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Proposition pour un réseau européen à grande vitesse

J.-J. Dubuisson.

mercredi 16 septembre 2015, par rixke

Confortée par les excellents résultats des premières réalisations (TGV en France, BVWP en république fédérale d’Allemagne et Alta Velocita en Italie), l’idée de la grande vitesse ferroviaire s’est imposée progressivement, au cours des dernières années, dans les milieux économiques et politiques, au point que la réalisation d’un « réseau européen à grande vitesse » ne relève désormais plus du tout de l’utopie.

Après de multiples réunions de réflexion avec les instances européennes, les Sociétés nationales de chemins de fer appartenant à la CEE, auxquelles se sont jointes celles de la Suisse et de l’Autriche, groupées sous la dénomination de « Communauté des chemins de fer européens », viennent de déposer leur projet de réalisation concrète.

Les résultats des études techniques et économiques réalisées à cette occasion confirment que le développement de la grande vitesse constitue bien un axe stratégique de tout premier plan, compte tenu des nouvelles perspectives ouvertes par la mise en place du marché unique européen.

Cette mutation est en effet porteuse d’espoir pour les chemins de fer européens dans la mesure où, en leur garantissant un rôle essentiel dans le développement des échanges, elle contribuera de façon substantielle à l’amélioration de leur situation financière.

Si les études montrent l’intérêt qu’ont les différents réseaux à favoriser la grande vitesse à l’échelon européen, elles mettent également en évidence les retombées bénéfiques pour l’ensemble de la collectivité en termes de développement industriel, de création d’emplois, de sécurité, d’environnement, d’économie d’espace utilisé et d’énergie.

Son impact sur le développement régional est également prometteur. Ainsi, en améliorant l’accès aux zones périphériques, le réseau européen à grande vitesse devrait favoriser leur intégration dans le marché unique et accroître, pour les plus défavorisées d’entre elles, les possibilités de combler leur retard.

 Le contexte européen est favorable à la grande vitesse ferroviaire

La répartition géographique des métropoles européennes constitue un contexte particulièrement favorable à la grande vitesse dont le domaine de prédilection se situe dans des gammes de distances allant de 200 à 1 000 km pour des relations de jour et de 1 500 à 2 500 km pour des trajets nocturnes. En raison des contraintes d’un tracé hérité, pour l’essentiel, du XIXe siècle, le chemin de fer n’a pas pu bénéficier, contrairement aux autres modes de communications, de la progression du marché des transports en Europe faute d’infrastructures adaptées aux technologies nouvelles.

Aujourd’hui, le seuil de saturation étant quasiment atteint par les transports tant routiers qu’aériens, les trains à grande vitesse sont en mesure d’apporter une réponse efficace aux besoins de mobilité sans cesse croissants.

 Régions denses à potentiel économique élevé

La population des douze pays de la Communauté européenne s’élève à quelque 320 millions d’habitants répartis sur une superficie de 2,25 millions de km2, soit une densité moyenne d’environ 140 habitants par km2.

Le poids de l’histoire a largement contribué à une répartition inégale des populations. Ainsi, la densité varie de 1 à 7 entre l’Irlande et les Pays-Bas. Cette situation n’est cependant pas figée : de façon générale, ce sont les régions méridionales qui font preuve du dynamisme démographique le plus important.

Quatre grands centres urbains rassemblent, à eux seuls, plus de 30 millions d’habitants : l’agglomération Rhin-Rhur (9,8 millions d’habitants), l’agglomération parisienne (8,7 millions d’habitants), l’agglomération londonienne (6,7 millions d’habitants) et le Randstad aux Pays-Bas (6 millions d’habitants). Ils constituent aussi les zones les plus riches. Leur produit intérieur brut est trois fois supérieur à celui de la Grèce ou du Portugal.

Cependant, toutes les régions enregistrent des évolutions positives que la perspective du grand marché européen devrait accroître encore à moyen terme.

La mise en place d’un réseau à grande vitesse s’inscrit donc logiquement dans le contexte de relations multiples déjà existantes ou en devenir.

 Le chemin de fer n’a pas profité de la croissance passée

Si l’on se réfère à la période 1970-1985, l’analyse de l’évolution respective des trafics aériens et ferroviaires montre une dégradation régulière des parts du marché du chemin de fer.

Alors qu’en 1970, le marché global des passagers se répartissait en deux parts égales entre le chemin de fer et l’avion, quinze ans plus tard, ce dernier a non seulement absorbé la totalité de la croissance du marché, mais aussi détourné une partie du trafic ferroviaire.

Quant au trafic routier, par autocars et voitures particulières, il a crû en moyenne de 3,2 % par an au cours du même laps de temps, favorisé, il est vrai, par un réseau autoroutier qui est passé de 14 000 à 33 000 km.

Face aux progrès résultant de l’évolution des technologies et du développement des infrastructures routières et aériennes, le chemin de fer a été dans l’impossibilité de faire bénéficier sa clientèle des progrès technologiques faute d’infrastructures adaptées aux exigences de la seconde moitié du XXe siècle.

Des trajets rapides en site propre devraient permettre au train de reconquérir la part qui lui revient.

 La saturation des transports : une opportunité pour la grande vitesse ferroviaire

Le taux de croissance du trafic aérien fait peser sur celui-ci une réelle menace de saturation déjà sensible en période de pointe. Quant à la route, certaines zones connaissent des phénomènes permanents de congestion (Ranstad-Hollande) ou périodiques (vallée du Rhône).

Outre le mécontentement de la clientèle, la saturation des voies aériennes et autoroutières génère un gaspillage des ressources énergétiques que l’on peut estimer à 3 % du produit intérieur brut de la CEE.

La construction de nouvelles infrastructures (aérogares et autoroutes) pour faire face à cette évolution se heurtera de plus en plus aux contraintes de défense de l’environnement et d’utilisation du sol. En l’absence de solutions nouvelles, l’Europe sera confrontée au dilemme suivant : soit préserver l’environnement et freiner la croissance de mobilité, soit satisfaire celle-ci au prix d’atteintes irrémédiables au milieu. La technique ferroviaire, caractérisée par la modestie de ses besoins d’espace et le caractère limité de ses atteintes à l’environnement peut ouvrir une troisième option, axée sur une offre de qualité (réduction des temps de parcours, confort, fréquence, dessertes directes, fiabilité et sécurité).

Des signes précurseurs d’une telle évolution sont déjà perceptibles ; ils se manifestent par l’abandon du recours au service aérien sur les courtes distances (Paris-Genève, par exemple).

 La planification d’un développement progressif du réseau européen à grande vitesse

La Communauté des chemins de fer européens propose « trois images » de réseau construites à partir des plans ou projets nationaux, associées à trois horizons temporels.

Elle souhaite que ce projet serve de base pour :

  • Fixer les idées en ce qui concerne le développement progressif du réseau européen à grande vitesse ;
  • Evaluer l’impact de ce réseau sur le volume du trafic ;
  • Dégager les premiers éléments d’appréciation de la rentabilité.

Le réseau V1 (figure 1)

Cette première image se profile à l’horizon 1995, milieu de la prochaine décennie. Elle représente une configuration très probable compte tenu des projets déjà décidés, voire en cours.

Figure 1

L’ossature de la grande vitesse est désormais fixée dans les six réseaux BR, DB, FS, RENFE, SNCF et DSB. La réalisation du trajet Paris - Bruxelles - Cologne - Amsterdam et du tunnel sous la Manche constitue l’amorce d’un réseau Nord-Européen intégrant la SNCB et les NS.

Le réseau V2 (figure 2)

La seconde étape est associée à l’échéance de 2005, soit à une époque où la majeure partie des plans nationaux est réalisée. Cette configuration correspond déjà à un véritable réseau à l’intérieur d’un périmètre de base « Londres - Hambourg - Munich - Marseille - Bordeaux ».

Figure 2

Un tel réseau est cependant encore mal relié à l’Italie en raison de l’absence de connexions nouvelles et performantes, sauf s’il était décidé d’accorder des priorités financières aux liaisons correspondantes.

Le réseau V3 (figure 3)

Le réseau V3 s’apparente à une vision d’avenir des chemins de fer européens dans la mesure où il intégre cette fois les maillons manquants, dont différentes figures de traversées alpines.

Figure 3

Dans l’état actuel des mentalités, il ne serait pas raisonnable de prédire sa réalisation avant une trentaine d’années.

Il n’est cependant pas interdit de penser que des volontés politiques fortes, confortées par la valeur de l’expérience acquise, puissent jouer un rôle accélérateur dans le processus de développement.

La configuration conforme à la figure 3 reprend les lignes actuelles sans lesquelles le réseau ne saurait être considéré comme complet, c’est-à-dire : lignes de maillage pour relier entre eux les tracés à grande vitesse et lignes de prolongements destinées à assurer l’accès aux zones périphériques.

Le réseau d’ensemble s’étend sur 30 000 km dont 19 000 km de lignes nouvelles ou aménagées, complétées par 11 000 km de voies de raccordement ou de prolongement.

 Un système de transport d’intérêt communautaire

Au-delà de la rentabilité économique et financière qu’un réseau européen à grande vitesse est susceptible de dégager au niveau des sociétés de chemins de fer, on peut se convaincre de son utilité, sinon de sa nécessité, en mettant en évidence les avantages socio-économiques qu’il induit pour l’ensemble de la collectivité.

Enfin et surtout, le développement d’un tel réseau apparaît comme un grand projet mobilisateur et fédérateur pour l’Europe, dans la mesure où il peut contribuer de manière significative à son intégration économique, sociale et culturelle ainsi qu’en tant qu’instrument de renforcement des solidarités et de cohésion interne.

 Des avantages importants pour la collectivité

S’il est incontestable que les principaux bénéficiaires du projet, sont les voyageurs en raison de l’importance des gains de temps réalisés (voir tableau 4), il convient de souligner l’aspect sécurité du trafic ferroviaire dont la probabilité d’accidents est 125 fois plus faible que pour les usagers de la route. Ainsi, 54 000 personnes trouvent la mort chaque année sur les routes européennes. Même si le risque est mal perçu par l’opinion publique du fait, notamment, du caractère dispersé des accidents, cela représente un coût socio-économique proche de 2,5 % du produit intérieur brut, selon des estimations convergentes effectuées par la plupart des pays.

BRUXELLES - PARIS 1H20 2H26
BRUXELLES - LONDRES 2H 4H59
BRUXELLES - COLOGNE 1H40 2H13
BRUXELLES - AMSTERDAM 1H30 2H41
BRUXELLES - FRANCFORT 2H40 5H28
PARIS - MADRID 7H45 20H35
PARIS - BARCELONE 4H45 13H05
PARIS - LONDRES 2H10 5H12
PARIS - MARSEILLE 3H 4H45
PARIS - MILAN 5H20 7H30
PARIS - MUNICH 4H50 9H09
PARIS - FRANCFORT 3H 6H15
COLOGNE - HAMBOURG 3H30 3H56
COLOGNE - AMSTERDAM 2H05 3H04
COLOGNE - BÂLE 2H55 4H30
COLOGNE - FRANCFORT 1H 2H13
COLOGNE - MUNICH 3H30 6H28

Ce tableau 4 donne à titre indicatif un aperçu des temps de parcours entre trois des principaux nœuds du réseau européen dans l’avenir (phase terminale) ; les temps actuels sont repris à droite du tableau.

De façon plus générale, le transport par fer constitue un moyen puissant pour limiter les atteintes au milieu, sans restreindre pour autant l’offre de transport. Il est inutile de s’étendre encore sur les nuisances (pollution atmosphérique) provoquées par les gaz d’échappement, par contre, il convient peut-être de souligner qu’en terme d’utilisation du sol, les emprises nécessaires sont largement moindres pour le rail et peuvent se situer dans des zones moins sensibles du point de vue de l’environnement.

Sur le plan énergétique, les trains à grande vitesse sont particulièrement performants puisque, à 300 km/h, ils permettent d’atteindre des consommations unitaires, exprimées en équivalent pétrole, de l’ordre de 1 litre aux 100 km par siège offert.

Le développement des systèmes à grande vitesse exercera une influence bénéfique sur l’industrie des travaux publics, des équipements et des matériels ferroviaires, jouant ainsi un rôle significatif de soutien de l’emploi à l’intérieur de la communauté. Cet impact s’étend à des secteurs plus diversifiés que ceux concernés par les investissements autoroutiers, ce qui induit un effet de diffusion à tous les niveaux de l’activité économique.

 Un accélérateur pour l’intégration européenne

A la veille du grand marché de 1993, on parle de plus en plus d’une Europe constituée de régions transnationales ou « d’eurozones », dont la mise en place pourrait être largement favorisée par l’implantation d’un réseau ferré à grande vitesse.

Ainsi, au cœur du triangle Paris-Londres-Rotterdam, le vaste territoire à cheval sur la frontière franco-belge (le Nord-Pas de Calais, le Hainaut et le Courtraisis) fait déjà l’objet d’études [1] en vue de développer, au départ des synergies existantes entre Tournai - Mouscron et Lille - Tourcoing, des intégrations économiques, commerciales, industrielles et culturelles.

Les acteurs locaux sont convaincus que le quadrillage de leur région par le TGV-Nord, le tunnel sous la Manche et le réseau autoroutier en place offre de vastes opportunités nouvelles.

La décision des autorités françaises d’électrifier la ligne Lille-Tournai, dans le but de favoriser l’acheminement des marchandises en provenance du Royaume-Uni, ne fait que confirmer la volonté de créer un contexte favorable.

De part et d’autre de la frontière, un choix fondamental se dessine : maximiser sur l’ensemble de la zone transfrontalière, les retombées du nouvel espace européen de communication dans une perspective de désenclavement de bassins industriels confrontés aux mêmes contingences de reconversion économique.

Cet article a été réalisé à l’aide d’une documentation publiée par l’UIC en janvier 1989.


Source : Le Rail, août 1989


[1Côté belge, rapport intermédiaire, rédigé par l’équipe de Recherche interdisciplinaire en développement régional (RIDER).

Côté tançais, étude de préfiguration confiée par la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) à une société de consultants.