réseau. Il arrive que le guichet à voyageurs accepte des envois, qui porteront alors la griffe ou le timbre à date de la gare expéditrice.

Les ambulants, très attachés au métier, mènent une vie rude et pénible. Ils forment une communauté bien définie où la notion de hiérarchie s’estompe. Les conditions spéciales de travail et d’existence ont développé chez les « ambulants » un comportement et un état d’esprit particuliers teintés d’indépendance et d’initiative. L’équipe est abandonnée à elle-même dès le départ du train ; elle doit faire face à tous les incidents qui peuvent affecter le parcours, sans attendre des directives précises venues d’en haut. L’apparition des bureaux ambulants de tri postal sur notre réseau ferré a constitué une grande première en ce qui concerne le traitement rationnel de l’information et des messages postaux.

Les « ambulants » ont bien mérité leur surnom de « Seigneurs de la poste ».


Source : Le Rail, novembre 1974