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Problèmes d’avenir de la traction

A. Guillaume, ingénieur principal.

mercredi 6 juillet 2011, par rixke

Le présent article fait suite à celui du mois d’août intitulé « Modernisation de la Traction » et se propose d’évoquer les perspectives d’évolution de la traction ferroviaire dans les prochaines décennies.

Comme la longueur de cet exposé est heureusement limitée, l’auteur prend la précaution de signaler qu’il n’a pas l’intention d’épuiser le sujet (c’est plutôt lui qu’il épuiserait !).

Autre précaution : les idées concernant l’avenir du chemin de fer, d’ailleurs éparses dans la littérature technique, n’engagent évidemment en rien les autorités responsables.

 Traction électrique ou diesel.

Actuellement, 25 % des lignes du réseau belge sont électrifiées.

Mais la traction électrique est encore destinée à s’étendre. On prévoit pour 1970 les liaisons électrifiées de Liège à Namur et d’Anvers-Central à Saint-Nicolas par le nouveau tunnel sous l’Escaut. Par après s’ajouteront les prolongements naturels de Saint-Nicolas à Gand-Saint-Pierre et de Flémalle à Kinkempois.

D’autres lignes suivront sans doute encore, de sorte que la part de la traction diesel est destinée à s’amenuiser. Celle-ci va-t-elle disparaître pour faire place à un réseau entièrement électrifié jusqu’à la moindre voie de garage, comme en Suisse ? Nous ne le croyons pas, car les choses ne sont pas comparables. Si les Suisses ont poussé à ce point l’électrification, c’est pour des raisons économiques qui leur étaient propres à une époque où les seules sources d’énergie existantes étaient le charbon (à importer jusqu’au dernier gramme) et la houille blanche (disponible en abondance).

L’exemple hollandais nous semble plus probant. Nos voisins du nord, qui sont déjà parvenus à supprimer la vapeur en 1958, ont électrifié à peu près la moitié de leur réseau et paraissent s’en tenir à ce stade d’évolution. Chez nous, la limite devrait se situer un peu plus bas, vers les 40 %. II va sans dire qu’il ne s’agit ici que d’une impression toute personnelle.

Une récente réalisation canadienne, le turbotrain, pourrait relancer le débat entre partisans et adversaires de l’électrification. Il ne s’agit pas ici de moteur diesel, mais de turbine à gaz appliquée à une rame articulée à plusieurs véhicules de conception révolutionnaire : aérodynamisme très poussé, suspension pendulaire, construction allégée à l’extrême, grandes vitesses (voir Le Rail n° 132). Cette solution est-elle « la » solution d’avenir ? Sans faire preuve de pessimisme excessif, il faut faire remarquer que ce n’est pas la première fois que l’Amérique sort des trains hors série à grand renfort de publicité tapageuse mais qui disparaissent de la circulation après quelques années de service.

Il se pourrait cependant que, cette fois-ci, la formule ait plus de chances de réussite. En Europe d’ailleurs, elle a trouvé des échos auprès des grandes compagnies ferroviaires, comme la S.N.C.F. ou les British Railways, qui ont mis le turbotrain à l’étude. Les Anglais envisagent pour 1970 une relation Londres - Newcastle (432 km) en 2 h 24’ à 180 km/h de moyenne. Les Français ont construit un autorail prototype, dénommé « turborail », équipé d’une turbine Turboméca de 1.500 ch pour un poids de 300 kg, dont la vitesse de pointe doit atteindre les 250 km/h.

Autorail prototype français à turbine, dénommé « turborail », en cours d’essai de vitesse sur la ligne Les Aubrais - Vierzon. (Photo Pilloux, « La Vie du Rail ».)

Indépendamment de son application à des trains automoteurs rapides, la turbine à gaz intéresse aussi l’Allemagne et l’U.R.S.S., mais plutôt pour la propulsion de locomotives.

 Rames réversibles.

La rame réversible est constituée d’une rame de voitures accrochée à une locomotive qui tire et pousse alternativement le train. Lorsque la locomotive est en queue, elle est télécommandée d’un poste de conduite disposé en tête de la rame.

Cette solution est appliquée depuis plus d’un an sur notre réseau pour l’exploitation de la ligne Verviers - Spa. Les locomotives utilisées sont des diesel de 1.400 ch de l’atelier de Kinkempois.

De nouvelles rames sont en cours de transformation, et la réversibilité sera étendue à d’autres lignes.

A l’étranger circulent déjà depuis longtemps des rames réversibles, principalement sur le réseau S.N.C.F. (desserte des banlieues de Paris-Nord et Paris-Est), en Suisse, en Allemagne, en Italie. Des études sont poursuivies dans ce sens en Angleterre et aux Pays-Bas. Le Danemark va se joindre au mouvement si l’on en croit la revue Modern Railways, qui signalait, dans son numéro de mars 1967, que les Chemins de fer danois avaient l’intention de remplacer leurs autorails multiples par des rames réversibles actionnées par locomotives diesel.

Nous avons cité cet exemple parce que, chez nous aussi, un certain nombre d’autorails sont arrivés au bout de leur carrière et que la question de leur remplacement ne tardera pas à se poser. Comme nous disposons de suffisamment de voitures et de locomotives, la réponse est tout indiquée.

En ce qui concerne la traction électrique, la solution des rames réversibles présente moins d’intérêt devant la grande facilité que donne l’emploi d’automotrices accouplantes, qui permet quasi instantanément d’adapter la capacité des trains aux besoins du trafic.

Train navette CFF, avec automotrice BDe 4/4 1621 -1651 et voiture de commande ABt 4 ü 1721-1742. (Photo CFF.)

 Grandes vitesses.

Le problème des grandes vitesses ferroviaires est à l’ordre du jour.

Rappelons qu’en 1954, la .S.N.C.F. a établi un nouveau record du monde de vitesse sur rail en atteignant les 331 km/h.

Plus récemment, les Japonais ont mis en service leur fameux Tokaïdo, pouvant rouler à 250 km h, entre Tokyo et Osaka.

A l’occasion de l’Exposition internationale des Transports de Munich, en 1965, la Deutsche Bundeshahn a expérimenté un train régulier à 200 km/h de vitesse maximale sur le parcours Munich - Augsbourg. Si cette performance n’a pas été maintenue après la clôture de l’exposition, les services compétents de la D.B. n’en ont pas moins dévoilé l’an dernier un plan très ambitieux consistant à équiper 3.000 km de voies principales pour autoriser la circulation à 200 km h. L’achèvement de ce travail gigantesque était supputé pour 1975, mais on peut d’ores et déjà affirmer que cette date ne sera pas respectée.

Depuis l’établissement de son record du monde, la SNCF a pratiqué une politique de grandes vitesses commerciales sur les plus importantes artères de son réseau. Qui ne connaît le prestigieux Mistral ? Une nouvelle étape a été franchie le 28 mai dernier avec le train « Le Capitole », qui relie Paris à Toulouse en 6 heures à une vitesse moyenne de 120 km/h. La vitesse maximale y est de 160 km/h, sauf sur la section Les Aubrais (Orléans) - Vierzon, longue de 70 km, où la vitesse de pointe est poussée à 200 km/h.

Les Anglais, qui ont électrifié leur grand axe Londres-Birmingham - Liverpool - Manchester, y pratiquent couramment des vitesses de 160 km/h mais n’envisagent pas pour le moment d’aller au-delà, sauf dans quelques années avec leurs turbotrains, sur les grandes lignes non électrifiées du North Eastern (Newcastle) et du Western (Bristol).

En Belgique, la vitesse maximale est de 140 km/h en service courant, bien que des essais aient déjà été réalisés à 160. Les Suisses et les Hollandais ne dépassent pas les 125.

Il y aurait encore lieu de parler des Italiens et des Russes, mais il faut bien se limiter.

De tout cela, il résulte que la tendance vers les 200 km/h est manifeste dans la plupart des grands réseaux européens.

Va-t-on assister dans les prochaines années à une généralisation de cette vitesse sur les grands axes européens ? Rien n’est moins sûr, pour des raisons financières essentiellement.

Si l’on prend le cas de la Belgique, une exploitation à 200 km/h ne se conçoit qu’avec des locomotives « polycourant » à grande puissance (plus de 7.000 ch). Comme les quadricourant actuelles de 3.800 ch ont déjà coûté 28 millions pièce, c’est à 40 millions au minimum qu’il faut estimer le coût par engin des machines nécessaires. Mais, pour élevée qu’elle soit, cette dépense n’est rien à côté des énormes frais d’infrastructure que requerrait la circulation à 200 km/h. L’équipement des grands axes internationaux exigerait des investissements de plusieurs milliards, à charge de l’Etat. C’est la raison pour laquelle on peut se montrer sceptique sur des perspectives de réalisation prochaine.

D’ailleurs, ce qui importe, c’est moins la vitesse maximale que la vitesse commerciale. Il est bien plus important, pour le respect d’un horaire serré, de soutenir le 160 ou même le 140 sur de longs parcours sans arrêts et sans ralentissements que de pousser des pointes coûteuses à 200. Pour en revenir au « Capitole », si l’on veut bien considérer (le calcul est facile à faire) que la différence de temps de parcours entre le 200 à l’heure et le 160 sur la section ultra-rapide Les Aubrais - Vierzon, longue de 70 km, n’est que de cinq minutes à peine, on est en droit de se demander quel rôle jouent ces quelques minutes sur une durée totale de 6 heures et si les 200 km/h pratiqués dans ces conditions ne répondent pas surtout à des considérations publicitaires.

Dans un troisième article, nous examinerons les problèmes liés à l’automatisation, aux solutions nouvelles (monorail et coussin d’air), à la remorque des trains lourds et à l’européanisation indispensable et inévitable de la traction ferroviaire.


Source : Le Rail, octobre 1967.