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« L’Eléphant », copie conforme
mercredi 21 novembre 2012, par
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Monsieur Joseph Wolgarten, un de nos amis pensionnés de Welkenraedt, a réalisé une reproduction particulièrement fidèle de « l’Eléphant », une des locomotives qui assura aux temps héroïques la liaison Bruxelles-Malines. Nous sommes allés y voir de près : cet « Eléphant » ne trompe pas, la copie est bien conforme. Nous en avons profité pour poser quelques questions à l’ingénieux artisan.
- M. Wolgarten, comment l’idée vous est-elle venue de reconstituer « l’Eléphant » ?
- Bien qu’âgé de 76 ans...
- Et pensionné depuis ?
- Depuis 1958 ! Donc j’ai 76 ans et je ne m’ennuie pas.
J’assume cinq présidences dans la commune, dont celle du Syndicat d’Initiative, qui a pour mission d’assurer l’animation de la ville de Welkenraedt. En 1966, lors du jeu télévisé « Ville-Vacances », nous nous trouvions en finale avec Comblain-au-Pont. Il fallait, au cours de cette finale, apporter un objet insolite. Nous avons été mis dans l’obligation d’apporter la copie en bois de l’Eléphant, grandeur nature, qui était exposée à cette époque dans le hall de la gare de Bruxelles Nord. Comme j’étais cheminot, je suis allé faire les démarches dans la capitale auprès des autorités de la SNCB qui, soit dit en passant, nous ont aidés au maximum. Malheureusement, il s’est avéré matériellement impossible d’acheminer l’objet. Mais M. Vanden Eynde, ingénieur du matériel, nous a donné un conseil lumineux : demander en prêt « l’Eléphant » du musée de Bruxelles Nord, reproduit à l’échelle de 1/10. Nous l’avons eu et nous avons remporté la finale. Alors, mes concitoyens - et notamment les jeunes qui trouvaient la reproduction du musée trop petite - m’ont mis au défi d’en faire un exemplaire de plus fort gabarit : ils savent bien sûr que je suis bricoleur, que je connais l’horlogerie, etc. Bref, j’ai relevé le défi et voilà !
- Quand avez-vous commencé la réalisation de votre projet ?
- En 1968. Nous sommes encore arrivés en finale de « Villes-Vacances » en 1967 et en 1968 où nous avons été classés respectivement à la première et à la deuxième place. J’ai commencé « l’Eléphant » en septembre 1968.
- Quel était le terme que vous aviez assigné à votre entreprise ?
- Aucun. Je voulais faire ça par étapes. Je ne travaillais d’ailleurs pas tous les jours ; ça n’est pas possible. J’ai mis les bouchées doubles sur la fin pour que la locomotive soit terminée pour le Xe anniversaire du Syndicat d’Initiative. J’en ai eu fini le 6 juin de cette année.
- De quelles références disposiez-vous pour reconstituer l’engin ?
- De deux fois rien. Vous savez que la loco d’origine « L’Eléphant » a été détruite lors du bombardement de la remise de Muizen : en 1943, je crois... Tout ce que j’avais donc, c’était une photo de l’original. Alors, je suis allé à 5 ou 6 reprises photographier les pièces essentielles au musée de Bruxelles Nord.

- Vous n’aviez pas de plans ?
- Si, un plan datant de juin 1921. C’est tout ce qui subsistait. Mais il est dans un état...
- Quelles sont les grandes caractéristiques de votre reproduction ?
- Elle pèse 40 kg, a 60 cm de haut et 1,45 m de long.
- Est-ce que ça n’a pas été dur de remettre la main à la pâte, après tant d’années d’inactivité ?
- Non. J’ai été contremaître en 1937. En 1946, j’ai pris la fonction de contremaître dirigeant à la remise d’Herbesthal. Mais j’ai connu la « vapeur » pendant 40 ans. De 19 à 37, j’ai été ajusteur. Il n’y a pas eu de problème : j’ai refait l’ajusteur. L’amour du métier a été le plus fort : les difficultés, on les surmonte.
- Quelles sont les difficultés majeures auxquelles vous vous êtes heurté ?
- D’abord, comme je vous l’ai dit, le manque de renseignements. Ainsi, je n’avais rien du tout concernant le tender. Ensuite, le manque d’espace : j’ai fait tout cela dans mon grenier. Il y a eu aussi le pliage des tôles ; je faisais cela sur des rondins : la tôle épousait leur forme à force de la plier. Mais toutes ces difficultés étaient largement compensées par le plaisir.
- Je suppose que d’avoir été contremaître d’atelier à la SNCB, ça vous a quand même beaucoup aidé ?
- Bien sûr. Soyons sincère : un autre n’aurait pas pu le faire. Dix-huit ans d’ajustage, ça aide.
- Inutile de vous demander si vous avez retiré des satisfactions de votre entreprise. Vous venez d’en parler.
- Ma satisfaction personnelle est de l’avoir faite, d’avoir pu la montrer aux jeunes. Maintenant qu’elle est finie, elle ne m’intéresse plus. Je l’ai promise d’ailleur au Syndicat d’Initiative ; je vais la lui offrir sous peu. Je pense à autre chose...
- Vous avez d’autres projets ?
- Oui, mais, si vous le voulez bien, nous en parlerons quand ils seront réalisés.
Voilà, malgré ses 76 ans, M. Wolgarten a une vie bien encombrée : cinq présidences, des amis, des tas de projets.
La philosophie de la chose, vous pouvez la tirer de vous-même. Nous vous en proposons une à tout hasard, vous en ferez ce que vous voudrez : la jeunesse n’est peut-être pas une question d’âge...
Source : Le Rail, décembre 1973