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Le dossier TGV

ir. R. Soenen.

mercredi 7 octobre 2015, par rixke

ir. R. Soenen, Directeur du département Matériel à la SNCB, est aussi chargé de conduire une équipe multidisciplinaire internationale qui coordonne ou réalise, selon le cas, les diverses études et opérations nécessitées par la progression du dossier TGV en ce qui concerne la SNCB. A ce titre, il nous livre ici une première information synthétique sur ce projet fondamental.

Aucun dossier de la SNCB n’a probablement jamais autant occupé la première page des journaux que celui du train à grande vitesse. De plus, les commentaires les plus invraisemblables et souvent inexacts lui ont été consacrés, à cause de prises de positions émotionnelles, d’approches subjectives et, bien souvent par défaut d’information.



Aussi allons-nous mettre en lumière quelques aspects intéressants de ce très vaste dossier et les situer dans leur contexte exact.

 Il était une fois en France...

Chacun sait évidemment que la SNCF est le berceau des trains à grande vitesse en Europe. Bien peu toutefois sont conscients de ce que cette réalisation ne fut ni simple ni évidente.

Un symbole : l’ICE allemand et le TGV atlantique à Liège Guillemins le 18 juin 1988.

De nombreuses expériences, entreprises dès les années soixante, ont tout d’abord dû démontrer que les hautes vitesses commerciales jusqu’à 300 km/h avec le système roue/rail classique n’engendraient aucune difficulté technique insurmontable et offraient une marge de sécurité suffisamment élevée, moyennant des choix adéquats de matériel roulant et d’infrastructure.

L’état actuel de la technique et l’expérience acquise permettent d’ailleurs de prévoir des vitesses de 350 km/h pour l’an 2005.

Sur base de ces résultats expérimentaux, la SNCF devait encore prendre deux décisions particulièrement importantes, à savoir :

  • Donner le feu vert à la poursuite du développement d’un tram à grande vitesse grâce auquel la zone dans laquelle le chemin de fer est concurrentiel, se trouve multipliée par trois (jusqu’à des distances de 600 à 1000 km) ;
  • Doubler la ligne existante Paris - Lyon, qui arrivait à saturation, par une ligne à grande vitesse entièrement neuve, qui serait réservée exclusivement au trafic voyageurs. Ceci permettait de garantir la qualité de la voie pour des coûts d’entretien minimaux.

NB : A propos de cette dernière option, subsiste toujours une controverse entre le choix SNCF (charge limitée à 17 tonnes par essieu et trafic voyageurs exclusivement) et le choix DB (19 tonnes par essieu et trafic mixte voyageurs et marchandises de caractéristiques déterminées). La DB n’a toutefois pas encore acquis une expérience suffisante pour pouvoir formuler un choix définitif à ce sujet.

Dans l’intervalle, nous savons que cette première ligne à grande vitesse en Europe — Paris - Lyon —, en service depuis 1981, fut un fantastique succès qui a largement dépassé les espérances les plus élevées :

  • Actuellement plus de 18 millions de voyageurs par an (jusqu’à 90 000 voyageurs les jours de pointe) ;
  • Jusqu’à 3 000 km par rame TGV les jours de pointe ;
  • Nombre de voyageurs par voie entre Paris et Lyon multiplié par un facteur 2,4 ;
  • Investissements d’infrastructure et de matériel amortis en moins de 10 ans.

Par la suite, ce réseau s’est étendu de Lyon à tout le sud-est de la France. La mise en service du TGV Atlantique en septembre 89 est la suite logique de ce roman à succès.

Pour l’avenir, figurent encore au programme : le TGV Nord (Paris - Lille, 1993), le TGV Est (Paris - Strasbourg - sud de l’Allemagne, 1996) et l’Interconnexion (1994) qui reliera entre elles toutes les lignes TGV par une grande boucle en forme de croissant à l’est de Paris.

 Comment le conte de fées devint européen...

Le reste de l’Europe n’était toutefois pas demeuré passif dans l’intervalle. Dès le 18 juillet 1983, les ministres des Transports d’Allemagne, de France et de Belgique avaient donné pour mission à un groupe de travail tripartite d’étudier une liaison à grande vitesse entre Paris, Bruxelles et Cologne. En 1984, les Pays-Bas s’associèrent à la poursuite des études, en vue d’une liaison vers Amsterdam et, depuis 1985, le trafic du tunnel sous la Manche, avec une liaison vers Londres, fut également pris en considération. La décision de construire le tunnel sous la Manche eut en effet pour conséquence que le projet initial se développa jusqu’à devenir la plaque tournante d’un réseau ferroviaire européen à grande vitesse.

Dans une série d’études successives, tous les aspects du problème furent examinés en profondeur : faisabilité économique, implications juridiques, possibilités de financement. On souhaitait en effet ne pas prendre de décisions aventureuses ni s’engager imprudemment.

Le Pendolino et l’ETR 500, le futur TGV italien.

Le concept de la grande vitesse faisait tache d’huile.

En effet, tant la Commission européenne (en 1986) que le Parlement européen (en 1987) exprimèrent le souhait de voir édifier un réseau européen à grande vitesse.

Le groupe des 12 réseaux européens de chemins de fer de la CEE, étendu à l’Autriche et à la Suisse, se basa sur ce souhait pour élaborer un plan ambitieux, présenté à la Commission européenne au début de 1989.

Ce plan propose un vaste réseau européen a grande vitesse avec d’importants axes est-ouest et nord-sud, plan qui pourra être réalisé en différentes phases d’ici l’an 2015. (Voir Le Rail du mois d’août 1989).

Il s’agit d’un plan très important qui prévoit 9 100 km de nouvelles lignes à grande vitesse, 9 900 km de lignes adaptées à la grande vitesse (> 200 km/h), 6 500 km de lignes de maillage et 4 500 km de lignes de prolongement.

L’ensemble représente un investissement total de 90 milliards d’écus (valeur 1985) dont une part, correspondant à 15 milliards d’écus, a déjà fait l’objet de décisions de principe ou est dès à présent en cours d’exécution. Ce montant à première vue énorme ne représente en réalité que 10 écus par habitant et par an jusqu’en 2010 ou 5 paquets de cigarettes par an.

La preuve que ce projet est manifestement en bonne voie réside dans une série de décisions à court ou moyen terme qui se sont succédées rapidement dans divers pays :

  • Le réseau italien « Alta Velocita » ;
  • Le plan de transport espagnol, avec la décision historique d’utiliser l’écartement standard UIC pour les lignes rapides, de même que la décision de réaliser un prolongement vers le Portugal ;
  • Le projet danois avec, entre autres, un viaduc sur le Grand Belt ;
  • Les projets grecs et portugais ;
  • Le plan suisse « Rail 2000 » et le « Neue Bahn » autrichien ;
  • Les nouvelles traversées alpines entre le nord de l’Europe et l’Italie.

Une véritable dynamique de la grande vitesse s’est ainsi développée en Europe.

 Comment nous, les belges sommes concernés

Comme nous l’avons déjà signalé, la Belgique était, dès 1983, partie prenante dans les études internationales.

Tant du fait de sa position géographique au carrefour d’importants axes de trafic en Europe qu’en raison de sa vocation de siège de la CEE et de lieu d’implantation de nombreuses sociétés internationales, il est impensable d’exclure la Belgique du trafic avec la Grande-Bretagne via le tunnel sous la Manche (projet TransManche) ou du projet continental qui doit assurer la liaison entre Paris, Bruxelles, Amsterdam, Cologne et Francfort (projet PBKF/A).

L’accord de gouvernement de 1988 comprenait nombre d’éléments importants relatifs au dossier TGV, auxquels on s’est toujours tenu dans les négociations internationales ultérieures.

Citons ainsi :

  • Le TGV doit être conçu comme un ensemble qui, intégré dans le réseau européen, reliera les frontières française et allemande via arrêts à Bruxelles et Liège, ainsi que les frontières française et néerlandaise, via arrêts à Bruxelles et Anvers ;
  • En concertation avec les régions, le gouvernement fera établir préalablement un rapport relatif à l’incidence du TGV sur l’environnement ;
  • Le TGV doit être relié de manière optimale au trafic intérieur et contribuer à améliorer celui-ci, ce qui implique la modernisation et l’électrification de différentes lignes existantes ;
  • Le TGV proprement dit et les frais écologiques supplémentaires seront financés sur la base de sa rentabilité, sans répercussions sur le budget de l’Etat ;
  • Les exécutifs régionaux seront associés à la conception et à la réalisation du projet ;
  • Le TGV circulera en partie en site propre avec une capacité de 300 km/h et en partie en site existant, pour lequel la capacité doit être adaptée, afin de réaliser une vitesse maximale. Pour les parties du site existant qui servent à la fois au TGV et au réseau intérieur, le coût de l’investissement sera réparti entre le projet TGV proprement dit et le réseau intérieur financé par le budget de l’Etat, selon une clé de répartition à fixer.

Sur la base de cette déclaration gouvernementale, le ministre Dehaene put, lors de la conférence ministérielle de Francfort en octobre 1988, en accord avec ses collègues, approuver le principe de l’établissement du réseau à grande vitesse. Les chemins de fer reçurent aussi pour mission de prouver que le projet était financièrement réalisable.

Ce dernier aspect n’était pas évident pour la Belgique et les Pays-Bas.

La branche depuis la frontière française jusqu’à Bruxelles ne posait aucun problème : elle pouvait être financée sur base de ses propres recettes.

Les branches situées au nord et à l’est de Bruxelles (vers les Pays-Bas et l’Allemagne) ne le pouvaient toutefois pas et, dans le cadre de négociations avec les autres réseaux (SNCF et DB), il fallut faire appel à leur solidarité, sous diverses formes, pour augmenter nos recettes.

Le plan originel prévoyant d’établir partout de nouvelles lignes aptes à être parcourues à 300 km/h n’apparaissait pas non plus financièrement réalisable. Le projet devait être optimalisé, ce qui signifie que certaines parties du trajet devaient être réalisées avec des coûts d’investissement moindres, pour de moins hautes vitesses. Lors de ces choix, on tint bien entendu compte des zones les plus sensibles sur le plan des conséquences pour l’environnement.

Malgré le fait que l’Etat finance la part des investissements qui profitent au trafic intérieur, il est encore apparu finalement qu’une aide financière de la part de la CEE était aussi nécessaire.

Compte tenu de la très grande importance de ce projet pour la mobilité en Europe et eu égard aux avantages du chemin de fer pour l’environnement par comparaison aux autres modes de transport, cette intervention de la CEE ne posait pas de problème insurmontable.

Grâce à cet ensemble de moyens, la faisabilité financière du projet TGV en Belgique pouvait être atteinte.

 Quels sont les atouts d’un réseau européen à grande vitesse ?

Nous pouvons constater tous les jours que les trafics routier et aérien arrivent de plus en plus à saturation. Les pourcentages de croissance de la mobilité attendus du fait de l’ouverture des frontières et des marchés en Europe n’amélioreront certes pas cette situation.

Un rapport international évalue la perte de temps et le gaspillage d’énergie qui résultent des embouteillages sur les routes dans les pays de la CEE entre 90 et 110 milliards d’Ecus pour l’année 1986 (4 300 milliards de FB).

L’AEA (Association des Compagnies européennes de navigation aérienne) prévoit que la moitié des 46 principaux aéroports européens seront saturés à partir de 1995. La Lufthansa estime à 5 millions de DM le prix de revient des 5 000 heures de vol supplémentaires qui ont dû être assurées en 1987, du fait de l’encombrement de l’espace aérien.

En outre, l’établissement de nouvelles infrastructures routières ou destinées à la navigation aérienne aptes à faire face à la croissance du trafic, se heurtera de plus en plus aux exigences en matière de protection de l’environnement et d’utilisation des sols. Dans de telles conditions, la technique ferroviaire, caractérisée par ses besoins limités en espace et par son grand respect pour l’environnement, peut offrir une troisième option plus que valable, moyennant une offre qualitativement compétitive de trains à grande vitesse (temps de parcours, confort, fréquence, dessertes directes, fiabilité et sécurité).

Les chiffres suivants, fruits de nombreuses études parlent d’eux-mêmes.

  • Une ligne de chemin de fer classique à double voie offre une capacité de transport moyenne au moins égale à celle d’une autoroute à 2 x 3 bandes de circulation, mais la ligne de chemin de fer exige par contre trois fois moins d’espace.
  • 8 000 km de lignes nouvelles absorbent deux à trois fois moins d’espace que la totalité des aéroports commerciaux existants en Europe.
  • Si l’on exprime la pollution de l’environnement en unités comparables (équivalent monoxyde de carbone), il apparaît alors que le transport de personnes par route est 8,3 fois plus polluant que le même transport par rail. Quant au transport de marchandises par route, il est 30 fois plus polluant que le transport par rail.
  • L’université de Delft est arrivée à la conclusion que le trafic automobile aux Pays-Bas coûtait de 4,2 à 6,2 milliards de florins à la société.
  • Un TGV produit un niveau de bruit inférieur à un train corail roulant à 160 km/h.
  • Dans l’ensemble formé par la Communauté européenne, la Suisse et l’Autriche, le risque d’accident de la route est 125 fois plus élevé que le risque d’accident ferroviaire. Annuellement, onrecence54 000 morts et 1,7 million de blessés dans les accidents de la route.
  • La consommation d’énergie spécifique dans le transport de personnes par route est 3,5 fois plus importante que par rail. Pour le transport des marchandises, cette consommation est même 8,7 fois plus élevée !
  • La SNCF a constaté que le TGV Atlantique, avec ses 300 km/h ne consommait que l’équivalent d’un litre aux 100 km à la place offerte.

Nous pouvons conclure de tout ceci que, compte tenu des perspectives actuelles de croissance de la mobilité, une politique qui a pour but d’accroître les prestations des chemins de fer et d’augmenter ses parts de marché ne peut être considérée que de façon positive au regard de notre environnement naturel et humain.

Dans une prochaine contribution, nous aborderons le matériel et le choix des tracés.


Source : Le Rail, janvier 1990