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Mission dangereuse pour la 80 033

Ed. Lannes (Cop. Science et Vie).

mercredi 29 février 2012, par rixke

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Les chercheurs du Laboratoire des Radiations de Wantage, en Angleterre, ont trouvé une solution élégante au problème qui leur était posé : recueillir des échantillons d’un liquide soumis à un rayonnement gamma [1] intense. Pas question pour eux d’approcher du flacon, même avec des combinaisons protectrices, les radiations étant bien trop puissantes.

Pour acheminer les échantillons sur la distance de 15 m. qui sépare le lieu d’irradiation du laboratoire voisin, où il n’y a plus de danger, ils pensèrent d’abord construire une bande convoyeuse. Mais le parcours s’incurvait, ce qui rendait l’opération assez compliquée, et surtout très coûteuse, comme toutes les autres solutions envisagées.

Comment relier, de façon sûre et économique, la paillasse dangereuse à la grille massive du laboratoire, toujours fermée à clef pendant les expériences ? Deux jeunes chercheurs suggérèrent l’emploi d’un jouet : un train électrique, qu’on pourrait diriger à distance. L’idée fut adoptée d’enthousiasme, et la locomotive 80 033 achetée aussitôt au magasin de jouets de Wantage, avec suffisamment de rails. Dépense : 7 livres (1.000 fr. belges).

Les rails furent montés dans la casemate de béton, et un jeu de miroirs disposé sur les murs pour que le « mécanicien », du laboratoire voisin, puisse suivre les manœuvres de sa locomotive et la diriger grâce à un classique petit transformateur pour trains électriques.

Seule dans la casemate à irradiation, la locomotive 80 033 roule à petite allure vers la source de rayons dangereux.

Pour obtenir que la locomotive s’arrête exactement au point voulu et que le prélèvement de liquide irradié soit versé dans la fiole placée dans le tender, sans qu’une goutte ne tombe à côté, on monta une cellule photo-électrique devant les butoirs, en bout de ligne : en coupant un faisceau lumineux, la locomotive couperait le courant d’alimentation et s’immobiliserait. Une pompe électrique servirait à soutirer quelques centimètres cubes du liquide irradié et les refouler par un tube de verre, d’où ils tomberaient dans la fiole. La locomotive repartirait alors et ramènerait sa cargaison jusqu’à la porte grillagée de la casemate.

A son tableau de commande, le « mécanicien » dirige à distance la manœuvre de chargement. Opération délicate...

Dès les premiers essais (à blanc, bien entendu, et sans source de radiations), ce bricolage fonctionna parfaitement. La « ligne de Wantage » fut aussitôt mise en service et fonctionne depuis avec une parfaite régularité.

Encore un voyage terminé sans histoires. La fiole contenant un échantillon de liquide irradié est bien arrivée à destination.

Le côté amusant de cette histoire, où un jouet a permis de poursuivre des recherches très sérieuses et très dangereuses, en cache un autre : c’est un exemple parfait de cet esprit de « bricolage libre » qui est une des caractéristiques du bon chercheur. Les laboratoires sont pleins d’astuces de ce genre, d’applications inattendues d’objets usuels à des tâches nouvelles.

Si le « patron » du Laboratoire des Radiations de Wantage avait été conformiste, il aurait sans doute répondu à ses jeunes collaborateurs : « Un jouet ? Vous n’y pensez pas ! Ce n’est pas sérieux ! » Mais s’il avait été conformiste, il ne serait sans doute pas devenu un directeur de recherches...


Source : Le Rail, février 1961


[1Rayons gamma : ondes électromagnétiques de longueur plus courte que celle des rayons X ; elles se produisent pendant la désintégration des éléments radioactifs.