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Ceux des manœuvres...

J. H.

lundi 26 juillet 2010, par rixke

Bien sûr, ils ne sont pas jolis, nos manœuvres, l’hiver, quand on les rencontre à l’aube dans les faisceaux. Ils vont et viennent le long des voies, les mains enfouies dans de grosses moufles, la face gercée, la goutte perlant au bout du nez, ahanant dans la bise qui les flagelle ou la pluie qui les fouette...

Vous ne les connaissez pas sous cet aspect, vous qui, pendant ce temps-là, dormez encore tranquillement dans un lit bien douillet. Peut-être, malgré tout, y songez-vous quand même, lorsque, dans le lointain, vous entendez un cliquetis de butoirs qui s’entrechoquent ou un sifflet aigu qui perce le brouillard...

Le chef manœuvre travaille en équipe...

S’il vous arrivait de parcourir les chantiers de nos gares de formation, vous auriez l’occasion de les voir à l’œuvre, ces gaillards dont le courage tranquille, l’endurance à l’épreuve, la volonté de bien faire et l’amour du métier garantissent la valeur d’un cadre qui participe directement à la vie même du rail.

Au matin, alors que le vent soufflait, glacial, sur la gare de formation de Haine-Saint-Pierre, le photographe de notre revue a pris quelques instantanés de l’équipe dirigée par « Moustache ». Permettez-moi de vous le présenter. On le surnomme ainsi parce que sa lèvre supérieure s’orne d’une splendide moustache, poivre et sel, en tous points semblable à celle que les potaches noircissent dans leur manuel d’histoire, quand ils lisent les exploits de Boduognat et d’Ambiorix.

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avec le signaleur...

De ses origines assurément gauloises, « Moustache », de son vrai nom Benoît Bréda, a conservé la force tranquille, la voix forte et grave, les sourcils broussailleux, l’œil clair et malicieux, la repartie vive, le vocabulaire truculent, farci d’une gamme sonore d’imprécations variées...

l’accrocheur...

Toujours à l’heure pour commencer la « pose », dès qu’il a reçu du collègue qu’il remplace le bref rapport habituel sur la situation dans le faisceau, il se met en relation avec le sous-chef dirigeant la zone, pour recevoir les directives qui lui permettront de mener sa tâche à bien, et, tout aussitôt, le voilà parti dans le triage, nez au vent, comme un fin limier.

le machiniste...

Évaluant à l’œil les charges des trains en formation, jaugeant d’un regard sûr la capacité des espaces libres dans les voies de triage, repérant au passage un transport dévoyé qu’il faut remettre sur la bonne voie, distribuant le travail à chacun, veillant à tout et sur tout, il œuvre sans répit, bougon, mais vigilant. Car il se préoccupe aussi des risques auxquels son équipe est exposée, et, parce qu’il se méfie surtout de l’accoutumance au danger, il fait la chasse à toute forfanterie.

et les caleurs.

Si son dos se voûte un peu, si sa démarche s’alourdit un tantet et si sa voix devient plus caverneuse, c’est qu’il trime dans les gares depuis trente-huit ans, trente-huit hivers dont il a vécu le tiers en service de nuit...

Le rail a toujours pu compter sur des serviteurs dévoués qui, comme lui, ont fait face, avec cœur, à toutes les difficultés et à toutes les intempéries...

(Photos Delise)


Source : Le Rail, avril 1957