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Le rail aux U.S.A.

mercredi 15 février 2012, par rixke

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Le train reste un des moyens de transport les plus puissants des Etats-Unis. Il assume encore à lui seul la moitié du trafic marchandises et 10 % du trafic voyageurs, réalisant ainsi un chiffre d’affaires total de près de 5.000 milliards de francs.

De nombreuses compagnies ont fait installer, sur le toit de certaines voitures, des projecteurs qui dispensent une lumière diffuse quelque peu plus intense qu’un bon clair de lune, de façon à rendre le voyage de nuit plus agréable...

 Origine et développement

C’est en 1830, aux alentours de Charleston (Caroline du Sud), que le chemin de fer a fait ses premiers pas aux Etats-Unis. Dès 1825, la nouvelle s’était répandue des premières réalisations anglaises et, séduit par cette nouveauté, un groupe de citoyens fondait, en 1827, la Baltimore and Ohio Railroad Company. Mais il fallut attendre décembre 1830 pour que le premier convoi, tiré par une locomotive construite à New York, s’élançât sur le réseau de dix kilomètres de long bâti à la porte de Charleston.

Le succès obtenu allait multiplier les efforts et, dès 1840, une dizaine de milliers de kilomètres de voies rayonnaient autour de New York, de Philadelphie, en Caroline du Sud et en Géorgie. La décennie suivante voyait le réseau s’amplifier vers la Nouvelle-Angleterre et le Mississippi. Mais la véritable poussée date des années 1850-60 : le réseau s’allonge, passant de 15.000 à près de 50.000 kilomètres, il gagne l’Iowa, l’Arkansas, descend dans le Texas, et se développe sur la côte pacifique en Californie. En 1857, le commodore Cornélius Vanderbilt, qui devait par la suite devenir l’une des plus puissantes figures du rail américain, entreprend de relier une douzaine de petites lignes et fonde la New York Central Railroad.

Et c’est enfin le couronnement de l’entreprise : à Promontory Point, près d’Ogden (Utah), l’Union Pacific et la Central Pacific raccordent leurs tronçons respectifs, établissant ainsi la première liaison transcontinentale. Le réseau devait ensuite se compléter progressivement pour atteindre le record de 400.000 kilomètres de voies en 1916, chiffre qui s’est réduit à un peu plus de 350.000 kilomètres actuellement (à titre de comparaison, le réseau S.N.C.B. a 4.800 kilomètres de longueur).

 Le rôle historique du rail

Le rail s’est développé aux Etats-Unis, pays encore dans l’enfance, en même temps qu’en Angleterre, en Belgique et en France, pays déjà très développés et très industrialisés. Le besoin de moyens de transport se faisait sentir de façon quasi dramatique dans un pays qui avait la dimension d’un continent et offrait de vastes étendues inoccupées, les treize millions d’Américains d’alors étant presque tous concentrés sur la côte est. Sans le chemin de fer, les Etats-Unis ne se seraient pas peuplés aussi rapidement, le développement industriel et agricole aurait été retardé, et l’unité politique entre l’Ouest et l’Est n’aurait pu se réaliser.

Dès son apparition, le rail se révèle en effet comme un moyen efficace de peuplement. S’appuyant sur les vagues d’immigrants, qu’elles contribuent d’ailleurs à recruter, les compagnies de chemin de fer aident à la mise en valeur du territoire américain. A peine la voie est-elle posée que des colons, immigrants de fraîche date pour la plupart, s’installent et créent des exploitations agricoles, que l’évacuation des récoltes par le rail valorise. Des entreprises industrielles et des villes surgissent dans des régions désertiques.

Comprenant le rôle éminent du rail dans cette « marche vers l’Ouest », le gouvernement le renforça en prenant les mesures du « Land grant ». Les Etats américains disposaient de vastes étendues de terres vierges qu’ils voulaient faire coloniser ; ils les offrirent aux compagnies à trois dollars l’hectare, à charge pour elles de les peupler. Les compagnies achetèrent ainsi plus de 52 millions d’hectares, qu’elles revendirent aux immigrants dont elles avaient organisé le drainage jusque dans les faubourgs industriels de la vieille Europe. Elles conservent encore aujourd’hui un patrimoine immobilier considérable qu’elles cèdent peu à peu.

 Cent cinq grandes compagnies

Le réseau est presque entièrement entre les mains de 105 grandes compagnies qui sont elles-mêmes le produit de multiples fusions et regroupements. Chaque compagnie a une existence indépendante, son propre réseau, ses gares, son parc de locomotives et de wagons frappés à son sigle, ses employés, son public et son fret qui varie suivant les régions desservies.

En fait, les sociétés travaillent en étroite collaboration les unes avec les autres, car elles dépendent toutes de la bonne volonté du client, qui ne saurait accepter de changer de gare, ou de train, à chaque passage d’une ligne à l’autre. C’est ainsi que pour aller de New York à San Francisco, le voyageur ne change qu’à Chicago alors que quatre compagnies successives le prennent en charge. Il arrive aussi que plusieurs firmes desservent le même itinéraire : pour aller de New York à Chicago, on a le choix entre deux express de luxe, le « Twentieth Century Ltd » de la « New York Central » et le « Commodore Vanderbilt » de la « Pennsylvania Railroad ».

Le réseau le plus étendu est celui de l’ « Atchison, Topeka and Santa Fe Railroad », qui exploite 21.000 kilomètres et dessert douze Etats, reliant Chicago à Los Angeles et à Matagorda-Houston au Texas.

 Coordination et chiffres

Cette multiplicité des compagnies pose un problème pour le déplacement des marchandises. Fallait-il prévoir de changer le fret de wagons chaque fois que l’on passait d’un réseau à l’autre ? Cela aurait entraîné des frais considérables, car, dans certains cas, les wagons expédiés à moins d’un millier de kilomètres vont jusqu’à emprunter les réseaux de cinq compagnies. Là encore, les compagnies ont conclu des accords. La plupart des réseaux ayant le même écartement, les wagons de marchandises sont utilisés en « pool ». Et il s’écoule parfois plusieurs années avant que l’un d’entre eux revienne à son réseau d’origine. Les compagnies s’arrangent seulement pour se louer les wagons les unes aux autres, selon un système qui vient d’être repris en Europe (Convention EUROP).

Laissant jouer la concurrence entre les compagnies tant qu’elle permet une plus grande souplesse et une plus grande vitalité des différents réseaux, le gouvernement fédéral, tenant compte de l’intérêt public, s’est très tôt préoccupé de fixer certaines limites à l’autonomie de chacune d’entre elles.

En 1886, la Cour suprême établit, à la suite d’un conflit, que la réglementation des chemins de fer dépendait des autorités fédérales. Une loi (Act to Regulate Commerce, devenue ensuite Interstate Commerce Act) pose les principes fondamentaux qui régissent encore actuellement les transports par fer. Elle crée en particulier la fameuse « Interstate Commerce Commission » (l.C.C.), chargée d’enquêter sur toutes les questions concernant les transports et de faire au Congrès les recommandations qu’elle juge utiles concernant la législation. C’est elle aussi qui doit accepter les propositions de modifications de tarifs adressées par les compagnies.

Une voiture-école (du « New York Central Railroad ») dans laquelle le personnel apprend la façon et les moyens d’empêcher les pertes et les avaries de marchandises.

Le matériel comprend, pour l’ensemble des compagnies, 33.000 locomotives (en grande majorité diesel), 1.800.000 wagons de marchandises et 31.000 wagons de voyageurs. Le personnel groupe près de 1.100.000 cheminots.

 La bataille du rail

La concurrence entre les différents moyens de transport n’est pas un vain mot.

Le passager est sollicité de toutes parts : les constructeurs d’automobiles lui proposent des prix intéressants, les compagnies d’autocars qui desservent l’ensemble du territoire, avec des engins luxueux et confortables, ont des barèmes inférieurs à ceux des chemins de fer, les compagnies aériennes lui offrent, pour un tarif à peu près égal à celui du train, d’aller de New York à San Francisco en quelques heures au lieu de trois jours.

L’affréteur de marchandises reçoit de son côté les propositions des compagnies de camionnage, qui l’assurent d’un trajet porte à porte à prix réduit, des compagnies de pipelines, qui lui permettent de déplacer son pétrole, et bientôt son charbon, à des taux défiant toute concurrence, des compagnies aériennes, qui font circuler rapidement les produits fabriqués de haute valeur.

Le client peut donc être tenté d’abandonner le rail. Ce n’est d’ailleurs pas une crainte illusoire, car les chemins de fer, qui assuraient avant la guerre 75 % du trafic marchandises et 50 % du trafic voyageurs, ont vu ces proportions descendre respectivement à 50 et 10 %. Cette évolution n’est pas mauvaise en soi.

Il serait, en effet, ridicule de pénaliser l’ensemble de l’économie en s’obstinant, par exemple, à transporter, en train, le pétrole qui circule avec facilité dans les pipelines. Encore faut-il que les compagnies de chemins de fer s’adaptent pour conserver au rail le trafic qui lui revient normalement et pour lequel il est compétitif : il ne faut pas oublier qu’avec un dollar de combustible, le rail déplace une charge deux fois plus grande que les péniches, neuf fois plus grande que les camions, mille fois plus grande que l’avion.

La radio est utilisée de plus en plus pour assurer le contact d’un train à un autre ou d’un train à une gare. On commence aussi à faire appel à la télévision pour transmettre les renseignements des trains en marche aux services des gares de marchandises.

Une telle adaptation est impossible, annonçaient au lendemain de la guerre certains adversaires acharnés du rail, le train est un « dinosaure » incapable d’évoluer. Cette vue pessimiste était quelque peu fondée, car un siècle d’existence avait rouillé les réflexes des compagnies. On s’était habitué à assurer seulement le déplacement d’un certain nombre de wagons sur un certain itinéraire. C’était au client de profiter de cette facilité qu’on lui offrait. On s’était de même installé dans une situation de quasi-monopole. Et cela ne prédisposait pas à réagir efficacement devant une concurrence acharnée.


Source : Le Rail, janvier 1961