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La traverse de chemin de fer

L. Ruchenne.

mercredi 23 janvier 2013, par rixke

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Dès son origine, le chemin de fer a été posé - au sens littéral du terme - sur des traverses en bois.

Etait-ce parce qu’on ne disposait pas d’autres matériaux à l’époque ? Vraisemblablement ! Il est néanmoins frappant de constater que l’humanité a connu l’âge de la pierre, celui du fer, du béton, mais jamais l’âge du bois...

A dire vrai, c’est tout bonnement peut-être parce que l’âge du bois a débuté avec l’humanité : l’homme et le bois sont inséparables.

Malgré les énormes progrès technologiques de notre siècle, le bois, en ce qui concerne la fabrication des traverses, a gardé son caractère d’exclusivité aux USA et conserve une place très importante en Europe.

Il le doit à sa souplesse, à l’absence de vibrations gênantes, à cette légèreté relative qui le rend extrêmement maniable et à sa résistance aux courants électriques.

 Les essences

La première question qui se pose est de savoir quelles sont les essences de nos forêts qu’on utilise pour la fabrication des traverses. La réponse en est fort simple : le chêne et le hêtre. Le chêne - symbole de force - est effectivement très résistant aux efforts mécaniques. En outre, le noyau central de l’arbre jouit d’une durabilité exceptionnelle, due à la présence d’un tanin qui a la propriété de donner au bois sa coloration brun foncé. Il n’en est pas de même de la couronne extérieure, plus claire, qu’on appelle « aubier » qui perd ses qualités de résistance, attaqué qu’il est par les champignons ; l’aubier peut ainsi pourrir en moins d’un an.

Contrairement à ce qu’on pense généralement, le hêtre ne le cède en rien du point de vue de la résistance aux efforts mécaniques. Le préjugé défavorable dont il est la victime provient du fait que les champignons et les vers l’attaquent plus facilement. C’est donc une essence qui exige des soins tout à fait spéciaux.

Non seulement l’abattage doit s’effectuer avant la montée de la sève, ce qui est de rigueur pour tous les arbres feuillus, mais encore le débardage des coupes de hêtres et le débitage des arbres doivent se faire rapidement, avant les fortes chaleurs.

Regardez un hêtre « oublié » en forêt ! En août, il semble reposer sur un tapis de sciure : c’est la conséquence de l’action d’une multitude de vers qui créent des galeries à l’infini à l’intérieur de l’arbre.

 Le traitement des traverses

Pour assurer une durabilité convenable aux traverses, on a exploité une propriété que possèdent à la fois le hêtre et l’aubier du chêne : tous deux ont des vaisseaux ouverts ; il est donc relativement facile d’y injecter un produit de conservation, aussi peu coûteux que possible et dont l’action est durable, c’est-à-dire qui se maintient dans le bois malgré la pluie et le soleil.

Les phénols - contenus dans la créosote - constituent un excellent produit de conservation et ont de tout temps été utilisés en Belgique ainsi que dans les pays mettant en œuvre des traverses en bois feuillus.

Ce procédé consiste à injecter, à chaud et sous pression, la créosote dans le bois.

Initialement, on utilisait le procédé « Bethel » : toutes les cellules étaient remplies de créosote ; durant les premiers mois, une bonne partie de la créosote en question suintait. Il y avait donc une perte sensible de matière, à laquelle venaient s’ajouter les inconvénients d’une manutention salissante et du ballast souillé.

On s’aperçut ainsi à l’usage que la cellule ne devait pas être remplie de créosote, mais seulement tapissée. C’est de là qu’est né le procédé « Rüping » qui, après l’injection, par une dépression appropriée, récupère la créosote excédentaire.

 La mission du forestier

Tous les chênes et hêtres de nos forêts ne sont bien sûr pas destinés à la fabrication de traverses.

Le forestier, chargé de désigner les chênes à abattre, se promène donc - quel heureux métier ! - dans la forêt avec le souci de dégager les « sujets d’avenir » : les voisins gênants leur seront impitoyablement sacrifiés.

Ce sont en général dans les arbres petits et moyens que l’on débite de la traverse. Quand il est arrivé à maturité, le sujet réservé est, lui aussi, abattu : il sera transformé en planches d’ébénisterie ou, s’il est réellement exempt de défauts, sera tranché en lamelles de moins d’un millimètre d’épaisseur, qui orneront les contreplaqués.

Les admirateurs de la nature ne doivent cependant pas s’émouvoir de ces abattages. Si la phrase révoltée de Stendhal « Abattre un grand arbre ! Quand ce crime sera-t-il puni par le code ? » se justifie peut-être dans nos villes, elle serait inopportune dans nos forêts. Car le forestier, ou plutôt les forestiers successifs (le cycle de croissance du chêne dépasse largement un siècle) ont favorisé la germination des glands et, très tôt, assuré aux arbrisseaux les plus vigoureux, l’espace vital qui leur est nécessaire.

Pour le hêtre, on agit quelque peu différemment, mais les principes sont identiques.

La mission du forestier étant terminée, commence celle du scieur qui consiste à tirer de l’arbre le maximum de planches de première qualité.

Mais 80 à 90 % des arbres sont de qualité industrielle ; il en résulte que l’existence et la survie d’une scierie dépendent de ses possibilités d’écoulement de traverses et autres bois industriels similaires.

 La gamme des produits et les défauts

Pour obtenir un bon rendement, le scieur doit disposer d’une gamme étendue et variée de produits à fabriquer, pour la bonne raison que les arbres dont il dispose, de par la nature même des choses, diffèrent tant par le diamètre que par la conicité, la forme de la section, la rectitude plus ou moins parfaite du tronc, la présence de nœuds sains ou pourris, l’épaisseur plus ou moins grande de l’aubier, l’existence de « gélivures » et de « roulures » et qu’il s’agit, dans tous les cas, de débiter le produit le plus rémunérateur à partir de n’importe quel arbre.

La gélivure, comme son nom l’indique, est une maladie du bois provoquée par les grands froids ; elle consiste en une fente radiale rendue parfaitement visible par le double bourrelet de la plaie dont se cicatrise l’écorce.

Par contre, la roulure - qui est un défaut bien plus grave - n’est pas apparente. Elle affecte particulièrement, pour ne pas dire exclusivement, le chêne. La roulure est un décollement des couches d’accroissement, qui apparaît après l’abattage : c’est la bête noire de l’exploitant forestier. Quelle en est la cause ? Il existe plusieurs hypothèses mais aucune n’est démontrée de façon péremptoire. L’effet de la roulure est de réduire sensiblement la valeur de la partie concernée.

 La tâche du scieur

Le scieur de chêne - l’essence qui l’intéresse le plus - en présence de cette matière hétérogène, débitera dans la partie inférieure de l’arbre, la plus « belle » en principe, des bois d’ébénisterie ou de menuiserie.

Dans les parties dont le diamètre ou la qualité sont insuffisants, il débitera des traverses pour voies principales (26 x 13 cm) ou pour voies accessoires (22 x 11 cm) ; ou, si le diamètre est quand même plus grand, des pièces de bois (30 x 15 cm), qui sont des sortes de longues traverses destinées à porter les aiguillages.

D’autre part, si le chêne a peu d’aubier, il sera débité en fonds de wagons ou autres produits industriels qui ne demandent pas de créosotage.

Parmi les traverses qu’il a fabriquées, le scieur écartera d’office celles qui ne répondent manifestement pas aux exigences de la SNCB.

Les autres sont expédiées au chantier de créosotage de Wondelgem où elles sont triées dès leur arrivée. Celles qui sont acceptées sont empilées en vue du séchage (un an) après qu’on eût muni leurs extrémités d’une « esse » métallique qui a pour but d’éviter ou de réduire les fentes.

Les traverses rebutées sont mises à la disposition du fournisseur qui, généralement, les fait expédier à une firme spécialisée qui les imprègne à la créosote : elles servent aux besoins des raccordements privés ou, cela intéressera les amateurs de style rustique, on les utilisera comme poutres pour enjoliver les demeures anciennes.

Chaque année, les quantités de traverses à livrer, ainsi que les prix, sont fixés, en tenant compte des besoins (qui se situent entre 200 000 et 300 000 pièces) et des cours mondiaux.

On achète aussi 35 000 à 50 000 pièces de bois par an et 150 000 à 200 000 planches pour fonds de wagons.

L’harmonie d’une politique économique des besoins assure ainsi la pérennité de la forêt.


Source : Le Rail, octobre 1975