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Inauguration

mercredi 12 juin 2019, par rixke

 Vingt mille lieues sous les mers...

Monsieur Fogg aurait sans doute emprunté le tunnel sous la Manche pour boucler son tour du monde en quatre-vingts jours, si celui-ci avait existé. Il existe bel et bien aujourd’hui : nous l’avons traversé le 6 mai dernier, le jour de son inauguration. Mais reprenons dans l’ordre. Le départ des heureux pionniers s’effectuait à Bruxelles Midi où la voie et le quai 1 avaient été spécialement préparés pour le premier départ d’un TGV ! A cette occasion nos ministres et présidents se succédèrent pour un discours sur le renouveau du chemin de fer et sur l’impérieuse nécessité de s’inscrire activement dans le processus de la construction européenne.

 

A l’issue de ces allocutions, ils eurent l’honneur de dévoiler la plaque commémorant cette première circulation.

Première étape à Lille-Europe, la toute nouvelle gare TGV que nous n’avons malheureusement pas vue pour des raisons d’horaires. Nous fûmes priés de rejoindre l’Eurostar présidentiel, direction Coquelles. Nous roulâmes à un train d’enfer : 300 km/h. Nul besoin de confirmation, le paysage défilait à toute allure et la sensation de la vitesse s’inscrivit physiquement dans l’organisme. Le regard n’enregistrait ni ne fixait plus aucun repère consciemment.

A Coquelles, le mauvais temps sévissait aussi. Pas de soleil radieux pour nous accueillir, seulement un méchant crachin. Mais l’essentiel n’était pas là : SM la reine Elisabeth fut accueillie par le président François Mitterand. A l’issue des hymnes nationaux, ils coupèrent solennellement le ruban, inaugurant ainsi le terminal français. Les applaudissements crépitèrent. Les invités anglais se reconnaissaient aisément par leur élégance raffinée : les hommes arboraient l’inévitable parapluie, les dames portaient tailleur et chapeau. Ils ne manquaient pas d’allure.

La seconde partie de la cérémonie inaugurale se déroula non loin du Centre d’information où SM la reine Elisabeth et le président F. Mitterand dévoilèrent une plaque commémorative de cet événement. Les deux présidents d’Eurotunnel ouvrirent les discours, suivis par le président et SM la Reine.

Unanimement, ils saluèrent le travail de tous ceux qui participèrent au chantier, se félicitèrent de l’aboutissement du projet, vieux de deux siècles, et insistèrent sur le caractère humaniste de cet ouvrage qui est une pierre supplémentaire apportée à l’édifice européen.

La journée trouva son apothéose dans la traversée du tunnel : les deux chefs d’Etat, assis confortablement dans la Rolls de Sa Majesté, embarquèrent dans une navette, suivis de l’Eurostar royal, lequel emmenait les invités anglais. Notre équipage fermait le cortège, emporté par l’Eurostar présidentiel. Nous n’avons pas assisté aux cérémonies anglaises, notre train faisant l’aller-retour sans arrêt à Folkestone.

L’entrée du tunnel, côté français, est impressionnante parce qu’arrondie, elle donne l’impression d’avaler les trains qui la franchissent (Jules Verne n’aurait pas manqué d’exploiter ce détail pour échafauder une de ces aventures rocambolesques dont il garde à jamais le secret). La traversée s’effectua sans problèmes à part un arrêt d’un petit quart d’heure imposé par la succession des trois trains. Traversée rapide mais frustrante car évidemment on ne vit rien du tunnel, sinon un trottoir étroit, quelques câbles et une porte de temps en temps. Certains passagers éprouvèrent un sentiment de malaise, surtout pendant l’arrêt.

La vitesse maximum atteinte pendant la traversée fut de 160 km/h à 140 m sous le niveau de la mer. Le trajet n’étant pas rectiligne et s’effectuant à des profondeurs diverses, il fallut quelquefois déglutir pour déboucher ses oreilles.

Le retour s’effectua dans une atmosphère bon enfant et dans l’enthousiasme général, suscité aussi, il est vrai, par un excellent Champagne dégusté sous la mer. C’est ainsi que finit ce passionnant « voyage au centre de la terre ».


Source : Le Rail, juin 1994