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Le petit colis et le trafic des messageries

G. Finet.

mercredi 25 septembre 2013, par rixke

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Le petit colis a son histoire dont certains aspects, rudes et pittoresques, remontent à « l’époque héroïque », à celle qui débute avec le XXe siècle et qui se prolonge au-delà des années ’30.

Jusqu’à ce moment, les conditions de travail des cheminots préposés au service des « petits colis » ont été pénibles et dangereuses. Les « jeunes » du temps, c’est-à-dire ceux qui sont devenus aujourd’hui de respectables septuagénaires en parlent encore avec émotion.

Le « petit colis » à l’inverse d’une marchandise expédiée en wagon complet (houille, ciment, matériaux...) désigne les marchandises remises au chemin de fer par des firmes ou des simples particuliers et dont le poids peut varier de 1 kg - colis postal - à 300 kg : leur acceptation au transport est néanmoins soumise à certaines conditions reprises dans les règlements de la SNCB.

Le premier janvier ’78 marque pour la SNCB le franchissement d’une grande étape dans l’organisation de son trafic de messageries : la mécanisation des informations relatives aux envois de détail, par la mise en service dans ses Centres Routiers de « mini-ordinateurs », d’ordinateurs plus importants dans 5 centres choisis en raison de leur situation géographique et qui servent de liaison entre les « mini-ordinateurs » et « l’ordinateur central » de Bruxelles. Cette étape est l’heureux aboutissement de la mise en application des plus récents progrès en matière d’informatique.

Nous en décrirons l’organisation plus tard et en attendant, nous allons remonter ensemble le cours de l’histoire du « petit colis » en Belgique.

Nos sources d’informations, tout au moins pour les premiers temps, sont inspirées de la plus pure tradition orale : nous avons dû questionner beaucoup d’anciens, car jamais jusqu’ici un historien ferroviaire n’a évoqué dans le détail le sujet qui nous intéresse.

 Les trains de transbordement

Le chemin de fer conserva pratiquement jusque dans les années ‘30 le monopole des transports. Au départ, les échanges de marchandises, surtout de « détail », étaient limités à des aires géographiques bien localisées à l’intérieur desquelles le camion hippomobile servait de trait d’union entre le fabricant et le détaillant.

Au fil du temps, le développement du réseau ferroviaire, l’amélioration du service des trains, l’absorption progressive des compagnies privées par les Chemins de fer de l’Etat, la construction de bâtiments de gares, tous flanqués de hangars ou de magasins (surtout après 1890) provoquent un accroissement constant des échanges de produits finis autrement que par wagons complets.

Si, au début de cette période (1890), beaucoup de colis prennent place dans les fourgons des trains de voyageurs, les chemins de fer organisent autour des années 1900 quelques rares trains de messageries au départ de Bruxelles, et surtout à partir de 1907, moment de la mise en service de Bruxelles Tour et Taxis.

Le « trafic des messageries » est représenté par le transport des « petits colis » chargés ensemble dans des wagons adaptés. Ces wagons spéciaux, reconnaissables aujourd’hui à la bande jaune qui ceinture les wagons, sont appelés communément « les wagons messageries ».

Mais la plupart des wagons de marchandises de détail sont incorporés dans les trains du service ordinaire ou dans les trains mixtes, c’est-à-dire les trains comportant une tranche de matériel « voyageurs » et une tranche « marchandises » [1].

C’est au lendemain de la première guerre mondiale que le trafic des messageries entre dans une phase active avec l’organisation des « trains de transbordement », qui prévalut jusqu’en 1934.

En quoi consistait cette organisation ? En première phase, dans le courant de l’après-midi, un train GV (grande vitesse) collecteur parcourait chaque ligne intéressée par le trafic des « petits colis » et s’arrêtait dans toutes les gares. La composition du train formé au départ de wagons vides était connue des gares : les wagons étaient classés selon un protocole ferme et inamovible. La locomotive du train devait toujours s’arrêter au même endroit du quai des gares desservies. Celles-ci préparaient, au préalable, sur des « aéroplanes » (par allusion aux premiers avions) les colis à charger dans le GV de passage. Il s’agissait de longues charrettes à grandes roues, sans haussettes, dont le plancher arrivait à la hauteur de celui du wagon. Il y avait autant d’ « aéroplanes » sur le quai que de destinations à assurer.

Le système du lotissement existait déjà à l’époque... simpliste, puisque le principe de la voie la plus directe régissait les acheminements. Lorsque le GV s’arrêtait dans une gare, le personnel de céans, le chef garde, le garde et les ouvriers « transbordeurs » s’affairaient le long du train pour respecter les délais requis et « faire l’heure ». Les colis que l’on ne pouvait caser dans un wagon déterminé étaient enlogés dans un wagon « divers ».

Les GV collecteurs régionaux étaient remaniés dans une grande gare « centre ». Des wagons étaient transbordés. Ces opérations se déroulaient souvent dans des faisceaux « marchandises », sans quai, à bras d’homme, de jour et de nuit, avec pour tout éclairage des lanternes à pétrole ou à carbure... et par tous les temps, bien sûr !

Si on ne parvenait pas à transborder un colis pondéreux, il continuait jusqu’à sa destination dans le même wagon.

On a peine à se représenter de nos jours les conditions pénibles et dangereuses de travail qui ont marqué l’époque des « trains de transbordement ». Certes, on avait affaire à un personnel bien spécialisé et les chefs gardes, personnages hauts en couleur et redoutés par le personnel des gares, jouissaient d’un grand prestige. Leur action était déterminante pour le classement des colis et surtout pour la vérification et le collationnement des écritures lors des opérations dans les gares.

 Les quais de transbordement

En 1934, la SNCB réorganise une première fois son trafic de messageries. Pour faciliter et conforter les correspondances des colis de trains à trains, elle met en place 14 quais de transbordement. On abandonne ainsi l’acheminement par la voie la plus courte, sauf cependant pour les colis du régime « express » qui continuent à être remis aux trains de voyageurs.

Les colis ordinaires sont concentrés dans 14 gares « centres » appelées « Quais de Transbordement » : Alost, Anvers Bassins-Entrepôts, Arlon, Bruxelles Petite-Ile, Courtrai, Hasselt, Louvain, Merelbeke, Mons, Namur, Verviers, Bruxelles Tour et Taxis, Chênée et Charleroi Sud. Leur emplacement a été choisi pour faciliter non seulement les manœuvres des wagons reçus par les trains collecteurs mais aussi celles qui intéressent tous les autres trains que concerne le trafic des messageries.

Un quai comprend habituellement trois voies : la voie centrale où on place en déchargement les trains de jonction entre les quais de transbordement ; les voies latérales reçoivent les wagons à décharger en provenance des gares de la zone ou à recharger le lendemain matin à l’aide des colis originaires des autres quais. Dans cette organisation, les colis voyagent en wagon depuis la gare de départ jusqu’à la gare d’arrivée où existe souvent un service de remise à domicile.

Cela permet de réduire les délais d’acheminement mais reste néanmoins coûteux en raison même des moyens mis en œuvre : équipes de manutention nombreuses, organisation de nombreux trains de jonction, acheminement des wagons collecteurs ou distributeurs de et vers les gares de la zone et parfois recours à des « mouvements » spéciaux.

Les événements de la seconde guerre mondiale provoquent la destruction de trois quais de transbordement : Mons, Courtrai et Hasselt. Certaines mesures de rationalisation font qu’en 1948, la SNCB maintient encore en service 8 quais : Anvers Bassins-Entrepôts, Bruxelles Petite-Ile, Bruxelles Tour et Taxis, Charleroi Sud, Chênée, Louvain, Merelbeke et Namur.

L’organisation des services de prise et de remise à domicile est pratiquement restée la même qu’en 1934 : en 1946, il existe 330 services de camionnage desservant 1 384 communes et 6 800 000 habitants, soit 52 % des communes du pays et 80 % de sa population.

 Les centres routiers

Les progrès réalisés dans la technique des transports routiers amorcée dès avant 1940 et la substitution progressive de la traction automobile à la traction hippomobile dans les services de livraison ou de prise à domicile accroissent considérablement le rayon d’action des véhicules. Il devient désormais possible de remplacer l’acheminement intégral par fer, de gare de départ à gare d’arrivée, avec intervention d’un commissionnaire auprès de bon nombre de gares, par un acheminement mixte fer-route qui confie le colis à la route pour les étapes terminales. C’est alors que les Centres routiers font leur apparition. Ceux-ci forment des wagons directs vers les autres Centres routiers du pays, mais quelques destinations exigent néanmoins une escale en cours d’acheminement (entre 10 et 15 % des envois).

Les avantages de l’exploitation des Centres routiers (inaugurés en 1951) apparaissent aussitôt :

  • le service de prise et de remise à domicile est étendu à presque tout le pays (il existe encore ça et là, dans les régions rurales, des dépôts desservis par des commissionnaires) ;
  • les transbordements en cours de route sont considérablement réduits, d’où diminution des risques d’avarie (en principe de moitié) ;
  • amélioration des acheminements et mise en pratique du slogan « colis accepté aujourd’hui, livré demain » (dans la proportion de 85 %) ;
  • productivité accrue par l’équipement des « Centres routiers » en engins motorisés et de manutention, tracteurs élévateurs avec ou sans fourches, transpalettes ordinaires et électriques, diables et tricycles ;
  • diminution du prix de revient du service.

 SNCB COLIS

Le 1er juillet 1966 la SNCB décide de créer un nouvel organe : SNCB COLIS, qui concentre dans une même direction tous les services s’occupant du trafic des messageries. Ainsi naît une organisation nouvelle appliquant les principes d’une gestion industrielle et commerciale destinée à accroître la productivité de l’entreprise : une tarification simple, attractive et assouplie en faveur de certains trafics et la conclusion de contrats particuliers provoquent le revirement d’une conjoncture qui jusque-là a toujours défavorisé le chemin de fer, ses concurrents routiers s’attribuant la desserte des relations les plus rentables.

De 1966 à 1970 SNCB COLIS enregistre une amélioration de son trafic de près de 15 %. Ce niveau a continué à se bonifier au cours des années suivantes : la palettisation, les box-palettes, les collicos, emballages légers repliables, apportent de nouvelles facilités aux expéditeurs ; néanmoins, au cours des trois dernières années, la récession économique a enrayé la progression. La SNCB exploite aujourd’hui 30 Centres routiers qui couvrent pratiquement l’entièreté du territoire. Le chemin de fer répond ainsi à sa fonction de service public.

Parmi les plus importants : Bruxelles Tour et Taxis qui mobilise journellement 205 camions ; Liège Guillemins 70 camions : Anvers BE 68 camions dont 8 pour l’usage exclusif du port ; Charleroi Sud 50 camions ; Hasselt 41 camions ; Gand Est 40 camions ; Mons 32 camions.

Namur, Verviers, Bruxelles Petite-Ile, Tournai, Louvain et Courtrai utilisent moins de 30 camions ; les autres Centres routiers moins de 20. Le Centre routier de Libramont dessert la partie du territoire la plus étendue du pays ; le Centre routier de Hasselt vient en second lieu avec toute la province du Limbourg.

Les Centres routiers d’Anvers BE et de Bruxelles Tour et Taxis sont mécanisés par l’utilisation d’un système de traînage souterrain. Ceux de Gand Est et de Roulers utilisent un système de traînage aérien. Dans les deux systèmes, les chariots transportant les colis chargés au quai d’arrivée des camions sont accrochés à la courroie transporteuse souterraine ou aérienne qui progresse à la vitesse de 30 mètres à la minute. Ils sont décrochés lorsqu’ils parviennent en face du wagon messagerie dans lequel les colis doivent être enlogés.

En 1976, le trafic des envois en Grande Vitesse et des colis postaux s’est élevé à 465 117 tonnes, accusant une baisse de 3 % sur l’année précédente, ce qui paraît dérisoire, compte tenu de l’économie générale et de la récession. (Cette baisse affecte surtout le trafic international mais à Bruxelles Tour et Taxis on a enregistré un trafic journalier de 630 tonnes en 1976 contre 558 tonnes l’année précédente.)

 L’organisation des Centres routiers

Le Centre routier, à ses débuts, se présente comme un vaste hangar fermé, équipé (prenons le cas d’un Centre routier moyen classique) d’un quai central, flanqué de deux voies, tantôt extérieures, tantôt l’une intérieure et l’autre extérieure, sur lesquelles sont placés les wagons en chargement ou en déchargement, selon la phase de travail. La voie extérieure a une fonction mixte : elle est à la fois voie de déchargement des wagons et quai d’accostage pour les véhicules automobiles : elle doit être libérée de ses wagons vers 7 heures du matin pour permettre la mise en place des camions et leur chargement (avant midi) ou leur déchargement (l’après-midi) lorsqu’ils rentrent de tournée avec les colis de la zone recueillis aux domiciles des expéditeurs. Une conception nouvelle des installations prévoit deux voies intérieures où les wagons ne sont plus manœuvres et qui laisse libre en permanence le quai des camions.

Il arrivait aussi qu’on utilisât le vélo...

Tous les documents de transport des colis sont taxés au départ et vérifiés à l’arrivée. L’affranchissement a lieu au moyen de timbres ou par machine spéciale. Les envois en port dû ou contre remboursement font l’objet d’une comptabilité particulière. Ce système est assez complexe : il n’avait subi que peu de modifications au cours des temps. Mais le 1er janvier 1978, ce vieux système est entré dans le domaine de l’histoire des chemins de fer belges, grâce à la mise en service du Traitement intégré des Informations, dont nous parlerons ultérieurement.


Source : Le Rail, juillet 1978


[1Les trains mixtes ont circulé jusqu’après 1945 et dans les derniers temps sur les lignes très secondaires.