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Les métiers du Rail : une journée en compagnie d’un conducteur

Fanthomas.

mercredi 4 mars 2015, par rixke

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Je ne me rappelle plus exactement la chanson,... mais « j’ai rendez-vous avec vous », enfin avec Jacques, ce lundi 23 octobre, pour l’accompagner dans son travail.

Le service commence à 6 h 10, au dépôt de Bruxelles Midi : Jacques est conducteur, à la SNCB bien sûr !

SNCF CC 40110

Son premier boulot consiste à se rendre au service du planning pour y prendre l’horaire du train à desservir - élémentaire, mon cher Watson - et la sacro-sainte feuille de travail - M510 pour les pros - où seront consignés tous les événements de la journée. La suite est prévisible : nous rejoignons le quai 17 où nous attend le matériel de conduite et de remorque, une locomotive française CC 40101 et une rame constituée de neuf voitures métalliques internationales du type TEE.

« Notre service » (autant se mettre dans le bain immédiatement) est l’I26 du dépôt de Bruxelles Midi, soit la desserte de la ligne Bruxelles Midi-Paris Nord (EC 80 Ile de France, 7 h 10-9 h 35) et retour (EC 83 Brabant, 12 h 10-14 h 40). Présenté ainsi, le programme paraît peinard, mais effectué, que nenni !

Chaque parcours représente quelque 330 km, d’attention, de vigilance. En plus, les petits besoins ne sont pas compris dans le forfait ! A bon entendeur, salut.

A propos de salut, voilà le visiteur de matériel qui se « pointe » sur le quai, pour l’essai des freins.

Après maintes opérations de serrages et de desserrages des freins, et de vérifications de manomètres, notre visiteur déclare les essais concluants. Tant mieux !

Arrive alors le chef de train, coiffé d’un képi de chef-garde contrôleur. Il me tend l’inévitable fiche de liaison (E 286) où apparaissent le numéro de train, le nombre de véhicules, le tonnage réel et le tonnage autorisé, et me lance d’un ton inquisiteur : « Etude de ligne ? » « Eh non », lui-dis-je, « Reportage pour Le Rail » et je lui présente le permis limité que m’a délivré, à cet effet, un ingénieur principal du département du Matériel. Pensez donc : on n’entre pas dans un poste de conduite comme dans un moulin ! La sécurité avant tout. Ma montre indique 7 h 08. Le signal au bout du quai vire subitement du rouge au vert. Le départ est proche.

Un point rouge s’illumine alors sous le signal, qui se transforme rapidement en une sorte de marguerite, composée de six points blancs : « C’est l’ordre de départ » me dit Jacques.

Visiblement concentré, il choisit le couplage qui lui permet d’atteindre la vitesse maximum autorisée ainsi que l’effort qui fixe l’accélération du train. La locomotive élimine elle-même automatiquement et progressivement les résistances au démarrage.

La technique, quand même ! Ceci est aussi valable pour une locomotive à vide, que pour un train de banlieue ou un train lent de 2 000 T.

Je sens mon collègue Jacques attentif et prêt à réagir dès l’amorce de toute situation anormale. Cette constante tension requiert une bonne santé et un bon repos préalable. Il y a bien sûr un dispositif de veille automatique - dit encore pédale de l’homme mort - mais en dernier ressort, c’est encore et toujours au conducteur qu’il incombe d’intervenir.

Cela suppose aussi que celui-ci ait à effectuer un certain nombre de manipulations, propres à diminuer le risque de distraction.

Une conduite intelligente se doit d’anticiper sur le profil du terrain ; c’est encore plus vrai pour la conduite ferroviaire : pensez donc aux accélérations, aux coupures de traction et aux freinages !

A la frontière, le passage de la tension 3 000 V continu du réseau belge à la tension 1 500 V alternatif du réseau français se réalise à la perfection. Et pourtant, quelle manœuvre : elle consiste, tout en roulant, à abaisser le pantographe à hauteur d’un signal déterminé, côté belge, pour ensuite le relever à hauteur d’un autre signal, côté français.

Le voyage se déroule finalement sans problèmes, à une vitesse maximum de 140 km/h sur le réseau belge et de 160 km/h sur le réseau français. Nous accusons seulement deux minutes de retard à l’arrivée, imputables à des travaux aux abords de la gare, TGV oblige.

Ouf, on va pouvoir se reposer ! pas si vite, me déclare Jacques ! Il faut maintenant « refouler » la rame dans une formation qui se trouve à quelque trois kilomètres de la gare, reprendre les voitures qui assureront TEC 83 et les mettre à quai.

Le programme est fixé ainsi : départ pour la formation à 9 h 55, retour à quai à 11 h 50.

Tartines et café pour tantôt donc !

Les manœuvres de garage et de mise à quai s’exécutent par rebroussement à la vitesse de 30 km/h maximum. C’est rapide et très impressionnant : c’est un agent de la gare qui se trouve à l’autre bout de la rame qui lance les ordres d’arrêts ou de mouvements, transmis par signaux sonores dans le poste de conduite !

A l’aveugle donc pour le conducteur.

Cette opération terminée, nous cassons la croûte vite fait bien fait. J’ai même le temps de tirer quelques photos. Mais l’heure est là et le visiteur s’amène pour le traditionnel essai des freins.

Le personnel de contrôle belge qui accompagne le tram nous remet l’E 286 et nous voilà en partance pour nos pénates. Comme à l’aller, je fixe la signalisation qui défile à ma gauche mais la lassitude m’envahit : les yeux me piquent. Il est 13 h 10. Je me sers avec difficulté une tasse de café : un exploit dans cette locomotive lancée à 160 km/h.

14 h 38 : Bruxelles et sa Tour du Midi se profilent à l’horizon, à ma plus grande satisfaction. La mise à quai se réalise à 14 h 40 très précisément.

Après, il faut encore garer la locomotive dans un cul de sac, effectuer les manœuvres de mise hors service et de serrage des freins à main.

Nous déposons alors l’horaire du service et la feuille de travail au service de cours.

Le temps d’échanger quelques banalités avec le conducteur planton dans le local des conducteurs, il est 15 h 10. Terminé pour aujourd’hui !

Ouf. J’ai la tête qui bourdonne, le corps combattu et l’esprit vide. Je suis brisé de fatigue. Jacques sourit ; pour lui, c’est la routine. Navetteur, depuis je ne prends plus jamais le train sans une pensée pour celui qui veille à notre confort et à notre sécurité.


Source : Le Rail, mars 1990