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A propos du transport des marchandises par wagons complets
mercredi 22 août 2012, par
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Après avoir vu M. Govers au sujet des tarifs « voyageurs » [1], « Le Rail » a pris sous le feu de ses questions M. Lokker, secrétaire commercial du bureau 61.31. Voici le résumé de cet entretien. |
Pouvez-vous définir en quelques mots le système tarifaire applicable aux wagons complets ?
Absolument pas ! Le domaine est trop vaste. Le chemin de fer est tenu de transporter toutes les marchandises, et dans les conditions les plus diverses.

Considérons qu’il existe deux grands compartiments :
- Le secteur C.E.C.A., qui comprend tous les produits visés par le Traité de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier : les minerais ferreux ; les combustibles solides : charbons, coke et lignite ; les aciers : produits bruts, mi-finis et finis ; les ferrailles destinées à la refonte ;
- Le secteur non C.E.C.A., qui comprend tout le reste.
Dans les deux secteurs, il existe d’une part les tarifs généraux, d’autre part les tarifs spéciaux.
D’une manière générale, les premiers s’appliquent, sans plus, en fonction de la marchandise remise au transport, du chargement par wagon et de la distance. En revanche, les tarifs spéciaux, qui offrent des conditions de transport plus avantageuses que celles prévues aux tarifs généraux, posent des exigences diverses, par exemple : fidélité au chemin de fer, garantie d’un trafic minimum, transport par rames importantes ou trains complets.
Comment s’établit le système des tarifs généraux ?
Dans le domaine C.E.C.A., les tarifs généraux obéissent à des règles spécifiques, trop compliquées pour être exposées simplement.
Pour les produits non C.E.C.A., le « dispositif » est plus familier. Au 1-1-1963, nous avons cinq classes générales et, dans chaque classe, quatre séries de prix applicables respectivement pour des chargements de 5 t, 10 t, 15 t et 20 t par wagon.
Ces cinq classes constituent, en fait, un « dispositif » de taxation « ad valorem », en ce sens que la 1e classe est applicable aux produits de grande valeur et la 5e classe aux produits de très faible valeur. A titre d’exemples, nous pouvons donner la gradation ci-après :
- 1e classe : sucre raffiné, fruits et légumes ;
- 2e classe : marbre en tranches non polies, bières ;
- 3e classe : ciments, moellons de parement ;
- 4e classe ; sel gemme, terres réfractaires ;
- 5e classe : déchets de carrières, sables, cendrées.
Le « dispositif » est basé sur la 5e classe, série 20 t ; chaque classe, série 20 t, est obtenue en majorant de 18 % la classe, série 20 t immédiatement inférieure. Dans chaque classe, on trouve entre les séries de prix les écarts suivants : série 20 t, 100 ; série 15 t, 105 ; série 10 t, 120 ; série 5 t, 160. Les tarifs généraux se présentent donc sous forme d’un éventail homogène et logique. Voyez le graphique.

Tout cela ferait très bien, mais l’écart de 60 % entre les séries 20 t et 5 t paraît énorme !
A première vue, oui. Mais il faut tenir compte de la notion de prix de revient, qui est basée essentiellement sur la tonne-kilomètre brute remorquée ainsi que sur le coût d’amortissement, d’entretien et de manœuvres du wagon. En fait, l’écart de 60 % est très modeste en regard du prix de revient des dépenses directes « wagons ».
Notez d’ailleurs que la concurrence établit de même des prix largement différents suivant l’importance du lot à transporter.
Dans des cas spéciaux, passez-vous des contrats particuliers avec la clientèle ?
Non, la loi du 25 août 1891 interdit formellement les contrats particuliers. Nous pouvons faire des tarifs spéciaux, mais ils doivent être publiés et être accessibles à tous les trafics qui peuvent réunir les conditions qui y sont prévues. Evidemment, ceci nous met en état d’infériorité sur le plan commercial vis-à-vis des transporteurs routiers, qui ne sont pas astreints à l’obligation de publier leurs tarifs. Pour la voie d’eau, le fret normal intérieur de même que les tarifs spéciaux sont également publiés. Pour rétablir l’égalité, l’obligation de publier les tarifs devrait soit s’appliquer à tous les transporteurs, soit être totalement supprimée.
Les tarifs spéciaux de la S.N.C.B. sont-ils toujours des tarifs de lutte contre la concurrence ? Ne peuvent-ils pas être des tarifs destinés à aider nos ports ou nos industries ?
Cette question est très intéressante. Elle fait allusion aux tarifs réduits imposés dans le domaine « voyageurs » et dont M. Govers vous a entretenu.
En ce qui concerne les marchandises, nous n’avons pratiquement plus que des tarifs spéciaux de concurrence. Certains autres tarifs spéciaux visent des cas bien spécifiques qui ne peuvent s’intégrer dans les tarifs généraux, tel le cas des transports de munitions. Les traités internationaux C.E.C.A. (Communauté européenne du Charbon et de l’Acier) et C.E.E. (Communauté économique européenne) interdisent les tarifs spéciaux de soutien et ceux qui établissent des discriminations suivant le pays d’origine ou de destination de la marchandise.
En conséquence, tous les tarifs qui accordaient, par exemple, des prix spéciaux pour soutenir l’industrie belge à l’exportation ou des industries géographiquement mal implantées ont été éliminés.
Devez-vous faire de nombreux tarifs de concurrence ? Comment procédez-vous ?
Rien n’est plus vivant que le domaine des transports de marchandises. Les courants de trafic naissent, se développent, se modifient, disparaissent, et les conditions de concurrence varient constamment en fonction des circonstances. C’est pourquoi l’établissement des tarifs spéciaux de concurrence et leur gestion constituent les activités essentielles de la direction commerciale.
La mise au point d’un tarif spécial se fait généralement suivant le même processus. Le problème d’un courant de transport entre A et B est posé par un client auprès de notre représentant commercial local. Celui-ci s’efforce de réunir tous les éléments d’ordre pratique : conditions offertes par la concurrence, avantages et désavantages de la solution « chemin de fer », nature du matériel à utiliser, importance annuelle du tonnage à transporter, fréquence des transports, etc.
En possession de ces renseignements, nous demandons à la direction E les conditions d’exploitation et d’acheminement les meilleures pour assurer ce trafic. Sur la base des données reçues, la direction F nous calcule le prix de revient, car rien ne sert de récupérer un trafic qui engendrerait plus de dépenses que de recettes. Enfin, nous examinons s’il est possible d’offrir un service qui, compte tenu des frais de manutention au départ et à l’arrivée, puisse rivaliser avec la solution concurrente.
Dans l’affirmative, il reste à examiner si la publication d’un tarif spécial envisagé aura ou n’aura pas de répercussions sur les autres trafics. Car il est possible que la publication du tarif entraine des revendications de baisse de prix sur d’autres trafics acquis. Il se peut aussi que le tarif suscite l’apport d’autres trafics au rail. Dans ces conditions, sur la foi de nos renseignements et de ceux réunis par les représentants commerciaux, nous établissons un bilan. Quand il est positif et qu’un accord de principe est obtenu du futur bénéficiaire, nous proposons l’adoption du tarif à l’autorité supérieure. Le tarif, une fois approuvé et publié, entre en vie. Dès lors, nous surveillons son rendement et, en cours d’existence, nous le modifions éventuellement afin d’en tirer le meilleur profit.
Tout cela est très bien, mais, avant d’arriver à une décision, ne faut-il pas longtemps ?
Absolument pas. On ne saurait assez combattre les préjugés que l’on a pour un prétendu vieux chemin de fer ankylosé. Le problème est-il simple ? Les décisions sont prises dans le délai de quelques jours. Le problème est-il complexe ? Il l’est pour le client comme pour nous. Lui aussi doit se documenter et mener des pourparlers. Les décisions importantes, aussi bien dans l’industrie privée que chez nous, ne peuvent être prises à l’emporte-pièce. Actuellement, nous ne devons plus faire de complexe. L’industrie reconnaît en général que la S.N.C.B. a fortement évolué.
Comment voyez-vous l’avenir de notre trafic par charges complètes : avec optimisme ou pessimisme ?
Excellente question pour conclure ! Je suis heureux do vous dire que je suis parfaitement optimiste... et ce n’est pas un optimisme de commande.
Le chemin de fer est pris entre la concurrence du camion et celle de la voie d’eau. Nos concurrents ont des avantages au départ : moins ou pas de charges d’infrastructure, main-d’œuvre bon marché, plus de liberté dans les tarifs. Etc., etc. En outre, il y a un programme d’infrastructure pour l’eau (mise au gabarit de 1.350 t des principaux canaux) et pour la route (autoroutes). Malgré tout, si, jusqu’en 1958, notre trafic intérieur a été en régression constante, nous avons trouvé plus qu’une compensation dans le développement des trafics internationaux. Voici d’ailleurs l’évolution de notre trafic global :
(En millions de t/km. transports militaires non compris)
1958 | 1961 | 1962 | |
---|---|---|---|
Intérieur | 1.517 | 1.519 | 1.541 |
Exportation | 902 | 955 | 940 |
Importation | 2.025 | 2.434 | 2.432 |
Transit | 1.334 | 1.499 | 1.507 |
5.778 | 6.407 | 6.420 |
Vous voyez qu’en dépit de l’inégalité des chances au départ, le trafic intérieur, après sa stabilisation, donne des signes de redressement, et les trafics internationaux se portent bien.

Pour l’avenir, je ne voudrais pas faire ici de pronostics chiffrés, mais il existe d’excellentes perspectives dans la mesure où le chemin de fer, après avoir modernisé la traction, modernisera rapidement son matériel de transport.
En trafic intérieur, nous ne devons pas lutter pour conserver des trafics dispersés ou occasionnels, mais pour obtenir des courants massifs. Pour ceux-ci, avec du matériel spécialisé, tels que les wagons à déchargement automatique, nous pouvons, malgré les charges que nous supportons, être largement compétitifs. Au début de 1964, nous disposerons déjà d’un parc spécialisé important et nous le développerons. Notre trafic intérieur, compte tenu de ce fait et de l’implantation de nouvelles industries dans le pays, amorcera des progrès substantiels. En trafic international, le développement des échanges s’accentue et nous en bénéficions pleinement.
Bref, que la direction M.A. nous offre du bon matériel, que la direction E. donne de bonnes dessertes et de bons acheminements, nous ferons de bons tarifs et une fructueuse prospection... et la direction F. pourra enregistrer de bons résultats.
Source : Le Rail, juillet 1963
[1] « Le Rail » n° 79, mars 1963