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Le problème des passages à niveau

mercredi 18 juillet 2012, par rixke

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Lors des études de modernisation d’une ligne, un objectif visé en premier lieu est, certes, la suppression des passages à niveau (en abrégé : P.N.). A l’occasion de l’électrification de la ligne 96, Bruxelles - Mons, par exemple, le nombre de P.N. sera ramené de 59 à 28.



On connaît les données du problème : l’intensification des trafics et l’accroissement des vitesses tant sur rail que sur route ont augmenté sensiblement les risques d’accident au croisement des deux réseaux. Il s’agit donc de mettre en place des dispositifs de sécurité parfaitement efficaces pour assurer la sécurité des usagers de la route et réduire au minimum les entraves à la circulation routière.

Les objectifs étant définis, tous les moyens ont été mobilisés pour les atteindre : modernisation et même automatisation de la fermeture des barrières, perfectionnement de la signalisation routière et du système d’annonce de l’obstacle, sans négliger l’action entreprise auprès des usagers de la route, dont la sécurité dépend, en définitive, de leur comportement.

Pour être mieux documentés sur la question, il nous a paru intéressant de recueillir l’avis d’un spécialiste, M. Pauwels, inspecteur technique principal adjoint au service E.S., qui a bien voulu répondre à nos questions posées à bâtons rompus.

Avant tout, nous n’imaginons pas combien de passages à niveau existent dans notre pays et comment ils se répartissent.

Voici cet inventaire, établi au 1-1-1962. Notre réseau compte 5.446 P.N. répartis comme suit : 1.628 P.N. gardés, dont 295 à distance ; 488 P.N. non gardés pourvus de signaux lumineux (437 d’entre eux fonctionnent automatiquement) ; 373 P.N. non gardés pourvus d’un appareillage de voie qui impose un ralentissement au trafic des trains ; 1.608 P.N. non gardés ordinaires sur des routes praticables, 362 sur des sentiers et 987 sur des routes privées.

Depuis l’origine du réseau, l’aménagement et la signalisation des P.N. ont fait l’objet de bien des perfectionnements ?

Assurément. Pendant les cinquante premières années d’exploitation ferroviaire, le problème de la sécurité au croisement « rail-route » ne présentait guère de gravité. La traction hippomobile et les rares cyclistes de 1900 s’accommodaient bien d’un système de protection élémentaire. La première intervention du législateur se situe en 1866, mais il faut attendre la loi du 25-7-1891 pour voir définir la notion de P.N. gardés et de P.N. non gardés ; les premiers nommés « arrêtent la circulation routière au moyen de barrières ».

Après la première guerre mondiale, le trafic routier, qui était jusque-là moins important que le trafic ferroviaire, prit un développement considérable. De meilleurs systèmes de sécurité durent sans doute alors être recherchés ?

Oui, dès que les premiers progrès techniques permirent de rouler plus vite, on eut l’idée de doter les barrières d’un système d’annonce à l’intention des usagers de la route. C’est ainsi que l’A.R. du 26-3-1936 imposa un tel système à certains P.N. La généralisation des signaux rouges d’annonce de la fermeture des barrières aux P.N. gardés et les feux fixes clignotants aux P.N. non gardés remontent à cette époque.

Et après 1945 ?

Après la deuxième guerre mondiale, vu l’intensification du trafic routier et l’accroissement du nombre d’accidents et des collisions aux P.N., notre Société fit de pressantes démarches auprès du ministère des Communications pour qu’intervienne un règlement adéquat au sujet de l’aménagement et de la signalisation des P.N. et des croisements.

Le résultat en fut la promulgation de l’A.R. du 18-10-1957, qui classe les P.N. en trois catégories, parmi lesquelles on trouve mention d’un nouveau système de protection : feux automatiques et feux clignotants, puis semi-barrières automatiques placées en zigzag de part et d’autre de la voie. Une cinquantaine de P.N., sur les lignes à trafic intense, sont déjà dotés de ce système, actuellement le plus moderne.

Envisageons maintenant, si vous le voulez bien, le problème de la sécurité, plutôt sous l’angle technique. Comment voyez-vous les choses ?

Tout d’abord, la notion de danger n’est pas une fonction variable selon des déterminants connus, car, dans ce cas, il y a longtemps qu’on aurait agi pour neutraliser ceux-ci. En fait, un accident se produit presque toujours à la conjonction de plusieurs facteurs : concours malheureux de circonstances, fortuite des événements, comportement incompréhensible d’un automobiliste habituellement prudent, etc.

Cependant, l’analyse des causes d’accidents permet d’émettre des considérations intéressantes sur certaines données, telles que, pour le cas qui nous occupe, le produit de circulation aux P.N., la vitesse du trafic, la visibilité et le facteur humain.

C’est avec intérêt que nous écoutons vos commentaires sur ces points.

En premier lieu, le produit de circulation. C’est la quantité, le volume de trafic à un P.N. Il est égal au produit du nombre de trains par le nombre de véhicules routiers circulant dans une période de 24 heures à un P.N. déterminé. On admet que le danger à un P.N. est directement proportionnel au produit de circulation, ce qui est indéniable jusqu’à une certaine valeur maximale : le point de saturation du trafic à ce P.N. Au-dessus de cette valeur, le degré de lu notion « danger » reste à peu près constant.

Conjuguée au volume du trafic, la vitesse augmente-t-elle sensiblement le danger ?

Distinguons, pour la facilité, la vitesse du trafic ferroviaire et celle de la circulation routière.

Les faits prouvent que, lors d’un tamponnement par un train circulant au pas, les dégâts seront limités, alors que si le train roule à grande vitesse, la collision deviendra dramatique.

Le jugement porté sur l’influence de la vitesse des véhicules routiers doit être plus nuancé. Sur route, les véhicules circulent à vue ; ils doivent être en mesure de s’arrêter devant n’importe quel obstacle prévisible. Au temps des diligences romantiques, les chevaux s’arrêtaient aux barrières des P.N., même si le conducteur était endormi. Les chevaux-vapeur n’ont pas la même docilité. Témoin, le grand nombre de collisions contre les barrières (842 en 1961).

Ne peut-on accuser aussi le manque de visibilité ou le brouillard qui gêne la vue ?

La visibilité sur la voie est un facteur non négligeable, si l’on considère un P.N. non gardé ordinaire. La visibilité à courte distance (7 à 10 m) du premier rail sur la voie doit y être aussi grande que possible. Mais cette objection n’est pas tout à fait valable aux P.N. à grand trafic équipés de feux rouges clignotants et parfois dédoublés, disposés dans le champ de vue du conducteur et toujours visibles à grande distance.

Faisons confiance, si vous le voulez bien, à la discipline des conducteurs. Ceux qui sont dignes de ce nom s’arrêtent devant un feu rouge. La protection des barrières ne fait-elle pas « double emploi » avec celle des signaux lumineux ?

Bien au contraire. Un exemple illustrera mieux la situation. C’est justement après le passage du train que les conducteurs arrêtés - même parmi les plus prudents - ont un réflexe fatal. Pour eux, le danger est écarté et, sans attendre l’effacement du feu rouge et l’apparition du feu blanc lunaire clignotant, ils démarrent. Un train surgit en sens opposé. C’est la catastrophe.

C’est donc un rôle de « garde-fou » que remplissent efficacement les barrières ?

Dans bien des circonstances, elles préservent du pire. Comme le code de la route impose chez nous de rouler à droite, la seule fermeture du côté droit de la route suffit dans la plupart des cas.

La partie de la route restant libre de part et d’autre offrira éventuellement une issue au conducteur inattentif.

En définitive, les défaillances du conducteur sont souvent à la base des collisions ?

Dans la plupart des cas, en effet, il faut accuser la distraction, la fatigue, le manque de discipline des conducteurs. Mais il peut arriver que la responsabilité des gardes-barrière soit aussi engagée à l’occasion des accidents aux P.N. Seul un enclenchement avec la signalisation assure une sécurité parfaite, c’est-à-dire que les barrières doivent être fermées avant l’ouverture du signal livrant passage au train. Ce système a toutefois l’inconvénient de bloquer pendant un certain temps la circulation routière.

Si le passage ne se trouve pas entre des signaux desservis, ou si ces derniers sont implantés trop loin du P.N., la sécurité repose sur l’application stricte par le garde-barrière de la réglementation. Toute erreur ou distraction du desservant, surtout s’il subit l’influence exercée par les usagers de la route, peut être lourde de conséquences.

Le danger ne pourrait donc être écarté qu’en supprimant le facteur humain. Cette lapalissade vaut sans doute celle qui demande la suppression immédiate de tous les passages à niveau.

C’est pourtant la solution préconisée souvent par les non-initiés, alors que, chaque année, quinze passages à niveau seulement peuvent être remplacés par des passages supérieurs ou inférieurs. Il reste donc à assurer la sécurité et à réduire au minimum l’arrêt de la circulation routière. Il faudrait, pour cela, arriver à remplir le programme suivant :

  1. En lignes principales.
    • P.N. non gardés ordinaires : ne les maintenir qu’en cas de circulation locale ;
    • P.N. gardés : les enclencher aux signaux de protection ;
    • Dans les autres cas : placer des signaux lumineux automatiques, complétés par des demi-barrières à fermeture automatique si le produit de circulation est élevé. La visibilité à ces P.N. doit être garantie.
  2. Sur les lignes à exploitation simplifiée.
    • P.N. non gardés ordinaires : ne les maintenir qu’en cas de circulation locale ;
    • Dans les autres cas : pourvoir les P.N. de signaux de ralentissement pour trains (SF 05) en cas de produit de circulation peu élevé, sinon des signaux lumineux routiers à desserte manuelle s’imposent ; enfin, s’il y a des problèmes de traction ou d’horaire, placer des signaux automatiques du type « rail-route ».

Ajoutons que l’Etat supporte une part des frais entraînés par la modernisation des installations de sécurité.

Au nom de nos lecteurs, nous vous remercions d’avoir bien voulu nous documenter si abondamment sur notre sujet. Nous avons mieux compris les conditions dans lesquelles se présente le danger et nous sommes convaincus que, dans chaque cas, les dispositifs de sécurité minutieusement étudiés lui opposent une « riposte » efficace.

Espérons enfin que les usagers de la route feront preuve partout de vigilance et de discipline, puisque, en définitive, sans leur collaboration, le meilleur système de protection restera toujours vulnérable.


Source : Le Rail, août 1962