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La Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens

mercredi 1er février 2012, par rixke

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Valéry Larbaud et les Grands Express

Valéry Larbaud, l’auteur de « Fermina Marquez », l’un des meilleurs romans du XXe siècle, fut, dès 1898, un des plus fidèles clients des grands express européens. Avec les « Poésies de A.O. Bamabooth » (1913), il fut le premier grand poète à insuffler dans la poésie le « sentiment géographique moderne ».

Derrière les vitres des grands express, l’Europe lui est apparue émouvante et familière, mais, pour cet enfant gâté, elle n’était pas encore l’Europe humaine vers laquelle nous marchons avec un idéal bien défini de fraternité.

Voici son ode célèbre au train de luxe :

PRETE-MOI ton grand bruit, ta grande allure si douce,
Ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée,
O train de luxe ! et l’angoissante musique
Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré,
Tandis que derrière les portes laquées, aux loquets de cuivre lourd,
Dorment les millionnaires.
 
JE parcours en chantonnant tes couloirs
Et je suis ta course vers Vienne et Budapest,
Mêlant ma voix à tes cent mille voix,
O Harmonika-Zug !
J’ai senti pour la première fois toute la douceur de vivre,
Dans une cabine du Nord-Express, entre Wirballen et Pskow.
On glissait à travers des prairies où des bergers,
Au pied de groupes de grands arbres pareils à des collines,
Etaient vêtus de peaux de mouton crues et sales...
(Huit heures du matin en automne, et la belle cantatrice
Aux yeux violets chantait dans la cabine à côté.)
 
ET vous, grandes glaces à travers lesquelles j’ai vu passer la Sibérie et les monts du Samnium,
La Castille âpre et sans fleurs, et la mer de Marmara sous une pluie tiède !
 
PRETEZ-MOI, ô Orient-Express, Sud-Brenner-Bahn, prêtez-moi
Vos miraculeux bruits sourds et
Vos vibrantes voix de chanterelle ;
Prêtez-moi la respiration légère et facile
Des locomotives hautes et minces, aux mouvements
Si aisés, les locomotives des rapides,
Précédant sans effort quatre wagons jaunes à lettres d’or
Dans les solitudes montagnardes de la Serbie,
Et, plus loin, à travers la Bulgarie pleine de rosés...
 
AH ! il faut que ces bruits et que ce mouvement
Entrent dans mes poèmes et disent
Pour moi ma vie indicible, ma vie
D’enfant qui ne veut rien savoir, sinon
Espérer éternellement des choses vagues.

(Poésies de A.O. Barnabooth.)


Source : Le Rail, juillet 1960