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Témoins d’hier

P. Pastiels.

samedi 8 juillet 2017, par rixke

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Fermons un instant les yeux, oublions nos soucis, l’exaspération citadine, le tumulte quotidien, laissons notre pensée s’apaiser un peu... Les illustrations d’anciennes cartes postales nous invitent à la rêverie. Des souvenirs surgissent de la nuit des temps et éveillent en nous le doux murmure d’un passé peut-être révolu mais toujours vivace. Au fond du cœur gonfle lentement un long soupir fait de rires et de larmes, de couleurs et de deuil. Des détails insignifiants reviennent tout à coup à la surface et s’animent. Des songes mornes et jaunis s’irisent brusquement. Des visions, que nous croyons perdues à tout jamais, renaissent. Leurs images impalpables s’embellissent dans le dépouillement, car le souvenir, au profit de l’avers, abandonne vite le revers de la médaille. Charme des vieilles photographies et des cartes postales anciennes, mais aussi documents précieux, historiques, qui peuvent nous restituer des vues du passé.

A se pencher sur ces vénérables documents, de la nostalgie peut germer chez certains d’entre nous ; nostalgie d’un temps plus paisible, quoique plus dur, où les choses respiraient la simplicité, la joie de vivre : c’était la « Belle Epoque » ! Parfois un sourire se dessinera sur les lèvres des plus jeunes en voyant, çà et là, des signes pittoresques d’une ère dépassée. Nous serons justes envers nos aïeux et nous respecterons les efforts qu’ils ont entrepris pour nous assurer une meilleure vie.

Si vous le voulez bien, nous allons parcourir ensemble, pendant de nombreux mois, des sites ferroviaires de Belgique qui ont disparu totalement ou ont été modifiés à la suite de modernisations nécessaires au développement de nos chemins de fer. Ouvrons au hasard ce bel album de souvenirs.

Voilà, nous sommes partis ! Le vieux tortillard de naguère s’ébranle en poussant quelques jurons de vapeur. La voie est ouverte pour donner libre cours à nos rêves, à la joie de revoir ou de découvrir ces monuments de pierre et de fer qui ont été déclassés mais qui seront classés dans nos cœurs !

Photo 1 : Doische La Gare (Frontière Belge)

Grâce à la photo 1, nous arrivons, aux confins de l’Entre-Sambre-et-Meuse, à Doische, gare frontière sise au croisement de la ligne Chimay – Mariembourg - Hastière, exploitée par la compagnie de Chimay (les tronçons Mariembourg - Doische et Doische - Hastière furent ouverts respectivement à l’exploitation les 30 mars 1864 et 5 mars 1866), et de la ligne Morialmé - Givet exploitée d’abord par l’Est Belge, puis par le Grand Central belge, pour être reprise ensuite par l’Etat le 1er janvier 1897 (le tronçon Givet-frontière belge à Doische fut réalisé par la Compagnie française des Ardennes, suivant la convention du 14 janvier 1860).

Vous remarquez le train remorqué par une locomotive type 29 de l’Etat belge, le receveur des douanes devant son bureau et les douaniers près de la salle de visite. Le bâtiment des recettes est d’un style sobre et peu commun. Un réverbère protège de ses maigres bras l’ouvrier remplaçant quelques ardoises sur le toit.

Avec la photo 2, nous sommes à Givet. Il est 17 h 50, et un coup de sifflet retentit : le train 2050 venant de Doische entre lentement en gare. La correspondance pour Mézières de la Compagnie de l’Est français attend tranquillement sur le quai adjacent. Les employés s’affairent le long de la rame tandis que deux voyageurs, canotier sur la tête et parapluie à la main, conversent avec animation. Près de la sortie, le récoleur attend les voyageurs pendant qu’un jeune garçon, peu soucieux de l’animation de la gare, est plongé profondément dans un livre d’aventures. Un employé accompagne un voyageur très pressé, ils traversent les voies malgré l’arrivée du train, en oubliant d’emprunter le passage en bois. Que disent les prescriptions actuelles du livret de sécurité à ce sujet ?

Photo 2 : Vallée de la Meuse - Givet. - La Gare vue intérieure à l’arrivée d’un Train belge

Des voyageurs venant de Doische, les uns s’en iront vers Mézières, les autres — la plupart — resteront à Givet. Mais que ce soit au pays de Rimbaud ou dans la ville de Méhul, ils boiront sans doute un petit coup de rouge.

A ce propos, les temps n’ont guère changé, mais qu’elle est loin l’époque où l’on pouvait faire attendre un train de voyageurs en gare pour le fixer sur une plaque photographique ! Sans doute la souplesse de l’horaire le permettait. Il faut dire que, dans ce temps-là, l’emploi d’un appareil photo n’était pas encore entré dans les mœurs. C’était un événement en 1900 lorsque débarquait un photographe dans une petite gare de campagne. Nous le remarquerons souvent en parcourant notre album à souvenirs.

Photo 3 : Steenbrugge

Regardez donc, ci-dessous, le machiniste au beau képi graissant sa locomotive (« Tubize à voyageurs », type 14 Etat), le chauffeur appuyé contre la chaudière et le personnel de la gare posant pour la postérité. Nous sommes à Steenbrugge (ligne 58), près d’une autre frontière. Le bond de la fantaisie, il faut bien l’avouer, nous permet d’effectuer ce voyage plus vite qu’avec le rail. Que de correspondances il aurait fallu à cette époque pour arriver là, de Givet, et pour nous transporter tout aussitôt à Achel, aux confins de l’austère Campine septentrionale (à droite). Ce fut, ici aussi, un événement quand un voyageur mystérieux, muni d’un étrange appareil, débarqua. Tous les enfants du village accoururent et attendirent sagement la sortie du petit oiseau. Remarquez le beau militaire posant près de l’hôtel des « touristes ». Y en avait-il beaucoup à cette époque ? Je vous y laisse, en espérant que vous y trouverez tous une place pour y faire des songes ferroviaires et autres.

Photo 4 : Achel

Source : Le Rail, février 1970