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On vous propose un peu d’abri

Paul Pastiels.

mercredi 7 août 2013, par rixke

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« Un p’tit coin d’parapluie, un p’tit coin d’paravent... » pourrait-on dire en pastichant le poète.

De tout temps, la SNCB s’est préoccupée du confort des voyageurs, tant lors de leur voyage que lors de leur station sur les quais et dans les gares. Tout Belge sait par expérience que notre climat maritime se caractérise avant tout par la fréquence de la pluie et du vent, ainsi que par une tendance à la température frisquette. Chez nous l’imperméable, les bottes et le parapluie ne restent guère longtemps aux vestiaires.

Puisque nous avons décidé aujourd’hui d’aller nous balader sur les quais, nous allons donc nous en équiper. Il va de soi qu’il faut veiller avec plus de minutie sur le voyageur appelé à séjourner plus ou moins longtemps sur les quais que sur celui qui ne fait que traverser la gare quand il va prendre son train ou quand il en descend. Ce dernier, il suffit de le protéger de la pluie, par contre celui qui stationne, qui doit battre la semelle, il faut aussi le garantir du vent et, éventuellement, du froid.

Ce genre de protection implique des tas de notions, dont les principales sont celles de couverture (toit), de parois verticales isolées, d’enceintes fermées et chauffées [1].

Les architectes sont donc amenés à tenir compte de ces considérations, ainsi que de l’importance et des rôles des gares en question, lorsqu’ils construisent des abris.

Il y a bien sûr des distinctions importantes à établir : entre les gares citadines et les stations rurales ; entre les gares terminus, les gares de passage et les gares de correspondance.

Dans les gares terminus souvent assez bruyantes, par la force même des choses, le voyageur n’accède généralement aux quais que lorsque le train s’y trouve déjà. Pas question dans ces conditions de le protéger contre le vent, ni le froid, mais simplement contre la pluie. Ce qui n’est déjà pas une petite affaire : en général de vastes marquises recouvrent les halls d’attente et les quais de tête. Ces imposantes carcasses de métal et de verre, surplombant voies et quais, se retrouvent aussi dans les gares de correspondance où elles assurent une garantie satisfaisante contre les averses. Nous avons déjà consacré un article à ces « cathédrales de suie et de verre » [2].

Aujourd’hui elles ont presque toutes disparu. Honorons quand même leur mémoire en citant quelques noms : Bruxelles Midi, Bruxelles Nord, Anvers Central, Gand Sud, Ostende Quais, Louvain, Tirlemont, Liège, Namur, Charleroi, Mons, Braine-le-Comte, Tournai, Bruges, Courtrai...

Dans les gares de correspondance, les voyageurs sont amenés à stationner plus longtemps sur des quais isolés, dans l’attente de la correspondance en question. Il est donc normal qu’on ait veillé à leur assurer une protection plus efficace contre les intempéries.

Châtelineau

Par contre, les gares de passage jalonnant le réseau - qui sont en général des gares rurales - demandent moins de prévenance à l’égard de la clientèle. La plupart du temps, elles ne comportent que deux quais : l’un longeant le bâtiment des recettes, l’autre situé de l’autre côté de la ou des voies. Les voyageurs - peu nombreux dans l’ensemble - ne sont admis sur ces quais que peu de temps avant l’arrivée du train : des abris contre la pluie suffiront donc largement.

Nous allons profiter d’une ondée passagère pour nous abriter un instant dans un de ces précurseurs de nos « loges-abris » ou « abris-parapluies » actuels, pour pouvoir les détailler à loisir.

C’est d’autant plus intéressant que, en ce début de siècle, un grand nombre de points d’arrêt non gardés, de gares (réparties en 5 « classes » jusqu’au 31.12.1896) sont dépourvus d’abris. C’est pour pallier cette carence que certains services locaux de la voie ont fait appel à leur imagination et ont installé sur les quais des abris rudimentaires qui n’étaient en fait que de vieilles caisses de wagons ayant retrouvé là une deuxième jeunesse.

Au siècle dernier, et au début de celui-ci, les chemins de fer étaient en telle expansion qu’on lésinait peu sur le décorum. Des bâtiments de gares somptueux et monumentaux sont érigés un peu partout sur le réseau. On y utilise les matériaux les plus divers, sans aucune parcimonie : pierre de taille, brique, marbre, bois nobles, fonte, verre, etc. Des abris sophistiqués aux vitrages décorés prennent place dans ces stations privilégiées : ils sont bâtis en maçonnerie et dans le même style que celui du bâtiment des recettes. Cette ère révolue, les impératifs financiers veilleront à réduire au strict nécessaire les nouvelles constructions. Les architectes rechercheront désormais des solutions moins coûteuses et plus fonctionnelles : les abris des quais dès lors seront d’un modèle standardisé d’une grande sobriété. La protection des voyageurs est plus aisée à réaliser dans les gares de passage, parce que, en l’occurrence, la clientèle peut attendre le train dans une salle d’attente (plus ou moins bien chauffée en la mauvaise saison). De plus, un auvent attenant au bâtiment abrite les usagers dès leur arrivée sur le quai.

Un abri fermé, en maçonnerie et vitrage, assure souvent la protection sur le quai opposé.

Selon révolution des procédés de construction, le style d’époque cède graduellement le pas à une esthétique fonctionnelle et aux conceptions architecturales les plus récentes [3]. En 1938, la SNCB décide la création d’un type de « loge-abri » uniforme et fixe son choix sur une construction à montage facile et d’un coût raisonnable : ce sera « l’abri économique » à éléments démontables en béton, une sorte de « lego » pour adultes. Des « abris-autobus » monoblocs, abondamment vitrés et de dimensions réduites les ont aujourd’hui remplacés. Quelles que soient leurs dimensions, les halls vitrés des grandes gares deviennent rapidement trop exigus pour les trains de voyageurs de plus en plus longs qu’on met en service. Des extensions sont donc effectuées, non pas en prolongeant les halls existants, mais en installant des « abris-parapluies » sur les quais affectés aux convois les plus longs. Leur longueur dépend bien sûr du nombre de voyageurs à abriter. Des écrans vitrés mettent la clientèle à l’abri du vent et des bancs fixes lui permettent une attente plus confortable. Ces abris couvrent également les escaliers d’accès vers les passages souterrains.

Gent

Leur conception évolue grâce à l’emploi de matériaux nouveaux. Après les colonnes et poutres en fonte, on a utilisé l’acier. Les premiers abris en acier sont faits à l’aide de pièces rivées, les béquilles sont en profils composés, les pannes en treillis. Les abris des quais de la gare de Bruxelles Quartier Léopold constituent la première grande application de la soudure aux constructions métalliques ferroviaires. Des pannes en double T du type Cantilever posées sur les béquilles remplacent les pannes en treillis portées entre béquilles [4]. Le bois et le béton armé tentent moins les constructeurs car ils se dégradent facilement dans les installations ferroviaires.

Voilà, mille excuses de vous avoir tant parlé de la pluie. Nous avons pourtant moins de regret, puisque nous vous savions à l’abri.


Source : Le Rail, août 1976


[1G. Hendrickx - « Abris pour voyageurs », le Rail 149 (01/1969).

[2P. Pastiels - « Ces cathédrales de suie et de verre », le Rail 181 (09/1971)

[3G. Hendrickx - « Abris pour voyageurs », le Rail 148 (12/1968).

[4H. Lenfant - « La protection des voyageurs contre les intempéries », Train 16 (11/1953).