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A travers l’indicateur de ’26

Scrutator.

mercredi 17 juillet 2013, par rixke

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La création de la SNCB date donc du 23 juillet 1926 [1]. Mais chose curieuse, il semble que l’administration ait éprouvé quelques réticences à publier le changement d’état civil. En effet, l’indicateur (très) officiel, valable du 3 octobre 1926 au 31 janvier 1927, se réfère encore aux « Chemins de fer de l’Etat » et aux « stations de l’Etat ».

Puisque nous parlons du « guide » de 1926/27, efforçons-nous de découvrir par sa lecture comment on circulait par le rail en Belgique à cette époque.

Notre indicateur se présentait alors sous un format 22 cm x 13 cm ; couverture jaune pour l’édition française, bleue pour l’édition néerlandaise.

Ce document nous renseigne sur « tous les chemins de fer belges » car, ne l’oublions pas, à côté du réseau de l’Etat repris par la SNCB, il y avait encore plusieurs compagnies privées :

  • Nord Belge :
    • Liège (Longdoz et Guillemins) - Namur - Givet.
    • Mons - Quévy (frontière)
    • Charleroi - Erquelinnes (frontière)
  • Compagnie de Chimay, Hastière - Chimay - Hirson
  • ainsi que les compagnies :
    • Malines - Terneuzen et
    • Gand - Terneuzen.

Mais, heureusement, il y avait un tarif et un barème kilométrique uniques, valables sur « toutes » les lignes belges, tant pour les billets que pour les abonnements.
Nous apprenons ainsi qu’un trajet de 100 km coûte alors : 19 F en 3e classe, 33 F en 2e classe, 48 F en 1re classe. Un abonnement « réseau » de 5 jours coûte 140 F, 240 F ou 370 F selon la classe.

D’autre part un abonnement « ouvrier » (appelé aussi coupon de semaine) pour 6 déplacements aller et retour coûte 14 F pour une distance de 60 Km, alors que l’aller et retour normal revient à 23 F en 3e classe ; les « abonnés à la semaine » bénéficient donc d’une réduction de 90 % mais ne sont pas admis dans les trains internationaux ni dans beaucoup de trains directs. [2].

 Service international

Les horaires internationaux témoignent que la paix et la prospérité règnent à nouveau en Europe. L’Allemagne mise au ban des nations en 1918, ruinée par une inflation invraisemblable, est toujours « occupée » partiellement mais elle vient de rétablir sa monnaie et d’être admise à la SDN à la suite des accords de Locarno.

En Italie après une période assez chaotique, on prétend que les trains partent et arrivent à l’heure depuis une certaine marche sur Rome. L’Europe centrale et l’Europe orientale s’organisent tant bien que mal après le démantèlement des empires russe et austro-hongrois, tandis que des deux côtés du Bosphore, Mustapha Kemal veut faire une nation occidentalisée avec les restes de l’empire ottoman.

La paix étant revenue, les trains de luxe chers à Valéry Larbaud ont été remis sur rails. Le Nord-Express relie Ostende, Calais et Paris à Berlin, Varsovie et Riga (± 40 heures d’Ostende à Riga), tandis que l’Ostende - Vienne - Orient Express achemine trois fois par semaine les émules de Barnabooth de la mer du Nord à la mer Noire, grâce à la voiture-lits Ostende - Bucarest avec correspondance pour Constantza. Les noms sont restés, les voyageurs ont délaissé le style « belle époque » pour celui des « années folles », de même que le matériel dont l’aspect tant intérieur qu’extérieur s’inspire désormais du salon « Arts déco » de 1925.

Ces trains marqués « LX », constitués uniquement de wagons-lits et d’un « wagon-salon-restaurant » restent réservés à la clientèle de 1re classe ayant acquitté le supplément requis par la Compagnie des Wagons-lits.

D’autres voitures-lits plus démocratiques admettent les voyageurs de 2e classe et circulent dans des trains ordinaires vers Bâle, Venise, Cologne, Berlin, Vienne et même Stamboul (qui n’était pas encore Istambul mais qui n’était plus Constantinople).

Par contre en trafic avec la France, (Amsterdam - Paris, Cologne - Paris), la 1re classe est toujours de rigueur en voiture-lits. Si le « bloc des gauches » est venu au pouvoir en 1924, le confort nocturne ne s’est démocratisé en France que quelques années plus tard.

Notons à ce propos que la ligne Bruxelles - Paris terriblement éprouvée par les combats de 1914-18, a été entièrement rénovée sur parcours français.

Il existe un train-bloc 1re et 2e classes, ancêtre de nos actuels TEE, qui fait le trajet sans arrêt en 3 h 35 contre 4 h en 1914 (ce train sera remplacé à partir de 1927 par le « Pullman » Etoile du Nord).

Par contre les voyageurs de 3e classe ont droit à 6 h 30 de trajet en passant par Maubeuge, bien que le clair de lune n’y soit pas encore célèbre.

Le trafic avec l’Allemagne s’est normalisé (la Régie franco-belge des territoires occupés qui exploitait militairement les chemins de fer rhénans a passé la main à la Deutsche Reichsbahn en 1924) mais il faut encore 5 à 6 heures pour aller de Bruxelles à Cologne. A titre indicatif, retenons quelques « marches » caractéristiques du trafic international.

1-2 1-2-3 1-2 train bloc 1-2-3
Bruxelles-Midi 9.00 10.25 14.15 15.51
Paris 13.03 16.55 17.50 22.26
Bruxelles Nord 6.50 13.40 16.25 LX Nord-Express 18.36
Cologne (Heure Europe Centrale) 12.50 20.00 23.10 0.00
Berlin 7.07 8.35
Bruxelles Midi 7.05 13.01 17.40
Amsterdam [3] 12.34 17.35 22.10
Bruxelles Nord 7.02 18.20 23.06
Bâle 19.08 5.10 10.30
Milan (Heure Europe Central) 5.43 14.47 22.25
Londres 10.00 14.00
Ostende dp 16.45 20.30
Bruxelles Nord 18.04 22.18

A côté de la ligne « nationale » Ostende - Douvres, il existait un service de nuit Harwich - Anvers, permettant de quitter Londres à 20.40 pour être à Anvers à 8.30 et à Bruxelles à 9.51. La publicité nous apprend que ce service organisé par le London & North Eastern Railway (LNER) procurait un confort comparable à celui d’une chambre d’hôtel.

Signalons enfin que l’indicateur nous conduit par la pensée jusqu’à Varsovie et Riga, mais pas au-delà car Moscou a disparu des tableaux-horaires en même temps que le dernier des Romanov quittait la scène politique.

Quant au transsibérien, chanté par Blaise Cendrars, il a chuté dans les oubliettes de l’histoire.

 Service intérieur... ...et extensions.

Le réseau épuisé par quatre années d’occupation [4] s’est progressivement relevé. L’administration a entrepris de louables efforts pour accélérer les relations en créant des trains rapides à nombre de places limité. Une dizaine de ces trains, couramment appelés trains-blocs, circulent entre Bruxelles et Anvers, reliant la capitale à la métropole sans arrêt, en 40 minutes.

Quelques autres exemples de ces trains « rapides » et à « réservation conseillée » :

Bruxelles Nord 7.50 17.18
Liège 9.23 18.50
Verviers 10.08 19.36
Bruxelles Nord 8.20 17.35
Gand 9.09 18.26
Bruges 9.43
Ostende 10.05
Bruxelles Midi 7.35 18.50
Charleroi 8.33 19.48

Les autres trains « semi-directs » suivent des horaires qui nous paraissent aujourd’hui fort détendus : 5 h 30 de Bruxelles à Herbesthal, 2 h 40 de Bruxelles à Ostende, 2 h 05 de Bruxelles à Courtrai, 4 h 20 de Bruxelles à Arlon. Mais l’Administration, bonne mère, veille au confort de ses voyageurs en incorporant dans de nombreux trains des voitures-salons où le temps leur semble sans doute moins long mais qui ne sont accessibles qu’aux seuls privilégiés de la 1re classe.

Les express internationaux sont pourvus de voitures-restaurants où peuvent se côtoyer voyageurs de 1re et de seconde classe mais il est précisé que les voyageurs de 2e classe du service intérieur n’y sont admis que « le temps d’y prendre un repas ». Quant aux voyageurs de 3e classe, ils n’ont droit à aucune facilité pour se restaurer ou se rafraîchir en cours de route et cela paraît tout à fait normal.

Autre fait à signaler, les tableaux-horaires intérieurs belges étaient en 1926 beaucoup plus « ouverts » aux réseaux étrangers qu’ils ne le sont aujourd’hui ; c’est ainsi que l’on trouve :

  • au tableau 12 des horaires assez bien détaillés de Roosendaal à Amsterdam
  • au tableau 38 le service complet entre Aix-la-Chapelle, Mönchengladbach et Düsseldorf
  • au tableau 94 toutes les possibilités d’acheminement entre Tournai, Lille, Calais et Boulogne
  • aux tableaux 154a et 158 les trains express entre Paris, Reims, Charleville, Sedan et Longwy
  • aux tableaux 168 et suivants tout ce que vous désirez savoir sur les lignes grand-ducales, qu’elles relèvent des réseaux Prince-Henri, Guillaume-Luxembourg ou Alsace-Lorraine.

Le tableau 97 évite toute difficulté au voyageur désireux de se rendre de Mons à Amiens par Quiévrain et Valenciennes (essayez un peu aujourd’hui !) et le 167 facilite les plans de voyage des curistes se rendant à Vittel via Athus et Nancy... (n’essayez même pas).

Une mention toute spéciale doit revenir) au tableau 19 qui s’intitule modestement Eindhoven, Hasselt, Maestricht, Aix-la-Chapelle.

Est-ce l’aveu d’une volonté annexionniste manifestée par certains hommes politiques belges au lendemain de 1918 ? Ou cherche-t-on du trafic de transit en invitant nos voisins du Nord à passer par le territoire belge pour se rendre d’Eindhoven à Maestricht ?

Pauvre ligne 19 qui se prenait pour une relation internationale et où ne circule plus actuellement aucun train de voyageurs... sic transit !

Les nostalgiques éprouveront encore des pincements au cœur en compulsant les horaires d’autres nombreuses lignes aujourd’hui « simplifiées », « coordonnées », « déferrées ».

  • 45-48-49 : tout le réseau des cantons « rédimés » y compris la ligne de Montjoie serpentant à travers le Reich mais dont « l’assiette » nous avait été généreusement attribuée par le traité de Versailles
  • 62 : Moerbeke-St-Nicolas
  • 85 : Audenaerde - Avelgem - Mouscron
  • 87 : Bassilly - Renaix - Tournai et tant d’autres encore...

Aujourd’hui l’on se préoccupe à bon escient des services que le rail peut apporter dans les transports urbains des grandes agglomérations. Mais sait-on qu’il existait en 1926 une ligne de Courcelles à Lambusart par Jumet ?

Ne refermons pas notre indicateur sans nous arrêter quelques instants à la publicité de l’époque avec son style et son graphisme particuliers. Nous y trouvons notamment une réclame pour une « grande fabrique » de vêtements, sise au cœur de Bruxelles. Plus loin, un journal financier - qui existe toujours aujourd’hui - informe ses lecteurs qu’il traite de « tout ce qui a rapport au bien-être général hormis la politique »( !). Nous apprenons aussi grâce à un texte agrémenté d’un dessin du ss Belgenland que la Compagnie nationale Red Star-line fait flotter le pavillon tricolore sur la ligne Anvers - New York.

L’Etat lui-même ne dédaigne pas les méthodes publicitaires : il loue de nombreux emplacements pour convier les citoyens à prendre des comptes de chèques postaux et à « propager » le virement postal.

La lecture de l’indicateur de 1926 nous a ainsi-remis en esprit quelques aspects de la vie en Belgique à l’époque de l’entre-deux-guerres, au moment où l’Administration de l’Etat passait le flambeau à la Société nationale !


Source : Le Rail, juillet 1976


[1et elle est devenue opérationnelle au 1er septembre 1926.

[2Au 1.1.76 les prix étaient les suivants pour 100 km : 217 F en 1re classe et 147 F en 2e classe.

L’abonnement de 5 jours s’élevait a 1050 F en 1re classe et à 700 F en 2e. L’abonnement social pour une distance de 60 km revenait à 260 F pour une semaine. Le billet 60 km AR en 2e classe coûtait 160 F.

[3Les Pays-Bas suivaient à l’époque l’heure « d’Amsterdam » en avance de 20 minutes sur l’heure belge et française.

[4rappelons que de 1914 à 1918, le réseau belge fut exploité par l’autorité militaire allemande, les cheminots belges ayant reçu la consigne de se croiser les bras.