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Pèlerinage du côté de Louvain

Paul Pastiels.

mercredi 26 juin 2013, par rixke

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Du haut du Mont César, il est agréable de contempler le berceau des ducs de Brabant : Louvain, cette ville d’aspect émouvant, dont le passé s’éveille sous le moindre regard. C’est là-bas, dans les plaines de Kessel-Lo, que nos ancêtres, commandés par Arnould, infligèrent aux Normands une cruelle défaite en l’an de grâce 891 (le 1er septembre pour être précis !) Ceux-ci occupaient un retranchement, à partir duquel ils perpétraient leurs déprédations et préparaient leurs expéditions depuis sept ans déjà. Ils furent finalement taillés en pièces et leur camp, agrandi par l’Empereur Arnoul, devint le noyau d’expansion d’une ville appelée Louvain (loo : colline boisée, ven : marais).

C’est dans cette même plaine de Kessel-Lo que naquit, presque un millénaire plus tard, un nœud ferroviaire important. La ville de Louvain aura eu le privilège insigne d’être une des premières de Belgique à accueillir le rail en ses murs : elle se trouve, en effet, sur le grand axe stratégique Bruxelles - Liège - Frontière prussienne. Le 10 septembre 1837 est une date capitale dans les annales de la cité brabançonne : le tronçon de ligne Malines - Louvain est ouvert au trafic dans l’allégresse générale. Des réjouissances sans pareilles, mêlées peut-être d’un brin d’appréhension, accueillirent ce nouveau mode de locomotion. N’oublions pas que la grande première européenne remonte à deux ans à peine : sur le vieux continent le cheval de fer a emprunté pour la première fois la ligne Malines - Bruxelles le 5 mai 1835 ! Désormais, tout le monde se doit de voyager dans les pimpantes berlines tandis que les chevaux de diligence mâchent leur ennui au fond des écuries.

Il suffit d’un bond de quelque 140 ans en arrière pour emprunter un de ces convois d’antan et parcourir les 23 km séparant Malines de Louvain : « La cloche a fini de tinter, le cornet des gardes a donné le signal, et nous nous remettons en route sur la ligne dite de l’Est. En quittant la station de Malines, nous décrivons d’abord une courbe rapide vers la droite et nous franchissons la chaussée de Louvain. Le premier village que nous atteignons est celui de Muysen, qui est situé sur la Dyle et dont nous apercevons le clocher à notre gauche.

Le village de Hever, dont la population est de 1 488 âmes, se présente un peu plus loin dans la même direction. Un moment après, nous apparaît, toujours du même côté, la commune de Rymenam. Après avoir laissé à notre droite la commune de Boort-Meerbeek et traversé un petit ruisseau sans nom, nous nous arrêtons dans la station de Haeght qui est la troisième. Bientôt nous passons devant le hameau de Wespelaer que nous voyons à notre droite et où se trouvent d’admirables jardins. Le remorqueur, dans sa marche rapide, nous permet à peine d’entrevoir les massifs de verdure derrière lesquels ces beaux jardins sont cachés.

Nous longeons le canal qui va de Louvain à Malines, et nous voyons s’effiler à notre droite la tour du village de Thildonk, puis à notre gauche, l’église de Rotselaer d’où sortirent les sires de Rotselaer, si célèbres dans l’histoire du Brabant, où ils figurent comme sénéchaux héréditaires du Duché. A mesure que nous approchons de Louvain, le plan du terrain sur lequel nous roulons se formule en un angle aigu, formé par le canal qui coule à notre droite et par la Dyle qui serpente à notre gauche. Bientôt nous franchissons cette rivière et nous traversons la route qui va de Louvain à Aerschot, et qui passe sous un viaduc d’une grande élévation. Un moment après, nous voyons apparaître à notre droite, au-delà du canal, la commune de Wilsele et à notre gauche, celle de Kessel-Lo qui est située au pied d’un rideau de collines arrondi en hémicycle et formé d’anciennes dunes contre lesquelles, selon la tradition, se roulaient dans les premiers siècles les flots de la mer du Nord. Peu de secondes encore et nous atteignons Louvain qui, à la droite du chemin, dresse au-dessus de la masse sombre de ses maisons les flèches de ses églises et les gracieux minarets de son Hôtel de Ville. (...)

Solidaire de l’industrialisation sans cesse croissante de nos contrées, le chemin de fer étend rapidement ses ramifications à travers tout le pays. Les tronçons suivants convergent successivement vers Louvain : Tirlemont - Louvain le 22.9.1837, Wavre - Louvain le 12.2.1855, Hérenthals - Louvain via Aerschot le 26.2.1863 et finalement Bruxelles - Louvain le 17.12.1866.

Le rail offrant de plus vastes débouchés à l’industrie locale, Louvain connaît un trafic de plus en plus intense, tant au point de vue marchandises que voyageurs. Devant cette affluence, les premières installations ferroviaires s’avèrent bientôt insuffisantes. De nouveaux faisceaux de triage apparaissent çà et là. On supprime le passage à niveau en détournant la route de Diest par une large boucle s’insinuant sous le chemin de fer. La Compagnie du Grand Central Belge érige, en 1863, sous la direction de l’ingénieur M. Urban, une importante remise à locomotives et un atelier de réparation du matériel roulant qui utiliseront, en leurs débuts, plus de 650 ouvriers. Finalement, Louvain se devait de posséder un bâtiment de recettes digne de ses monuments incomparables. L’imposante gare, conçue selon les plan de l’architecte Fouquet, sera achevée le 7.9.1879.

Le bâtiment est construit en pierre de Brauvilliers, de Savonnière et de Soignies. Au centre se trouvent le vestibule, les guichets des coupons et des bagages. La partie centrale de l’édifice est couronnée d’une sculpture de 4 m de largeur qui représente la Constitution et la Science entourant les emblèmes et les armoiries du pays, et qui est due au ciseau de Vinçotte et de Fiers. Le grand hall intérieur, couvert par une charpente métallique, a 145 m de long sur 45 m d’ouverture. Drainant le va-et-vient continuel des voyageurs, un nouveau quartier commerçant prospère aux alentours de la gare, orchestré sur la place - du haut de son socle - par Silvain Van de Weyer, membre du Gouvernement Provisoire. Ce monument, inauguré le 1.9.1876, sera remplacé par celui des Anciens Combattans après la première guerre mondiale : il convenait de perpétuer le souvenir des journées sanglantes d’août ’14.

Surmontant sans encombres les vicissitudes du temps, la gare de Louvain atteint un âge respectable qu’il convient de fêter aujourd’hui.

Souhaitons-lui encore longue vie !


Source : Le Rail, avril 1976