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Les derniers wagons spéciaux

H. Beriot.

mercredi 19 décembre 2012, par Rixke

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Les wagons spécialisés conçus pour satisfaire à certains trafics sont apparus, à quelques exceptions près, sur notre réseau après la deuxième guerre. Avant cette période et depuis la naissance des chemins de fer, on s’était contenté d’utiliser pour le transport des marchandises les trois types de wagons courants :

  • le wagon plat avec ou sans haussettes latérales ;
  • le wagon fermé ou couvert ;
  • le wagon tombereau.

Sous les effets combinés de la concurrence des autres moyens de transport (la voie d’eau et la route notamment), de l’élévation du coût des opérations de chargement et de déchargement, du développement des engins de manutention, la situation s’est considérablement modifiée. La recherche d’un coût plus réduit des frais de transport a conduit les industriels à exiger des chemins de fer un matériel mieux adapté à leurs besoins que les anciens wagons classiques.

Sous l’angle de sa propre gestion, le chemin de fer aurait, à première vue, eu intérêt à ne pas multiplier les catégories de véhicules, car les parcours à vide du matériel spécialisé sont fatalement plus longs que ceux du matériel banalisé. Toutefois la meilleure utilisation des caractéristiques techniques des wagons spéciaux, la rapidité des opérations terminales permettant une rotation plus rapide compensent généralement l’augmentation des parcours à vide.

Finalement la productivité en tonnes/km des wagons spéciaux est supérieure à celle des wagons d’usage courant banalisés. De plus, des systèmes d’intéressement de la clientèle, telle la location, font pencher définitivement la balance en faveur des wagons spécialisés.

En outre, le développement des moyens modernes de gestion centralisée du parc facilitera la répartition des wagons et autorisera davantage le recours à des wagons adaptés à la nature des marchandises et aux moyens de manutention mis en œuvre pour les charger et les décharger. Notre réseau ayant pris conscience de la rapidité d’évolution des besoins de la clientèle et de la nécessité impérative de s’y adapter le mieux et le plus vite possible, des contacts ont été établis avec nos clients, tant expéditeurs que destinataires, et il en est résulté une collaboration fructueuse pour tous les intéressés.

Entre-temps, comme les autres réseaux européens étaient confrontés avec des problèmes similaires, l’UlC [1] s’est occupée d’établir un code définissant les caractéristiques des wagons adaptés à certains trafics admis à la circulation internationale. De plus, elle a chargé son office de recherches et d’essais d’établir les plans de wagons standards pour un certain nombre de wagons spéciaux tels :

  • Les wagons-porteurs de transcontainers
    • à deux bogies de deux essieux capables de 60’ [2] de chargement ;
    • articulés à trois bogies de deux essieux capables de 80’ de chargement.
  • Les wagons pour le transport de rouleaux de tôle équipés de berceaux de chargement et de capots télescopiques
    • à deux bogies de deux essieux ;
    • à deux bogies de trois essieux.
  • Les wagons trémies à bogies de 2 essieux à déchargement par la gravité, massif bas de 75 m³ de volume.
  • Les wagons à bogies à toit ouvrant.

 Wagons spécialisés au transport de rouleaux de tôle

Jusqu’en 1951, les tôles fines laminées à froid destinées à certains consommateurs, tels les carrossiers, les fabricants de meubles métalliques, de radiateurs de chauffage, de frigos, les usines de galvanisation, les fabricants de fer-blanc, les fabricants d’appareils électriques ou électromécaniques faisant usage des circuits magnétiques, étaient utilisées en feuilles de dimensions bien déterminées et transportées en paquets pouvant atteindre quelques tonnes dans des wagons tombereaux bâchés. Depuis, la modernisation et l’accroissement de la capacité des moyens de production font que la plupart des usines consommatrices s’équipent d’installations de déroulage leur permettant d’alimenter directement leurs chaînes de fabrication à partir de rouleaux de tôle tels qu’ils se présentent à la sortie des laminoirs à froid. Cette technique se développe rapidement avec un accroissement progressif du poids unitaire des rouleaux.

Alors qu’il y a une douzaine d’années, le poids moyen des rouleaux de tôle destinés à la clientèle ne dépassait pas 5 tonnes, il est maintenant de 13 tonnes pour les expéditions assurées par fer. Nos expéditeurs actuels (Cockerill et Phénix-Works à Liège et Flémalle - Sidmar à Gand) sont depuis peu capables de fabriquer des coils [3] à froid ayant un diamètre de 2,250 m et une masse de 30 tonnes. Ces rouleaux ou groupes de rouleaux de faible largeur, placés côte à côte, de poids élevés, constituent des chargements concentrés et de stabilité précaire.

L’utilisation de wagons tombereaux à fond plat ordinaires utilisés antérieurement pour les paquets de tôle posait un délicat problème de répartition de charge et nécessitait la réalisation d’un calage très onéreux. Au fur et à mesure que le poids des coils augmentait, il était donc devenu nécessaire de pouvoir disposer de wagons capables de recevoir de fortes concentrations de charges et aménagés de façon à supprimer les opérations de calage tout en garantissant la sécurité de l’exploitation et l’intégrité de la marchandise transportée.

C’est de là que sont nés nos premiers wagons spéciaux pour le transport de rouleaux de tôle.

Du fait du poids élevé de la marchandise, ces wagons n’étaient concevables qu’équipés de bogies.

Comme, a l’époque, nous assurions un trafic assez important d’ébauches en rouleaux laminées à chaud, nous avons adapté un wagon ouvert qui devait être bâché dans le cas du transport des rouleaux laminés à froid qui craignent la mouille. Ces wagons, construits à partir de 1968, sont actuellement au nombre de 480.

Le fond forme sept berceaux dans lesquels sont déposés les rouleaux qui sont ainsi assurés contre les déplacements longitudinaux. Ces berceaux sont capables de recevoir des rouleaux de 8,5 tonnes jusqu’à 35 tonnes et de diamètre variant de 1 200 mm jusqu’à 2 000 mm.

Les sept berceaux équipant le wagon peuvent admettre des coils ainsi répartis sur le wagon :

La charge utile est de 60 tonnes à la vitesse maximum de 100 km/h. Les parois latérales sont ajourées au droit des berceaux de façon à permettre la manutention horizontale des rouleaux lors du chargement et du déchargement.

Les expéditions de coils laminés à froid se développant, le bêchage, qui du reste n’assurait pas une protection satisfaisante, est devenu une sujétion inadmissible pour les expéditeurs.

C’est ainsi qu’à partir de 1969-70, les wagons destinés au transport de ces rouleaux furent équipés d’un toit enroulable.

Ce toit était plat pour les premiers véhicules ; il a été, en ce qui concerne les derniers wagons construits, abaissé aux deux extrémités du wagon, de façon à permettre le déchargement des rouleaux sous des ponts roulants de hauteur réduite comme en ont certains destinataires.

Emplacement des berceaux Diamètre des rouleaux de tôle Poids unitaire des rouleaux de tôle
à 20t par essieu à 22t par essieu
1 1 000 à 2 250 mm jusqu’à 30 t jusqu’à 34 t
2 800 à 1 700 mm jusqu’à 15 t jusqu’à 17 t
3 1 000 à 2 700 mm jusqu’à 45 t jusqu’à 45 t
4 800 à 1 700 mm jusqu’à 15 t jusqu’à 17 t
5 1 000 à 2 250 mm jusqu’à 30 t jusqu’à 34 t

Dès 1970, les instances de l’UlC, et notamment la réunion commune des commissions « Mouvement » et « Matériel et Traction », se préoccupaient de définir au plus vite les caractéristiques de wagons unifiés afin de permettre aux divers réseaux d’orienter leurs programmes de construction de véhicules.

En 1971, un groupe d’étude composé de membres de la SNCF, de la DB, des CFF, des NS et de la SNCB fut chargé de ce travail. Il s’est livré à une très large enquête auprès des entreprises européennes concernées par les trafics de rouleaux et a recueilli les éléments lui permettant de définir les caractéristiques et dimensions de :

  1. un wagon à bogies de deux essieux ;
  2. un wagon à bogies de trois essieux.

Les travaux concernant le wagon à bogies de deux essieux sont terminés ; ils ont abouti à la définition d’un wagon à berceaux dont les caractéristiques sont reprises au tableau ci-dessus.

II est à remarquer que, sur proposition des Chemins de fer allemands (DB), il est recommandé de concevoir le châssis et les berceaux de façon à permettre ultérieurement l’utilisation de ces wagons à la limite de charge correspondant à une masse de 22 t par essieu.

Ces wagons ont été conçus pour pouvoir circuler en charge à la vitesse de 100 km/h, tandis qu’à vide, ils pourront atteindre 120 km/h. Ils pourront, en outre, franchir isolément et en charge, dans les embranchements particuliers, des courbes de 35 m de rayon minimum et être admis au passage sur les ferry-boats, à l’exception de ceux conduisant vers la Grande-Bretagne, où le gabarit est plus petit que celui qui est prescrit sur le continent et du trajet « Tinnoset - Mael », où l’angle formé par la passerelle et l’horizontale est trop important (6° 30’).

Le wagon sera équipé de trois capots télescopiques de longueur sensiblement égale, se déplaçant dans le sens longitudinal du wagon, se recouvrant mutuellement afin d’assurer une bonne étanchéité ; ces capots permettront un accès facile des berceaux pour le chargement et le déchargement.

Les travaux concernant le wagon à bogies de 6 essieux conduiront à un wagon qui, par ses caractéristiques de chargement, prendra la relève du précédent, notamment lorsque les rouleaux de gros tonnages (supérieurs à 30 t) apparaîtront en grand nombre à la sortie des usines sidérurgiques.

 Wagons-pupitres à bogies pour le transport de tôles de grandes dimensions - Code lettre UIC : Slp

En 1970, la « Fabrique de fer » de Charleroi a mis en activité un train de laminoirs pour tôles larges allant jusqu’à 4 mètres. Ce train a une capacité de production de 35 000 tonnes par mois. Les tôles, qui sont en ordre principal destinées à la construction navale, se laminent en grande longueur. Le transport de celles-ci, chargées à plat, devait être envisagé sous le régime des transports exceptionnels et était par conséquent :

  • d’un coût élevé ;
  • d’une pratique compliquée (délais d’étude, fourniture de matériel adéquat, difficultés d’amarrage des tôles) ;
  • d’un contrôle assujettissant.

De plus, il nécessitait l’établissement d’horaires et itinéraires particuliers dans certains cas.

De telles mesures ne pouvaient être acceptées par l’expéditeur en considération du volume important de ses expéditions.

L’acquisition de wagons spécialement étudiés et réalisés à cet effet s’imposait afin d’assurer ces transports sous le régime ordinaire. Notre choix s’est porté sur un wagon pupitre à bogies de 2 essieux de 21,440 m de longueur « hors tout », capable de transporter sur les lignes au gabarit RIV, 50 tonnes de tôles de 4 m de largeur sur 20 m de longueur à la vitesse ordinaire des trains de marchandises : à l’avenir 80 km/h.

La superstructure du wagon, en forme de pupitre incliné à 50°30, est constituée d’une ossature métallique solide ; le plan incliné se termine par des supports fixes sur lesquels s’appuient les plus larges tôles.

Afin de respecter le rapport admissible des charges supportées par chacune des roues d’un même essieu, pour lequel la charge maximale reste limitée a 20 tonnes, des supports amovibles ont été prévus, qui peuvent occuper 6 positions permettant ainsi le chargement de tôles de largeur inférieure à 4 m.

A la partie supérieure, des dispositifs à vis permettent un arrimage rapide et efficace des tôles.

 Wagons trémies à bogies à déchargement par la gravité, massif bas de 75 m³ de volume (Fads)

Ces wagons sont principalement destinés au transport de charbon, de produits calcareux utilisés en sidérurgie, telles les dolomies, du coke et éventuellement des minerais. Ils peuvent toutefois servir économiquement au transport de toutes les matières en vrac ne craignant pas l’humidité, d’une densité non inférieure à 0,7. Ils sont aptes à supporter une charge correspondant aux possibilités maximales des lignes à 20 t par essieu. Le type de construction du châssis et du dos d’âne est conçu de manière à pouvoir augmenter la charge par essieu jusqu’à 22 tonnes.

La longueur du châssis est de 11,300 m avec un écartement des pivots de bogies de 7,500 m.

A la partie supérieure, l’ouverture de chargement située à 4,00 m au-dessus du niveau des rails est de 10,960 m de longueur et 1,950 m de largeur. Les quatre trappes de déchargement suspendues à des charnières horizontales fixées aux lisses supérieures des parois latérales ont les dimensions suivantes : longueur :

  • 5,000 m ;
  • hauteur : 1,500 m.

Trappes ouvertes, la largeur du wagon ne peut être supérieure à 4,300 m ; la largeur d’ouverture des trappes doit être d’au moins 0,600 m.

L’étanchéité des trappes est telle que l’on peut transporter, sans perte, des produits secs d’une granulométrie d’au moins 2 mm sans avoir recours à des joints non métalliques.

L’inclinaison des versants du dos d’âne par rapport à l’horizontale est de 49°.

Cette caractéristique, concurremment avec les dimensions des trappes, permet le déchargement de toutes les matières présentées au transport, sauf toutefois celles qui sont particulièrement collantes tels les schlamms très humides.

La caisse est partagée en deux compartiments ; l’ouverture des deux trappes d’un même compartiment peut être obtenue par une seule manœuvre opérée de part et d’autre du wagon à partir du sol. Pour permettre l’automatisation ultérieure de la commande des trappes, des espaces sont prévus qui abriteront les dispositifs automatiques de manœuvre des trappes (cylindres hydrauliques, pompes à huile, électrovalves, etc.). A cause du dos d’âne, le rayon minimal des courbes dans lesquelles ils pourront circuler ne descendra pas en dessous de 65 m, les conditions de passage sur ferry-boats restant les mêmes que pour les wagons transporteurs de coils.

 Wagons à toit ouvrant à bogies (Tals)

Ces véhicules sont la version à bogies des tombereaux à 2 essieux équipés d’un toit ouvrant que l’on connaît déjà bien et qui viennent d’être versés au parc EUROP au nombre de 12 500 par les administrations adhérant à la communauté des wagons EUROP : DB, OBB, NS, FS, CFL, SNCF, SNCB.

Les wagons à bogies se différencient de ceux qui sont munis d’essieux ; notamment par les charges concentrées importantes qu’ils sont aptes à recevoir ; celles-ci s’apparentent aux charges généralement admises par les wagons plats, ce qui destine ces véhicules au transport des matières pondéreuses craignant la mouille, tels les produits sidérurgiques comme les tôles en paquets ou en petits rouleaux. La longueur du châssis est de 12,800 m ; la surface utile du plancher d’environ 33 m2 et le volume utile de 74 m³.

Avec une tare maximum de 24 tonnes, ils peuvent admettre une charge de 56 tonnes au régime ordinaire de vitesse des trains de marchandises. Le plancher est en bois, métallique ou mixte (bois-métal).

Quatre portes roulantes métalliques (deux par face), dégageant des baies de 2,000 X 4,000 m, complètent le toit ouvrant qui lui dégage entièrement l’encadrement formé par les lisses supérieurs des parois latérales et d’about.

L’accès par les portes latérales est possible même lorsque la toiture est ouverte.


Source : Le Rail, novembre 1974


[1Union internationale des Chemins de fer.

[2l’ = 1 pied = 0,305 mètre.

[3Coils = rouleaux de tôle.