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Que d’eau ! que d’eau !
Paul Pastiels.
mercredi 14 novembre 2012, par
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Les locomotives à vapeur ont toujours été des dévoreuses de kilomètres, de charbon et d’eau. Le menu était peu varié mais combien copieux.
Parlons un peu de cette diététique !
Le travail d’une locomotive, c’est bien connu, résulte d’une série de transformations mécaniques dont l’origine est le travail de la vapeur. Tout dépend donc de la faculté de vaporisation de la chaudière et de l’état du mécanisme.
Nous ne nous égarerons pas dans les explications techniques. Il est cependant bon de savoir qu’une locomotive, remorquant un express à du 60 km/h, consommait 66 kg d’eau au km, soit 4 tonnes/ heure. De son côté, une locomotive tractant un train de marchandises à 25 km/h, consommait en moyenne 126 kg d’eau par km, soit 3 tonnes à l’heure. Cette différence de consommation d’eau était fonction de la surface de chauffe totale.

G. DE PAWLOWSKI.
Châteaux d’eau
Pour étancher la soif des « vapeur », on installait dans les gares des réservoirs, baptisés somptueusement du nom de « châteaux d’eau », où le précieux liquide, soutiré d’une rivière ou d’une source proche, était stocké pour être distribué dans les grues ou colonnes hydrauliques, destinées à approvisionner les tenders des locomotives.
La capacité du réservoir du tender étant limitée, il était indispensable que le trajet des locomotives « vapeur » - donc des trains - fût jalonné de grues où pouvoir reconstituer leur réserve.
Une carte des stations hydrauliques du réseau de l’Etat belge nous apprend qu’elles étaient réparties en trois catégories selon la capacité des réservoirs : 25 m³, de 25 à 90 m³, plus de 90 m³ ; que les grues de certaines gares étaient directement alimentées par l’eau de la ville ; qu’il arrivait que l’alimentation n’était plus assurée lors des fortes sécheresses (Gouvy, Sterpenich, Ottignies, Havelange, Hamont, Mouscron, Blaton, Zottegem...) ; que le débit des grues dépendait de celui des sources.

En 1900, on dénombrait 177 gares disposant d’au moins une colonne hydraulique.
La qualité de l’eau
L’eau n’existe pratiquement pas à l’état pur : elle contient toujours, en plus ou moins grande proportion, des sels provenant des terrains traversés. Quand l’eau contient beaucoup de sels, ceux-ci se déposent sur les parois des chaudières, s’y incrustent, ce qui a pour effet d’empêcher la vaporisation de l’eau en affaiblissant la transmission de la chaleur et de détériorer le métal (si on n’a pas procédé au raclage des dépôts salins).

Il était donc nécessaire de connaître la qualité de l’eau utilisée et de prendre les mesures adéquates, si elle était défectueuse. Il fallait donc, avant d’utiliser une eau, procéder à l’analyse : l’hydrotimètre de MM. Boutron et Boudet constituait alors un outil appréciable.

Au cas où il n’était pas possible de remédier à une qualité médiocre de l’eau (s’il n’y avait pas d’autre ressource dans la région), il fallait installer des stations d’épuration et des réservoirs de décantation où l’eau pouvait séjourner - suffisamment longtemps pour donner aux substances étrangères le temps de se déposer partiellement - avant d’être utilisée sans appréhension.

Parfois, il suffisait d’introduire, au moment de la mise à feu, des substances dites « désincrustantes » dans la chaudière de la locomotive.
L’eau du château d’eau était amenée vers les grues hydrauliques au moyen de canalisations. Pour qu’il y ait la pression nécessaire à l’écoulement de l’eau vers les canalisations en question, le fond de la cuve du château d’eau se trouvait toujours à une hauteur d’environ 5 m au-dessus du niveau du rail. La conduite de distribution, qui s’amorçait au bas de la cuve, permettait la vidange totale du réservoir.
L’approvisionnement.
Les grues hydrauliques étaient constituées d’une colonne de fonte, sur laquelle s’articulait un bras horizontal mobile et terminé par un tuyau flexible. Elles étaient en général placées parallèlement par rapport à la voie.

Lorsque le machiniste désirait s’approvisionner en eau, il introduisait le tuyau flexible dans le trou d’homme de la soute à eau du tender, puis il ouvrait le robinet d’arrivée d’eau. Ce robinet était situé à l’extrémité du bras horizontal, par conséquent à portée de la main du machiniste. Quand le machiniste refermait la vanne, la grue restait pleine d’eau. Evidemment, il y avait un inconvénient au système : l’hiver, l’eau risquait de geler. On palliait cet inconvénient au moyen d’un foyer installé au pied de la grue et faisant corps avec la colonne. Aux époques de grands froids, on plaçait même des braseros de coke près des grues pour éviter tout risque de congélation.

Aujourd’hui, les dernières locomotives « vapeur » ont été passées par le chalumeau. L’une ou l’autre, plus privilégiée, termine des jours filés d’or et de soie dans un musée, où elle peut à loisir faire rutiler ses cuivres.
A leur tour, devenues sans emploi, les grues hydrauliques désertent les paysages de nos gares.
Quelques survivantes alimentent encore ça et là les soutes du train désherbeur. Maigre consolation...
Source : Le Rail, novembre 1973