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En Gaume ferroviaire

P. Pastiels.

mercredi 10 septembre 2008, par rixke

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Virton

Aujourd’hui, je vous invite à me suivre dans une randonnée à travers la Gaume, ce coin méridional de Belgique, au climat provençal pour certains... Le Gaumais sait que le mot climat a plusieurs acceptions.

Au début de ce siècle, c’était une véritable expédition que de partir pour cette lointaine et mystérieuse contrée : quittant à 6 h 20 la « gare du Luxembourg » à Bruxelles, l’express de Bâle nous déposait à 9 h 42 à Arlon, où le « Rapide Gaumais » nous attendait calmement pour nous mener, finalement, après de multiples arrêts, à Virton-Saint-Mard, à 11 h 06. Au grand jamais, il n’eût fallu s’aviser de descendre du train à Namur ou à Libramont en espérant trouver dans ces gares des correspondances plus rapides. C’eût été se donner l’occasion d’apprécier la poésie des longues heures passées dans les salles d’attente !

Aujourd’hui, nous pouvons aborder par deux fronts cette partie de la Lorraine, plus française que wallonne quant à son folklore, ses coutumes et son savoureux patois : en partant de Libramont via Bertrix et en traversant l’Ardenne aux rocailles frustes et aux forêts austères ; en quittant la « grand-ligne » soit à Marbehan, soit à Arlon, et en continuant le voyage en autobus là-bas, en autorail ici. Que ce soit par le pays d’Arlon ou par la sauvage Ardenne, il faut d’abord traverser un territoire « adverse » avant d’aboutir, après force détours, au « Bon Pays gaumais », qu’il est préférable de ne pas confondre avec les régions avoisinantes, si vous ne voulez pas apprendre à vos dépens qu’après les Gaumais, il y a... je ne sais plus quoi !

Au siècle dernier, la contribution du rail au développement économique du pays fut déterminante. Alors qu’Arlon, le 27-10-1858, venait d’être relié à la capitale, le monde politique du Sud-Luxembourg s’agita pour qu’un effort important soit entrepris en direction de l’arrondissement de Virton. Celui-ci comportait, à l’époque, 19 tanneries. 7 briqueteries, 10 scieries, 30 brasseries ; l’agriculture, l’industrie métallurgique et l’exploitation forestière constituaient ses principales ressources. Les demandes de concessions se succédèrent ; elles ne se ressemblaient pas. Il y eut en premier lieu le sieur Félix Martha et la Compagnie de Charleroi, proposant la construction d’un chemin de fer reliant directement Arlon à Montmédy (réseau français) via Châtillon - Saint-Léger - Ethe - Virton - Saint-Mard - Dampicourt - Harnoncourt - Lamorteau ; il y eut même un projet de chemin de fer reliant Givet à Athus. La question de l’établissement du rail en Gaume remua beaucoup d’encre et provoqua de nombreux tumultes dans les milieux parlementaire et provincial. Les intérêts privés et locaux s’affrontèrent quant au choix du tracé et du point de départ de la ligne (Habay au Marbehan ?).

Virton-Saint-Mard

La ligne Marbehan - Virton, concédée par A.B. du 5-11-1868 à la société Parent-Pêcher, fut mise en exploitation le 28-5-1873. Ensuite, les tronçons Virton - Lamorteau, Lamorteau - Frontière, Athus - Signeulx et SigneuIx - Florenville furent inaugurés respectivement les 15-3-1881, 1-4-1881. 20-1-1877 et le 26-3-1879. Les inaugurations donnèrent l’occasion de banquets fastueux dont la petite histoire a gardé les menus. Nos pères pouvaient enfiler une quinzaine de plats, et quels plats : huîtres, écrevisses, turbot, bœuf, veau, perdreaux, poulets, chevreuil, truites, jambon, foie gras et sucreries, de quoi se goberger à ventre déboutonné.

Bellefontaine

Quant à nous, après un frugal repas, reposons-nous un brin au charme agreste de la gentille gare de Bellefontaine (aujourd’hui Saint-Vincent-Bellefontaine), isolée en plein milieu des bois. Nous y goûtons le parfum subtil des pins sylvestres, le silence paisible des causes tranquilles, parfois troublé par les échos grondants d’un lourd train de minerai remontant la Chevratte. « Trains qui tonnent sur le Ton - Trains qui virent sur la Vire » (Georges Bouillon). Suivons, en rêve, le train de marchandises, remorqué par une lourde « charbonnière » (hl type 25 Etat), qui entreprend la longue descente de La Hage (16 ‰) vers Meix-devant-Virton. Les serre-freins peinent ferme en suivant, dans leur petite guérite, les directives sonores du machiniste ; les étincelles giclent des sabots de frein... Bientôt, nous traversons Houdrigny pour atteindre, dans un lacet majestueux, la grands station de Virton-Saint-Mard. Vous remarquerez l’imposant bâtiment datant de 1881, semblable à celui de la gare de Tamines (ligne 130) et reflétant l’époque florissante d’une importante gare de formation, et d’une remise à locomotives... En attendant la correspondance pour Montmédy via Ecouviez et Lamorteau, nous profiterons de cet arrêt pour déguster une bonne truite accompagnée de l’excellent cru de Torgny (le village le plus méridional de Belgique), le « Clos de la Zolette ». Si le temps ne vous presse guère, nous visiterons Virton et son magnifique musée régional et archéologique, riche en témoignages de l’époque gallo-romaine.

Ethe

Uderzo et Goscinny auraient pu choisir Vertunum comme lieu de résidence d’Astérix le Gaulois... Si Virton se targue d’être une des rares villes de toute la Gaume, il ne faut pas oublier ses « faubourgs ». Les souvenirs de rivalités épiques sont encore bien proches dans les esprits... La petite gare de Virton Ville n’a pas détrôné Virton-Saint-Mard. Malgré certaines ambitions, Saint-Mard, dont une bonne partie de la population alimente les besoins ferroviaires, et Ethe, avec ses deux gares, constituent des rivales de poids. N’oublions paa Chenois-Latour, célèbre - à l’apogée de sa gloire - pour sa gare de formation, son atelier de réparation, sa remise à locomotives et sa cité cheminote.

Lamorteau

Quand vous quitterez ce coin de paradis à la flore et à la faune étonnantes - il paraît que l’on y entend parfois chanter la cigale ! -, vous auraz le choix pour regagner vos pénates. Suivant les aléas des horaires, vous rejoindrez la grand-ligne soit en remontant la Vire par Ethe, Buzenol, Croix-Rouge, Sainte-Marie et Marbehan ; soit en remontant le Ton par Ruette, Signaulx, Halanzy, Athus et Arlon. « Ce n’est qu’un petit train - qui dans l’air du malin - fait du coton qui s’effile - et file - vite sur Virton Ville » (Georges Bouillon). Votre cœur, revigoré par le bon air de ce doux pays, se serrera quelque peu lorsque, pour une dernière fois, vous contemplerez ces villages guillerets dorant leurs tuiles rouges au soleil couchant, ces bois frontaliers frémissant au chant alangui des fées qui les hantent. Un jour ou l’autre, pourtant, vous reviendrez...


Source : Le Rail, septembre 1970