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Un garde-salle

Odilon.

mercredi 18 septembre 2013, par rixke

Nous avons décidé de vous présenter, de temps à autre, un cheminot de la base. Non pas tellement un cheminot qu’une qualification. Ne parlons pas d’une nouvelle rubrique : ce serait trop prétentieux ; ce serait aussi prendre une option qui n’entre pas dans nos projets. Disons que chacun d’entre nous ira voir un ouvrier, un employé (il y aura peu de fonctionnaires) de la Société, avec un bic, du papier, quelques questions et des oreilles grandes comme ça. Et, bien entendu, dans l’espoir de ramener de ce genre de raid un croquis plus ou moins coloré, qui serait de nature à piquer à vif l’intérêt de quelques-uns des lecteurs. L’essentiel est de laisser un homme, un métier, raconter sa petite histoire. En face, les grandes oreilles tiennent le bic (sic) et rien d’autre. Pour ma part, c’est le genre d’entreprise que je redoute et que j’affectionne à la fois. J’ai toujours peur dans ces cas-là de ne pas être à la hauteur de l’événement. Ceux qui sont déjà partis en expédition avec un stylo et de grandes oreilles savent bien de quoi je veux parler. Et puis, c’est bien connu, il est des gens sur qui le médium n’a aucune prise. Aurais-je bien choisi mon personnage ? Mais je me passionne, parce que je sais qu’il est bien rare qu’un homme — même s’il est banal, commun, médiocre, — soit ennuyeux lorsqu’il se met à parler de son boulot. Pour ma première sortie, j’ai jeté mon dévolu sur un garde-salle [1].

 Dieu domestique

Pourquoi un garde-salle ? Je pourrais dire : comme ça ! Eh bien non ! C’est parce que je considère, à tort ou à raison, que le garde-salle est en quelque sorte le dieu domestique de la gare, ce que les Latins appelaient le « dieu lare ». Pourtant en fouillant au plus profond de mes souvenirs classiques, je ne vois pas de gare dans la Rome antique ; et s’il y avait assurément des gardes-salles, il est peu probable qu’ils aient eu les mêmes fonctions, le même uniforme et la même pince que les nôtres. Le garde-salle, c’est lui qui, mine de rien, est le gardien des portes du rêve, de l’aventure ou, plus platement, des installations ferroviaires. Ce sont d’autres qui distribuent les billets, mais le client ne les voit pas, dissimulés qu’ils sont derrière des guichets en verre teinté, avec hygiaphone, etc. Le garde-salle, qu’il trône dans sa loge ou qu’il soit campé sur les jambes, non seulement on le voit, mais encore on est forcé d’échanger avec lui quelques gestes, peut-être dérisoires, mais qui établissent entre le voyageur et lui des contacts qu’il est difficile de ne pas appeler humains, même si le mot est un peu usé.

On peut s’embarquer dans un train et quitter une gare sans avoir vu le distributeur de billets, le chef de gare, le sous-chef, le conducteur de la locomotive, le chef garde et je vous fais grâce des autres : il n’est pas possible de n’avoir pas eu affaire au garde-salle, ce qui est bien autre chose que de simplement le voir. Bon, j’avais en tête mon idée de garde-salle. Il me fallait en débusquer un spécimen. Et espérer... J’avais déjà eu quelques rapports d’amitié avec l’un d’entre eux, qui officie dans une gare où j’ai jadis vendu quelques billets et dont je tairai le nom pour respecter le secret professionnel.

En plus de ces contacts de sympathie avec l’intéressé, j’avais remarqué, dans sa façon d’exercer, une attitude qui me convenait tout à fait. Dans son cagibi, il était au théâtre : à la fois acteur et spectateur (peut-être bien souffleur également). Ses yeux pétillaient de malice, parfois de plaisir ; on devinait la petite musique guillerette qui devait sourdre en lui : une polka ! Quand un acteur engageait le dialogue, il donnait la réplique avec courtoisie. Mais, la plupart du temps, il se bornait à sourire, à travailler du regard ou à laisser parler ses mains avec une éloquence qui se passe aisément du reste. Il avait notamment une façon de renseigner la clientèle en levant vers le ciel des index de prophète, qui me plaisait beaucoup. De plus, il n’avait pas l’air d’un « oiseau rare ».

Je lui touchai un mot de mon projet et nous prîmes rendez-vous.

Nous allons l’appeler Prosper, puisque aussi bien c’est son prénom et il lui va comme un gant de sécurité. A l’heure convenue, Prosper était là. Il accusait le calme des vedettes qui en ont vu d’autres, mais il avait aussi le souci de me renseigner avec le plus d’authenticité possible. Bien sûr, Prosper a également un nom de famille : comme tout le monde. Mais j’ai vu une lueur de satisfaction dans son regard quand je lui ai fait part de notre intention de ne pas décliner les identités. Il l’a souligné d’un « T’as raison », qui mettait en confiance.

Au moment où la guerre 14/18 faisait rage, où Verdun s’apprêtait à entrer tragiquement dans la légende, bref en 1915, Prosper naissait. Tout simplement. Il n’est pas difficile d’imaginer son œil d’alors et ses premiers gestes : soixante-deux ans plus tard, ils n’ont pas dû changer. Ce sont les mouvements, le regard d’un homme que la vie éblouit. De toute manière la guerre, il la connaîtra vingt-cinq ans plus tard. Il fera partie de la Résistance. Il a une façon de l’avouer, qui veut presque dire : « comme tout un chacun », et qui exclut toute surenchère au catalogue de l’héroïsme. Après la Libération, il s’est engagé dans les forces armées belges, pour se retrouver aussitôt en Irlande. C’est sans doute ce qui lui a valu d’être recruté, « sur un tard » comme on dit dans la région, par la SNCB : la quarantaine passée. En effet, durant la guerre et l’immédiat après-guerre, Prosper travaille « à pièces » pour des fermiers ou des exploitants agricoles. Comme un personnage de Faulkner ou de Giono. Il engage ses services pour l’août, l’arrachage des betteraves, etc.

Comme la mécanisation des travaux des champs risquait de le laisser sur la paille (eh oui !), Prosper se fit recruter par la Société en qualité de chauffeur de locomotive. On imagine tout de suite, à voir ses yeux qui se plissent, ce qu’il aurait à nous conter sur cette expérience-là. Mais nous ne sommes pas là pour ça : uniquement pour parler au garde-salle. Dommage !

Nous voilà pourtant déjà fixés : notre homme aura de solides références, puisque, auparavant, il a été journalier sous contrat dans l’agriculture, puis chauffeur à bord d’une loco-vapeur.

Un bête accident sur le chemin du travail va faire bifurquer son destin. Renversé par une camionnette : il a une fracture du crâne, une cheville brisée, etc. mais il s’en tire et le voilà garde-salle !

 Des p’tits trous

J’ai d’emblée demandé à Prosper si le métier consistait uniquement à faire des petits trous dans des billets. J’allais lui parler du « Poinçonneur des Lilas » de Gainsbourg : « des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous », et puis je n’ai pas osé. Prosper ne m’a pas rabroué, parce que nous nous connaissons bien et que l’amitié n’est pas un vain mot. Mais il y avait quand même au fond de son sourire (aimable) un rien de pitié à l’égard du profane que je suis. Eh bien, pas du tout ! Il s’agit avant tout de bien contrôler le billet. La date est-elle exacte ? On peut aussi avoir affaire à un client qui a scindé son voyage, donc pas de trou. Et puis attention, il ne faudrait pas aller poinçonner le retour au lieu de l’aller. Il y a toute une gamme de précautions à prendre, et en un clin d’œil puisque, derrière, on attend. C’est seulement après qu’on peut faire le petit trou, par quoi le voyage commence. Prosper me fait remarquer à bon escient qu’il y a quand même pas mal d’abonnés : à la semaine, au mois, réseau, etc., pour qui le contrôle se passe de petit trou. Un coup d’œil rapide y suffit. « D’ailleurs, on les connaît presque tous ».

J’aborde automatiquement la question des resquilleurs.

Prosper ne veut pas en entendre parler. N’y en a-t-il pas qui essaient de se faufiler à la faveur de l’affluence ? « Non, ici, je n’en connais pas » me rétorque-t-il avec beaucoup d’assurance. Comme je reviens à la charge, il me dit qu’à son avis les fraudeurs doivent être clairsemés. « C’est très minime » décrète-t-il pour en terminer. Tout bien pesé, c’est une race qu’il ne connaît pas. Dans sa gare, ces gens-là ne s’y risquent pas. Allons, tant mieux !

Ici, il n’y a pas plus de resquille que de discussion ! Jamais de controverse, quand on est gentil avec la clientèle. Et Prosper est aimable, je ne souffrirai pas qu’on en discute. Si je lui parle de clients irascibles, il me concède qu’il s’en présente parfois, mais c’est pour ajouter aussitôt : « Ceux qui ont bu un verre de trop. Bah ! il faut les comprendre ». Comme on voit, Prosper ne veut pas la mort du pécheur.

 Attention à la salle

II me ramène aussi sec à mon sujet, en me disant que le contrôle des billets et les petits trous ne constituent qu’une part de son travail. Il doit également « faire attention à la salle ». Eh oui ! il est responsable du bon ordre dans la salle d’attente (ou salle des pas perdus), et de sa propreté. Il ne s’agirait pas d’y faire de l’esclandre ou de se coucher avec « ses godasses sur les banquettes », ou alors Prosper interviendrait illico. Gentiment, mais il interviendrait.

Quand je lui demande si cela se passe fréquemment, il m’avoue, avec l’autorité des connaisseurs, que « les jours les plus dangereux sont le samedi, le dimanche, le lundi. Le matin. »

— Toujours le matin ?

— Oui, lance-t-il en souriant avec un air de complicité, ce sont des gens qui ont passé la nuit.

Il ne vous viendrait jamais à l’esprit de penser, après avoir consulté ce sourire-là, que cette nuit, « ils » aient pu la passer à travailler, à réciter le rosaire ou à apprendre par cœur la table des logarithmes. Avec eux, fidèle à ses principes, Prosper tâche toujours de s’arranger à l’amiable. Et souvent ça s’arrange. Si par malheur, il n’en est rien, il faut faire appel au sous-chef, qui vient jeter le poids du képi rouge et des galons dans la balance de la justice. Et si ça ne suffit pas encore, eh bien ! en dernier ressort, on fait appel à la police locale.

Vous avez déjà deviné qu’avec Prosper, ce genre d’extravagance se passe plutôt rarement. Il sait comment y faire avec les récalcitrants.

Ce qu’on oublie fréquemment en outre, c’est le rôle que joue le garde-salle en ce qui concerne l’information des voyageurs. Bien sûr, il n’est pas là pour donner des renseignements. Pourtant Prosper le fait bien volontiers.

Je lui fais remarquer que ce qu’on lui demande la plupart du temps se trouve indiqué sur les plaques indicatrices. Il est bien d’accord, mais, que voulez-vous, il y en a qui ne savent pas lire, d’autres qui ne voient pas. Qu’est-ce que ça coûte de donner le numéro de la voie et l’heure exacte de départ ? Prosper y va même de renseignements plus élaborés : une correspondance, une heure d’arrivée...

Bon garçon, il inscrit cela, quand il le faut, sur un bout de papier. Il poursuit en s’excusant : « II y en a qui ne sont pas habitués d’écrire ».

Prosper se flatte, sans ostentation, de connaître approximativement l’heure d’arrivée de « ses » trains à Bruxelles Midi, Central, Nord. Même pour les autres directions. Alors, il en fait profiter qui le désire. Mais minute ! quand l’information déborde du champ de sa connaissance, il envoie le client au bureau de « Renseignements », qui est là en face, d’un index prévenant, ferme et sans équivoque.

 L’honnêteté

Je lui pose la question qui, selon moi, s’impose : « La plus grande qualité du garde-salle ne doit-elle pas être la patience ? » « Si, admet-il aussitôt, la patience et l’honnêteté. »

Petite parenthèse pour faire entendre que l’honnêteté, selon Prosper, cela veut dire la politesse. C’est une déviation de langage, ou plutôt une vieille acception, qui ne lui est pas propre : elle est typique de toute la région. Après tout l’obligeance et la politesse ne sont-elles pas la pierre de touche de l’honnêteté ? D’ailleurs, lorsque Prosper poursuit sur sa lancée, on a vite saisi : « II ne faut jamais être brusque avec les clients. Faut être gentil : ne pas les « ballotter », ne pas les envoyer au hasard à droite ou à gauche ». En disant cela, ses mains dessinent dans l’air une géométrie fascinante où les index ont la part du lion. Voilà, l’honnêteté ! Surtout pour venir en aide aux illettrés et aux personnes qui ont une mauvaise vue. Prosper insiste là-dessus.

— Les billets à vérifier, la salle à surveiller, les renseignements à donner. Et c’est tout ?

— Ah non « il faut fermer la sortie le soir ».

Et puis Prosper attire mon attention sur ce travail délicat qui lui incombe et qui consiste à « renouveler régulièrement les plaques », avec les destinations, les heures de départ, les numéros des voies. Comme je m’inquiète de savoir comment on les appelle, ces plaques, Prosper me répond avec sincérité qu’il n’en sait rien, qu’entre eux ils les ont toujours appelées simplement « les plaques ». Et il affirme sa réponse d’un geste des deux index s’écartant rapidement en traçant une horizontale imaginaire ; en même temps, il enfonce sa tête dans les épaules et plisse le front. Je dois bien me faire à l’évidence que c’est comme ça et qu’il n’y a pas lieu d’épiloguer.

 Changer les plaques et l’anecdote

L’important n’est d’ailleurs pas là, c’est de ne pas oublier de « changer les plaques » et, en le faisant, de ne se tromper ni d’heure, ni de voie. Et de ne pas mettre trop de plaques en même temps, ce qui risquerait d’égarer les voyageurs. D’ailleurs c’est bien simple le chef a donné l’ordre de se limiter, pour chaque direction, à deux trains à la fois : un direct et un omnibus. Les ordres sont les ordres et Prosper se ferait hacher sur place comme du persil plutôt que de les transgresser.

Pour le reste, notre homme est assez satisfait de ses heures de service : 5 à 13 et 13 à 21. Sans coupure. Travailler d’une traite lui convient épatamment. Comme tout se passe bien, j’y vais d’une petite question hors service : n’aurait-il pas une anecdote amusante à me raconter concernant sa vie de garde-salle ?

— Ouais, ouais. Des trucs, y en a toujours ! Un jour, il y a un client qui a oublié ses souliers dans la salle d’attente.

— Il est parti sans ?

— Oui, mais...

Prosper s’arrête, me fait un clin d’œil, imite le mouvement preste de l’homme qui avale un verre.

En tout cas, on en a bien ri « dans la salle ». Prosper a porté les godasses aux objets perdus et continue d’avoir beaucoup de plaisir à l’idée qu’un quidam est allé prendre le train « sur ses chaussettes ».

Il y a aussi ce couple de campagnards qui finissait sur un banc le poulet entamé au buffet face à un demi, un poulet emporté de la ferme bien sûr. Ce qui a amusé Prosper, c’est que c’était l’homme qui engloutissait les meilleurs morceaux, son épouse devant se contenter des reliefs. Le mot de la fin est d’une « "honnêteté » exemplaire : « Bah ! du moment qu’ils ne salissent pas ».

— Et quand il n’y a pas de monde au portillon ?

— Alors on va inspecter les quais, voir si tout est en ordre, jeter un petit coup d’œil.

Si quelque chose cloche, Prosper avertit le responsable, pas le chef. Ça, j’en mettrais ma tête à couper. Prosper me confesse (c’est un mot qui lui convient : dans son cagibi il a l’air de confesser ses paroissiens, au pas de charge) qu’il lui arrive de s’ennuyer : quand il n’y a pas de voyageurs. Lui, il aime le mouvement ; la cohue ne lui fait pas peur.

— Et quand le boulot est fini ?

— Attention, il faut attendre que le camarade soit là. Même s’il est en retard...

Le camarade, c’est son remplaçant, celui qui prend la relève. Donc quand le camarade est en retard, Prosper patiente. Mais si le remplaçant est en avance, Prosper va prendre un verre. Un, mais pas deux !

 Le vélo et le jardin

Pas deux, parce qu’il a la responsabilité d’un véhicule : il fait la route à vélo. Il met douze à treize minutes pour faire les trois ou quatre kilomètres qui séparent son domicile de la gare. « Il y a des virages » fait-il en levant la main. Il me confie qu’il roule encore assez vite et ajoute : « Mais ça, ne le mets pas. » Pardon Prosper : c’était trop tentant.

Ah ! pour ça, il aime le vélo ! Parce que « c’est plus frais », c’est « mieux pour les muscles ». C’est ainsi qu’il vient travailler, même l’hiver, même quand il pleut. Il n’y a vraiment que le verglas ou la neige pour le décourager. Et encore... Quand cela glisse trop fort, Prosper vient à pied. Il fait le trajet en trente-cinq minutes mais il « coupe » : ça veut dire qu’il esquive les virages et prend des raccourcis.

Je fais remarquer à Prosper qu’il jouit de pas mal de loisirs.

Aussitôt je me fais cueillir au menton : « Attention ! (c’est son mot), il faut se reposer, récupérer une heure ou deux. Soit, le matin, soit l’après-dîner ».

— D’accord, Prosper, mais ça te laisse quelque loisir quand même. Qu’est-ce que tu fais ?

C’est assez simple : Prosper a un petit jardin et le cultive. Il m’avoue « J’aime bien ça » et j’aurais mauvaise grâce d’en douter, tant son œil étincelle de plaisir. Tiens, il raffole tellement de ça, qu’il entretient aussi le jardin de son beau-frère qui « n’est pas un jardinier » (ici, j’ai cru discerner une furtive moue de pitié chez Prosper, mais je n’ose rien affirmer). Pourtant, on n’a pas de mal à jardiner. Et on est content quand on voit les légumes pousser. Puis dans son assiette. Notez que Prosper aime aussi beaucoup les fleurs. Il n’y a pas de doute : le jardinage, c’est son passe-temps favori. Hier, il a cueilli des haricots : « Faut voir comme c’est gai ! » dit-il en riant. Sa conclusion est percutante : « Celui qui n’aime pas le jardin, je ne le comprends pas : on prend l’air et on se distrait... » Bien entendu, Prosper n’a pas de pelouse : son jardin est trop petit et, de toute façon, il préfère les légumes. Voilà. Tant qu’à faire, je fais donner ma grosse artillerie :

— Prosper, est-ce que tu es un garde-salle heureux ?

— Ouais !

Ce « ouais » n’est guère franc et massif, alors j’appuie :

— Ça n’a pas l’air de t’aller tellement.

— Si, si. Mais il y a des moments où c’est énervant. Il faut de la patience.

— Tu n’en as pas ?

— Moi, si !

Un temps ! Prosper réfléchit.

— Franchement, je n’ai jamais été malhonnête avec un client. Je n’ai pas été élevé comme ça.

— Alors, heureux ?

— Ben oui ! Mais il y a des clients de toutes les sortes. Il faut parfois ronger son frein... De toute façon, on ne doit jamais « crier »... Toujours l’honnêteté !

— D’ailleurs, conclut-il, celui qui est de mauvaise humeur se fait tort à lui-même.

Vous voulez mon opinion : Prosper est trop secret pour m’avouer son bonheur.

Mais qui peut en douter ?


Source : Le Rail, avril 1978


[1Il s’agit d’une qualification disparue. En mars 1963, il n’y a plus eu que des récoleurs de billets.

Depuis ’72, le récoleur est ouvrier de 2e classe.