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Sur les hauteurs battues des vents

Nand Van Kempen.

lundi 11 mars 2013, par rixke

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KWVLR = ligne musée, archéologie industrielle et travail de restauration raffiné

Au cœur de l’Angleterre, à l’ouest de la ville industrielle de Leeds, se trouve Haworth, la patrie des célèbres sœurs Brontë. C’est d’ailleurs dans la lande toute proche qu’Emily a situé l’action des « Hauts de Hurlevent ». Près de l’église et du petit cimetière se dresse le presbytère, où sont conservés des témoignages de la vie et de l’activité littéraire des trois sœurs ; il a naturellement été transformé en un musée qui constitue, chaque année, un pôle d’attraction pour des centaines de milliers de touristes. Mais depuis 1968, il compte un concurrent sérieux dans la région : la ligne de chemin de fer qui fut établie en 1847 entre Shipley et Shipton et qui servit au trafic des voyageurs jusqu’en 1961.

Cette année-là, le train et la locomotive à vapeur ont été gommés du paysage. Pas pour longtemps toutefois car, grâce aux efforts d’un groupe de fans du rail qui ont fondé une « Préservation Society », les trains à vapeur y ont fait leur réapparition en 1968.

« Préservation » est pour ainsi dire synonyme de musée, bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une collection d’objets statiques comme on peut en admirer par exemple dans le musée ferroviaire de York.

à Oscenhope

L’association gère sa propre compagnie ferroviaire, le « Worth Valley Railway », qui met en service jusqu’à 31 trains réguliers les week-ends - et même chaque jour l’été - sur un parcours de 7 km entre Oxenhope et Keighley, où est assurée la correspondance avec le réseau des British Railways.

Pour que tout soit clair et net, disons encore que KWVLR est le sigle du « Keighley & Worth Valley Light Railway », ce qui est tout un programme pour une attraction ferroviaire remarquable.

 Jouer au petit train !

On ne peut nier que cette ligne exerce un attrait hautement touristique. Elle doit sa renaissance à la nostalgie - fort répandue - de l’époque de la vapeur, des locomotives au sang chaud, lançant des nuages de fumée et rayonnantes de puissance comme de santé.

Pour ressusciter à la fois les poétiques panaches de fumée et les prosaïques « tchouc-tchouc », les volontaires de la Préservation Society de Haworth ont réuni une série appréciable de locomotives à vapeur et un grand nombre de voitures. Ce matériel de traction, qui, à lui seul, constitue la plus grande collection privée du genre, permet d’assurer un service qui amène à Haworth des amateurs des quatre coins du Royaume-Uni. Le succès touristique est tel qu’il a fallu adapter la longueur des quais au fur et à mesure que les trains s’allongeaient. Voilà qui convaincra sans doute ceux qui se demandent si cela est bien sérieux que des grandes personnes « jouent au petit train ».

Mais que les sceptiques se rassurent : on n’exploite pas uniquement pour le plaisir. Un coup d’œil sur l’horaire nous apprend que des trains Diesel circulent même dans la matinée pour les gens de l’endroit qui désirent utiliser un moyen de transport moins onéreux. Il existe même un trafic marchandises. C’est ainsi que l’usine de biscuits du coin préfère utiliser la ligne musée pour le transport de ses produits, car elle y trouve son avantage.

Les rentrées financières provenant de tous ces transports sont intégralement consacrées à l’entretien de la ligne et du matériel, car le personnel, quant à lui, travaille gratuitement, ce qui constitue une aide appréciable pour le KWVLR.

Malheureusement, le volontariat ne suffit pas !

Les prix exorbitants du charbon et plus encore le coût d’entretien de la voie (qui après quelques années de trafic intense a dû être complètement rénovée), des ponts, tunnels, signaux, etc. obligent le KWVLR à aller chercher des fonds ailleurs.

à Ingaow

Pour que le touriste ait droit à une jolie petite excursion rétro dans un cadre par ailleurs enchanteur ! Le visiteur part goûter l’atmosphère particulière des vieilles petites gares et se rend à l’exposition du matériel, pour autant que celui-ci ne se balade pas quelque part sur la ligne. Le musée qui abrite le matériel en question est situé à Oxenhope. A Haworth, où se trouve l’atelier central, on peut voir entrer des voitures et des locomotives, rescapées de la grande épopée du rail et les voir ressortir retapées à neuf comme au jour de leur mise en service. Pour ma part, j’ai eu l’occasion, il y a quelques années, d’assister à la rénovation par ces « fanatiques » de ce qui est devenu l’un de leurs plus précieux joyaux.

 La « City of Wells »

II faut bien avouer que la loco « City of Wells » est une perle. Dans sa période de gloire, cette locomotive « Pacific » remorquait, notamment sur la ligne Douvres-Londres Victoria, l’express pullman « Golden Arrow ». Elle fut construite en 1949 pour les Southern Railways à Prighton et reçut le numéro 34092 qu’elle porte encore maintenant. La « City of Wells » est restée en service pendant 13 ans, jusqu’en novembre 1964, lorsqu’elle a dû prendre sa retraite avec les autres « Bulleid Pacifics », pour être envoyée à la mitraille à Barry, dans le sud du Pays de Galles. Elle avait parcouru environ 810 000 km.

Il aura fallu sept ans avant que les gens du Worth Valley Railway la découvrent là-bas. Trois d’entre eux réunirent alors leurs économies pour acheter la locomotive, du moins ce qui en restait. En novembre 1971, les « restes » furent chargés sur un long wagon plat et acheminés par route à Haworth, pour un prix supérieur à celui de l’achat !

la 34092 remorque le Cumbrian Mountain Pullman

Huit ans passèrent avant que ce joyau de la ligne musée, orné des flèches d’or symboliques, ne soit en état de remorquer à toute vapeur les voitures pullman rassemblées à cet effet.

S’il a fallu tout ce temps pour en arriver là, cela est dû au fait que les volontaires, non seulement n’avaient à leur disposition que les week-ends et jours de congé, mais encore qu’ils devaient parfois venir de loin pour travailler. On m’a cité le cas d’un spécialiste écossais qui, tous les quinze jours, part d’Aberdeen, par chemin de fer naturellement, pour venir bricoler aux locomotives tout au long du week-end. Lorsqu’en 1977, j’ai pu visiter la locomotive qui était déjà presque entièrement restaurée, c’est grâce à un certain M. Adams, un compatriote du spécialiste d’Aberdeen.

 Un travail de spécialiste

Les gens qui viennent passer leur temps libre dans le hangar de Haworth sont des professionnels.

le City of Wells sur la KWVLR le 30 avril 1980

C’est indispensable parce que, d’abord, pas mal d’éléments de la locomotive ont disparu lors du séjour à la mitraille, principalement le matériel en bronze et en cuivre, et ensuite, parce que certaines pièces sont à ce point endommagées ou usées qu’il faut en refaire de nouvelles, sur la base de photos et de dessins originaux.

Parmi les nombreux collaborateurs à cette entreprise, le plus important est sans doute Harry Firth, ancien contremaître des Eastley Works qui fait autorité dans le domaine des locomotives Pacific.

En avril 1978, l’avancement des travaux était tel - la chaudière avait entre-temps été munie de nouveaux tubes - qu’il fut possible d’organiser un parcours d’essai.

Mais deux longues années furent encore nécessaires avant de voir sortir du hangar une toute nouvelle « City of Wells » prête à recevoir son second baptême des mains du Lord Maire de la ville de Wells, le 30 mars 1980.

la 1931 à Oanworth

Pour son premier voyage, la locomotive tirait une rame pullman pleine d’invités, sans toutefois arborer les flèches d’or de sa période de gloire.

Deux jours plus tard cependant, -c’était le premier avril - celles-ci étaient bien présentes et ce fut l’occasion pour Steve le Cheminant de prendre une de ses plus jolies photos. C’est lui d’ailleurs - et il a un nom tout prédestiné pour cela - qui s’occupe de la publicité du KWVLR. Il est à ce point passionné par la photographie des locomotives à vapeur, qu’il en oublie parfois jusqu’à boire et manger.

 Et demain ?

N’allez surtout pas croire maintenant que les fans du rail de la vallée de la Worth n’ont plus rien à faire et qu’ils passent leurs week-ends à se tourner les pouces. Il reste bien assez de vieilles voitures et locomotives sur les voies de triage de Haworth, et tout un tas de ferraille dans le hangar, pour qu’ils s’acharnent à reconstituer un nouveau chef-d’œuvre qui vienne enrichir le patrimoine de l’archéologie industrielle. De plus, ainsi que je l’ai déjà dit, il faut compter le temps nécessaire à l’exploitation proprement dite, ce qui implique entre autres la vente de billets, de souvenirs, etc.

le 1er avril 1980, la Golden Arrow, avec ses flèches d’or

Ces sources de revenus sont bougrement nécessaires pour financer les coûteux travaux de restauration, car, dans le pays même où fut inventé le chemin de fer, le KWVLR ne doit pas compter sur des subsides. « Help yourselves » dit le Trésor. C’est bien ce que fait le KWVLR qui met même un point d’honneur à faire les choses avec style. C’est ainsi que chaque fois que la « City of Wells » remorque le train pullman à travers la campagne du Yorkshire, les voyageurs ont droit à un service pullman, y compris une collation, assez modeste par ailleurs, étant donné que le trajet ne dure que 25 minutes.

Mais rassurons tout de suite tous ceux qui trouvent dommage de consacrer ce travail de bénédictins à rénover cette merveille pour en arriver à un petit voyage de 25 minutes à peine. Si l’on en croit Steve le Cheminant, leur locomotive rend également un grand service aux chemins de fer britanniques, car - parfois sous d’autres noms comme Cumbrian Mountain Pullman par ex. - elle offre bien des joies à des groupes entiers de fanatiques de la vapeur. Et, last but not least, cela aussi rapporte quelque argent, qui sera bien utile pour un autre projet de restauration.


Source : Le Rail, avril 1983