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Il y a cinquante ans, une bande dessinée ferroviaire et belge

mercredi 25 septembre 2019, par rixke

Fernand Lebbe. Un nom qui ne dit sans doute rien à la plupart de nos lecteurs mais qui ravivera les souvenirs de ceux qui s’intéressaient au modélisme ferroviaire à l’époque de la Libération.

En effet Fernand Lebbe était en 1944 propriétaire et dirigeant de la firme CAM (chemins de fer - aviation - marine) établie à St-Gilles - Bruxelles.

Dans son secteur ferroviaire, cette entreprise développait deux types d’activités. D’une part, elle fournissait sur commande — notamment à la SNCB — des maquettes « sur mesure » ; d’autre part, elle commercialisait des « trains miniatures » de type belge fidèlement reproduits à l’échelle 0 (c’est-à-dire au quarante-troisième de leur longueur réelle) et, entre autres, la rame électrique quadruple Bruxelles - Anvers, un autorail « Maybach », la célèbre locomotive à vapeur type 12 « Atlantic », la « Pacific » type 1 et une série de voitures voyageurs à bogies du type K1 (appelées alors voitures-bloc). Il y eut aussi à la même époque une encyclopédie « Au fil du rail » en une vingtaine de fascicules que Femand Lebbe conçut et réalisa pour passer en revue toutes les facettes du chemin de fer : l’exploitation, le matériel roulant, l’infrastructure... jusques et y compris le rail au Congo belge et les modèles réduits ferroviaires.

Enfin, l’infatigable Fernand Lebbe se lança dans la bande dessinée — c’est le propos de cet article — et, bien entendu, il choisit un sujet ferroviaire. En 1944 il créa pour l’éditeur bruxellois Vanderlinden un album intitulé « Bob ou l’enfant du rail ».

Cet ouvrage cartonné au format 23 cm sur 31, sous couverture en couleurs montrant une « type 1 » remorquant une rame K1, racontait en 45 planches en noir et blanc l’histoire de Pierre Derives, ingénieur de la SNCB, chargé de superviser la construction d’une voie ferrée en Irak. Il y rencontre un orphelin, Robert (dit Bob), tyrannisé par son oncle, lequel est au service des ennemis du régime en place et organise des sabotages. Ayant réussi à se débarrasser du triste sire, l’ingénieur rentre en Belgique avec le jeune Bob tandis que, dans l’ombre, le sinistre parent continue ses forfaits. Par un hasard qui arrange bien les choses, Bob retrouve sa maman et celle-ci épouse l’ingénieur, ce qui permet de créer une famille sympathique et cela d’autant plus que l’oncle est éliminé définitivement lors d’une dernière tentative pour nuire à l’ingénieur Derives au cours d’un essai de locomotive à vapeur à très grande vitesse entre Bruges et Ostende. Aujourd’hui ce scénario paraît singulièrement vieilli tant les personnages sont découpés à gros traits et classés sans nuances en « bons » et « mauvais ».

Le dessin des intervenants fait quelque peu penser aux premières œuvres d’Edgar P. Jacobs (forte ressemblance entre la mère de Bob et le personnage de Sylvia dans le « Rayon U ») et s’inspire aussi des dessinateurs américains d’avant-guerre comme Alex Raymond (Jim la Jungle) et Charles Flanders (Agent secret X9, le lone ranger).

La dernière page de l’album annonçait une suite, « La vocation de Bob » où l’on devait retrouver les mêmes interlocuteurs. Ce second album n’est jamais sorti de presse. Cet épisode inédit commençait en 1939, racontait les événements de mai 1940 et devait enchaîner sur les actions de résistance des cheminots pendant la guerre.

Le dessinateur de ces planches s’appelait Valentin Dufrasne mais son nom n’apparaissait pas car Fernand Lebbe lui avait en quelque sorte sous-traité la représentation graphique. Ce dessinateur bruxellois, né en 1911 et décédé dans les années septante, a signé d’autres BD sous le nom de Valentin ou Val, notamment le « Roman de Renard » dans Bravo.

« Bob ou l’enfant du rail » n’est certainement pas un chef-d’œuvre de la BD. Nous l’avons écrit plus haut, le scénario est assez puéril et le dessin plutôt rudimentaire. Mais nous tenions à évoquer cet album paru il y a quelque 50 ans, tout d’abord parce que c’est un exemple rare — sinon unique — de BD consacrée entièrement à l’environnement ferroviaire. Ensuite, parce qu’à une époque où l’aviation et l’automobile attiraient les jeunes, l’album — qui se voulait figurer dans une collection « Jeunes d’aujourd’hui » — proposait de leur montrer la noblesse et le courage du métier des cheminots. Sans doute les spécialistes peuvent-ils relever de légères erreurs ou des « à peu près » dans les dessins à caractère technique mais l’important était d’adresser à la jeunesse de l’époque un message à la gloire du chemin de fer qui entamait alors sa reconstruction.

Et pour cela il est juste que les noms de Fernand Lebbe et Valentin Dufrasne ne tombent pas dans l’oubli.

Les planches inédites de « La vocation de Bob » nous ont été aimablement prêtées par la bouquinerie « Le deuxième souffle », spécialiste de la bande dessinée ancienne de collection (rue Braemt, 15 à 1030 Bruxelles).


Source : Le Rail, Septembre 1994