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Ath - Denderleeuw, le dernier souffle

C.O.

mercredi 2 juillet 2014, par rixke

Ce fut un adieu déchirant. La locomotive hurlait comme si elle savait sa fin proche. La chaleur brûlante de son souffle nous frappait le visage alors que le chauffeur jetait une dernière pelletée de charbon sur le feu. Le machiniste, lui, tirait à la barre pour la ramener, définitivement, au garage, ultime arrêt avant le musée.

 Cent trente et un ans de traction à vapeur en Belgique

Lors du dernier départ, des enfants agitaient des petits drapeaux verts. Une fanfare, venue de Bruxelles à Denderleeuw pour l’occasion, jouait une marche au timbre particulièrement perçant. Sans doute l’intention était-elle d’étouffer les sifflements stridents qui, à travers la brume, retentissaient comme une sirène...

 Des cadeaux inaccoutumés

Désiré Van Oost, le machiniste et Jules D’Hoker, le chauffeur, tous deux originaires d’Alost, allaient être comblés de largesses.

A Rebaix, la locomotive s’arrêta une première fois et les deux hommes reçurent un petit cadeau. A La Cavée, le scénario se reproduisit. Quant à la machine, elle semblait comprendre qu’elle ne devait pas se plaindre. Après tout, ses deux accompagnateurs, en ce jour, ne lui demandaient pas de trimer. Elle pouvait rouler tranquillement. A Grammont, elle eut même droit à une escale de cinq minutes et les deux compères se virent offrir une petite « goutte » contre le froid. Elle ne leur en voulait pas : durant quatorze ans, ils avaient bien pris soin d’elle.

Baulers

Elle pouvait envisager un repos bien mérité mais ses deux camarades, eux, seraient contraints de se recycler pour se familiariser à des machines plus jeunes et plus dynamiques. Et en la circonstance, elle joua le jeu. Elle donna l’impression d’être à bout de souffle lorsqu’elle entra en gare de Schendelbeke, Idegem et Zandbergen. Une fois les voyageurs de marque, d’appartenance très digne, installés et accoutumés à son allure indolente, elle marqua aussi l’arrêt à Okegem et Iddergem. Cela plaisait aux enfants ; elle le comprit à leurs cris. Les adultes appréciaient aussi : ils accouraient pour la photographier et lui donner une petite tape en guise de remerciement pour les nombreux services rendus. C’est du moins ainsi qu’elle le ressentait...

 Réception solennelle à Denderleeuw

Elle ne s’attendait pas du tout à cette réception. C’était trop d’honneur. Deux mille personnes l’acclamèrent. La fanfare se joignit à la fête. Des marches et des refrains populaires, qu’elle avait pourtant entendus des centaines de fois lors des kermesses dans les villages, conféraient un air charmant à l’événement...

 La fête est finie

La locomotive déclassée se trouvait alors seule, délaissée, sur une voie de garage à la gare de Denderleeuw. Son passé, avait-on dit, était glorieux et on travaillait au futur. Elle avait accompli tout ce qu’elle devait et pouvait faire. Il ne lui restait plus que la satisfaction de pouvoir figurer au musée, sous le numéro 29013, pour y être admirée par la postérité en tant que « dernière locomotive à vapeur belge ». Le ministre le lui promit in extremis.

Ainsi parlait W. Hofmans le 21 décembre 1966 dans les colonnes de « Het Volk ».

20 ans se sont depuis écoulés mais la locomotive à vapeur 29 013 a toujours bon pied bon œil. Vous allez voir...

La 29 013 est arrivée en Belgique, avec un contingent de 300 autres, en 1946, afin de remplacer celles que la guerre avait malmenées.

220 étaient d’origine canadienne et 80 d’origine américaine : la 29 013 a été livrée par la « Montréal Locomotive Works ».

En 1966, lors de son ultime voyage, elle avait parcouru près d’un million de km et utilisé quelque 20 000 t de combustibles ! On l’avait oubliée jusqu’à l’année dernière : pour les 150 ans des chemins de fer belges, « la » locomotive à vapeur tint le haut du pavé !

C’est alors que les clubs ferroviaires de tous poils se manifestèrent : plutôt que de laisser les locomotives à l’abri des musées, autant les sortir en organisant des excursions spéciales.

C’est ainsi que cette année, notre loco type 29 a assuré deux trains spéciaux, l’un le 29 juin en Campine, l’autre le 28 septembre à Mariembourg.

Et on se l’arrache cette loco ! A coups de films, sous tous les angles, sous toutes les coutures. D’aucuns risquent même leur peau pour fixer sur leur pellicule ses moindres recoins.

On le constate : les locomotives à vapeur plaisent toujours.

Pour celles et ceux qui auraient raté ces rendez-vous, qu’ils ne s’en fassent pas. Chaque année, les clubs ferroviaires et la direction commerciale (63.22) organiseront dorénavant deux trains spéciaux avec sans doute autant d’arrêt pour les photographes et les mordus de la mécanique que cette fois-ci.

A vos caméras, donc !


Source : Le Rail, décembre 1986