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Les liaisons radio sol-train à la SNCB

mercredi 19 mars 2014, par rixke

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Les liaisons radio ne datent pas d’hier à la SNCB. Depuis de nombreuses années, elles sont utilisées dans les gares de formation où des appareils émetteurs-récepteurs mettent en rapport installations fixes, locomotives de manœuvre et agents du triage. Dans les grandes gares à voyageurs, un système analogue permet des liaisons entre les cabines et le personnel.

Un grand pas restait toutefois à franchir dans ce domaine : établir des liaisons radio entre les trains et les installations au sol, et plus précisément les centres de régulation du trafic, communément appelés « dispatchings », liaisons venant compléter les moyens dont disposent déjà les conducteurs : téléphones de signaux, postes d’alarme répartis le long des voies. L’avantage de liaisons radio sur les dispositifs existants est que le contact s’établit instantanément, dès que le besoin s’en fait sentir, et non pas seulement du conducteur vers les installations au sol, mais également de celles-ci vers les conducteurs.

 Au service de la sécurité et de la régularité

Ces conducteurs pourront immédiatement signaler des irrégularités observées sur leur itinéraire (obstacle sur la voie voisine ; signaux éteints ; boîte d’essieu chaude ; portière ouverte ; chargement déplacé sur un autre train ; défaut à la caténaire ; incendie sur les remblais ou... enfants jouant sur la voie...)

une des antennes disposées le long de l’axe Anvers - Bruxelles - Charleroi

On sait que beaucoup de lignes de la SNCB sont actuellement saturées aux heures de pointe et que le moindre incident entraîne souvent des répercussions en cascade sur la régularité des convois. Ces liaisons radio devraient permettre dans bien des cas de réduire les retards, notamment par la mise en contact direct avec le service du matériel en cas d’incident technique à l’engin moteur, par la demande préalable d’un visiteur pour intervention au train dans une prochaine gare... Le dispatching, quant à lui, pourra communiquer au conducteur tout renseignement concernant la sécurité, lui recommander un ralentissement ou même commander un freinage d’urgence lorsqu’un danger lui aura été signalé (avarie de rail, obstacle sur la voie...). La régularité des trains pourra aussi être améliorée grâce à l’échange entre le dispatcher et le conducteur d’informations concernant directement l’exploitation (modifications aux arrêts de train, à son horaire, au roulement des machines et des conducteurs ; changements au programme d’exploitation tels que détournement, dépassement ; transmission d’une consigne dans la marche du train (maintenir une vitesse soutenue, ralentir la marche)...

 Meilleure information à la clientèle

Enfin, le système améliorera le service à la clientèle, notamment par une meilleure information. Le chef de train pourra désormais être mis en contact avec le dispatching et être tenu au courant de la nature des perturbations, du retard prévu, des correspondances qui seront assurées et en avertir immédiatement les voyageurs. En cas de besoin, une assistance médicale pourrait aussi être prévue à la prochaine gare importante en cas de malaise d’un voyageur.

 Un problème complexe

Des liaisons radiophoniques existent déjà depuis longtemps dans les réseaux de transport urbain et les compagnies de taxis. Dans ces cas, les radiocommunications sont échangées dans un rayon déterminé et limité autour d’une seule station émettrice-réceptrice. Le problème est infiniment plus complexe pour le chemin de fer. En effet, la zone d’action de ses liaisons radio doit se limiter aux axes ferroviaires qu’il désire équiper. Il ne s’agit donc pas d’une propagation circulaire, comme pour les transports urbains, mais d’une propagation linéaire, ce qui nécessite le recours à de nombreuses stations fixes réparties le long des lignes et munies d’antennes très directionnelles. Ces stations sont distantes au maximum de 10 km. Pourvues chacune d’un émetteur-récepteur, elles sont connectées à une ligne de transmission commune qui achemine les communications entre les stations fixes et le pupitre de commande du dispatching. L’emplacement de ces stations et la hauteur des antennes doivent être particulièrement judicieux. Il aura fallu, pour les déterminer, toute une campagne de mesures afin de permettre de conserver en tout point de la ligne une liaison de qualité et sans interférence avec d’autres émissions. Cela s’est fait à l’aide de camionnettes avec mât télescopique simulant les stations fixes et d’une voiture de mesures spécialement équipée pour enregistrer les mesures de champ et traiter ces données au moyen d’un ordinateur.

pour assurer de bonnes liaisons radio sol-train, les antennes doivent être très directionnelles

Cette recherche se complique davantage du fait que l’environnement ferroviaire est particulièrement défavorable : nombreux tronçons en courbe et en tranchée, végétation dense constituant des obstacles à la propagation des ondes. La transmission dans les tunnels et spécialement dans la Jonction Nord-Midi à Bruxelles posait également un problème particulièrement difficile, qui fut résolu au mieux. Des difficultés existaient, d’autre part, pour l’installation des postes à bord des locomotives et des automotrices en raison de la présence d’importants courants contrariant émission et réception. Il a donc fallu rechercher un emplacement idéal dans chaque type d’engin moteur.

 Les principes d’utilisation

Le système qui a été adopté à l’issue d’études minutieuses bénéficie d’une technologie de pointe et se distingue à la fois par sa fiabilité et sa simplicité de fonctionnement. On est parti du principe que pour éviter le dérangement continuel du conducteur par une multitude de conversations ne l’intéressant pas, il importait que la liaison radio aboutisse à un seul convoi, sans confusion possible. Cette sélection rigoureuse s’opère par l’introduction du numéro du train dans le processus d’utilisation. Ce numéro accompagne tous les messages envoyés par le conducteur dont le train est ainsi immédiatement identifié par le dispatching.

La liaison radio consiste donc essentiellement (sauf exceptions prévues) en un contact sélectif entre le dispatcher (qui est responsable du trafic sur un tronçon de ligne relativement étendu et qui, dès lors, s’imposait comme partenaire du conducteur) et le conducteur intéressé lui-même, à l’exclusion de tout autre participant. Afin de réduire au maximum les communications, et du même coup résoudre les problèmes linguistiques pouvant se poser, on a prévu la transmission automatique de messages codés qui élimine l’utilisation du micro. Ces messages codés ont été inspirés par la pratique : ce sont ceux qui devraient être utilisés le plus fréquemment. Il suffira au conducteur d’appuyer sur un des dix boutons lumineux « émission », correspondant chacun à un message déterminé, pour qu’un voyant lumineux similaire s’éclaire sur la console du dispatching. De même, celui-ci, par une même manipulation, pourra transmettre un message qui provoquera l’éclairage du voyant « réception » correspondant sur le poste du conducteur. Voici quelques types de ces messages codés :

  • du conducteur vers le dispatcher :
    • je suis en panne, je cherche à me dépanner
    • Je suis dépanné
    • Je suis en détresse
    • Je demande
      • le service 900
      • le répartiteur Matériel
      • le répartiteur Electricité - Signalisation
      • le dépanneur
      • - le visiteur...
  • du dispatcher vers le conducteur :
    • Arrêt immédiat
    • Marche à vue
    • Réduction de la vitesse permise
    • Annulation des messages précédents
    • Incident en ligne
    • Incident grave en ligne
    • Appel à secourir un train en détresse...

 Echange d’informations

Si l’échange d’informations doit se situer en dehors des messages codés, il suffit de presser un bouton pour qu’une liaison phonique soit établie. Une fréquence différente étant attribuée à l’émission et à la réception, la liaison sera établie en duplex, les deux interlocuteurs pouvant se parler et s’entendre simultanément, comme dans une communication téléphonique. Il est également possible de transférer la communication. Par simple composition d’un numéro d’appel sur le poste téléphonique du dispatcher branché sur la console, le conducteur sera mis en relation avec le service du Matériel, (pour, par exemple, demander un conseil en vue du dépannage de sa locomotive), ou le service Electricité-Signalisation, ou tout poste du réseau téléphonique de service. Dans un stade ultérieur, le dispatcher aura également la possibilité d’entrer en contact avec le chef garde. Il lui suffit de transmettre vers le train concerné un message codé qui provoque la diffusion par les haut-parleurs des voitures d’un signal sonore d’appel caractéristique. Le chef garde décroche le combiné téléphonique d’une voiture et se trouve en communication avec le conducteur qui établit la liaison phonique avec le dispatcher. Dans ce cas, le conducteur pourra entendre la conversation par le haut-parleur installé dans le poste de conduite et éventuellement intervenir dans la conversation.

 Appel général : danger

Mais les avantages du système adopté par la SNCB ne s’arrêtent pas là. On a également prévu la possibilité d’un appel général de tous les conducteurs en service sur une ligne déterminée. En cas de danger, le dispatcher de la ligne ou un conducteur peuvent immédiatement le signaler simultanément aux conducteurs de tous les convois situés dans la zone concernée pour que ceux-ci prennent aussitôt les mesures qui s’imposent.

à gauche, le boîtier de commande de l’émetteur-récepteur

Ajoutons encore qu’en cas de relâchement par un conducteur de la pédale de veille automatique (dite autrefois de l’ « homme mort ») pendant plus de trente secondes, un message codé sera transmis automatiquement, signifiant qu’une assistance médicale est requise.

Toutes les conversations et transmissions codées sont en permanence enregistrées par un appareil à bande magnétique situé au dispatching, ce qui constitue une source précieuse de renseignements en cas d’incident. C’est, en fait, la « boîte noire » de tout le système.

 Mise en exploitation

Les liaisons radio sol-train ont d’abord été opérationnelles sur l’axe Anvers - Bruxelles - Charleroi et c’est depuis septembre qu’elles sont effectivement exploitées, grâce à la livraison d’une première tranche de cinquante équipements mobiles. Puis viendra la phase la plus longue, celle qui consiste à généraliser ce système, le prochain axe à équiper étant Ostende - Bruxelles - Liège - Welkenraedt. Le travail s’échelonnera jusqu’en 1986, vu l’ampleur de la tâche et de l’investissement. Quant à l’équipement du parc moteur, il se poursuivra jusqu’en 1987. Le coût total du réseau radio sol-train est estimé (en francs 1979) à 400 millions pour le matériel radio, à 150 millions pour le réseau de stations fixes et à 50 millions pour l’équipement des engins de traction, effectué en régie par la SNCB.

 Débouchés commerciaux

Vu l’importance de ces commandes (auxquelles s’ajoutent celles de mobilophones par la RTT) la firme Bell Téléphone a pu développer des équipements de pointe réunissant performance, fiabilité et encombrement réduit à des prix compétitifs au niveau mondial, ce qui entraînera d’heureuses retombées pour l’économie nationale.

La part belge pour une première phase de l’équipement (déjà en commande) du réseau espagnol se chiffre à 300 millions et du réseau luxembourgeois à 80 millions. D’autres applications pourront être développées à partir du système SNCB en vue de l’équipement de réseaux téléphoniques ruraux dans les régions à faible densité de population pour lesquelles les liaisons par câbles ne sont plus rentables, ce qui laisse espérer des perspectives commerciales considérables au niveau mondial.


Source : Le Rail, janvier 1985