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Le domaine du chemin de fer
F. Frison.
mercredi 29 mai 2013, par
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Le chemin de fer est un grand propriétaire terrien.
Vous vous en doutez, mais sans doute ne savez-vous pas à quel point, à moins d’avoir des relations avec les services de la Voie qui gèrent l’immense patrimoine immobilier de la Société.

En fait, le mot propriétaire n’est pas exact, car ce que nous appelons le domaine du chemin de fer fait partie des apports de l’Etat lors de la création de la Société nationale en 1926 et reste la propriété de celui-ci.
La Société est l’usufruitière de ces terres et, comme nous le verrons plus loin, dans un sens très large.
Quelle en est la superficie ?
La superficie précise de ce domaine est difficile à établir. Il n’est guère aisé de rechercher, dans les dizaines de milliers de titres de propriété qui reposent aux archives, toutes les superficies des terrains qui ont été achetés depuis 1834 [1] pour les besoins de l’exploitation ferroviaire. D’après une estimation faite en 1967, les terrains occupés par les voies et les installations des gares encore en exploitation couvraient environ 15.000 ha.
Mais notre domaine comprend, outre des milliers d’hectares : installations mises hors service, excédents qu’il fallut acheter en même temps que les terrains à exproprier nécessaires pour la construction des lignes ferroviaires et pour le détournement de chemins ou de cours d’eau, chemins de décharge [2], maisonnettes avec leurs jardinets, etc.
Quelle est la destination de ces terrains ?
Les terrains qui ne sont pas occupés par les installations ferroviaires en exploitation, la Société s’efforce d’en tirer le meilleur rapport. Le moyen le plus utilisé est ce qu’on appelle généralement la « location », mais les services de la Voie chargés de donner en location emploient l’expression « donner en occupation », plus conforme à la réalité. En effet, comme la totalité du domaine géré par la S.N.C.B. a un caractère public et qu’il doit en tout temps pouvoir être utilisé pour l’objet auquel il est destiné (exploitation ferroviaire), il ne peut être grevé des servitudes, ni des obligations liées aux contrats de bail ordinaires et plus particulièrement au bail à ferme et au bail commercial.
Ces terrains ne sont donc pas loués mais donnés en occupation, et ceci à des conditions relativement sévères : l’autorisation est accordée à titre précaire et est en tout temps révocable moyennant un préavis de trois mois. Sur ces terrains, rien ne peut être construit sans autorisation écrite de la S.N.C.B. et, à la fin de l’occupation, toute construction doit être démolie.
Ces restrictions ne découragent pas les amateurs. En 1968, la Société a encaissé plus de 60 millions de francs, soit le rapport de plus de vingt mille contrats d’occupation de toute nature.
Naguère, ce rapport annuel était beaucoup moindre : environ 45 millions en 1964. Depuis, les services de la Voie se sont efforcés à tous les niveaux d’augmenter ces revenus. Les résultats de leurs efforts se sont affirmés par une majoration annuelle des recettes, et cela malgré la vente de terrains devenus inutiles pour l’exploitation du réseau.
Avant que le résultat définitif de l’action entreprise pour augmenter le rapport des terrains soit connu, il s’écoulera encore quelques années. En effet, les autorisations d’occupation sont délivrées généralement pour un délai de neuf ans, soit le délai maximal autorisé par les statuts de la Société. Etant donné que l’action a été commencée en 1966, il faudra attendre 1974-1975 pour que tous les contrats conclus aux anciennes conditions viennent à échéance et soient renouvelés.
Pour éviter à l’avenir une stagnation des prix, il a été décidé, en outre, de rattacher dorénavant toutes les redevances importantes à l’indice des prix à la consommation et d’adapter périodiquement les autres.
Nos « occupants »
Une première série d’occupants de terrains ferroviaires sont des clients de nos gares. Ils peuvent utiliser dans l’enceinte des gares (cours à marchandises) des parcelles de terrain pour y établir des entrepôts ou des chantiers destinés aux marchandises transportées par rail. Les prix unitaires facturés pour les occupations de ce genre tiennent compte des circonstances locales et sont évidemment plus élevés là où la demande est plus grande. On veille à ce que les commerçants et les industriels trouvent intérêt à se fixer à proximité du chemin de fer et à lui confier leurs transports.
Ensuite, il y a les occupations industrielles en dehors des gares sur les excédents de terrains, sur terrains et dans les bâtiments provisoirement inutilisés, etc. Sur de tels emplacements, nombre de particuliers ont reçu de la S.N.C.B. l’autorisation d’ériger un garage ; des entrepreneurs y ont leurs chantiers ; des industriels, leurs ateliers. De plus en plus, des groupements de jeunesse ou des clubs sportifs demandent à s’installer sur le domaine du chemin de fer, et des administrations communales s’efforcent de résoudre leurs problèmes de parcage en transformant, moyennant redevance, une partie de notre domaine en parcs de stationnement.
Les sociétés pétrolières paient aussi leur tribut au chemin de fer : une soixantaine de stations-service construites sur notre domaine rapportent chaque année environ huit millions, soit à peu près le triple d’il y a trois ans.
Nos frites nationales ne manquent évidemment pas à l’appel. Une quarantaine de « baraques à frites » procurent environ un million par an.
Les indemnités d’occupation sont loin d’être uniformes. Jouent un rôle, non seulement la valeur du terrain, mais aussi et surtout, la destination que l’occupant lui donne. Pour une plaine de jeux ou un parc de stationnement communal, l’indemnité est plutôt symbolique, tandis que, pour un garage privé, l’amateur paie au moins 1.200 francs par an. Pour les stations-service et les fritures, les redevances sont beaucoup plus élevées.
Viennent ensuite les lopins de terre occupés par des particuliers et les terrains agricoles. Les redevances payées pour ce genre d’occupation sont beaucoup moindres, mais il y en a plus de dix mille sur tout le réseau. Pour ceux-ci, on tend vers une redevance minimale de 100 francs par an. Ici, il ne s’agit pas tellement de la valeur du terrain, mais plutôt du fait que permettre l’occupation d’un terrain en contrepartie d’une indemnité inférieure à 100 francs coûterait en définitive plus cher à la S.N.C.B. en frais d’administration, et qui loue avec perte ?
Tel quel, notre tableau est encore incomplet. Quelque trois cents amateurs de chasse et de pêche exercent leurs loisirs préférés sur des terrains faisant partie du domaine du chemin de fer. Quelque dix mille « autorisations de voirie » sont aussi accordées aux sociétés gazières et de distribution d’eau pour la pose de leurs canalisations le long, en dessous ou au-dessus des voies. Il faut encore y ajouter les canalisations servant au transport des produits les plus divers : oxygène, pétrole, éthylène, saumure, etc.
Si l’on tient compte aussi des particuliers qui ont reçu l’autorisation d’ouvrir des prises de vue ou de lumière sur notre domaine ou d’écouler leurs eaux de pluie dans les fossés du chemin de fer, on o une idée à peu près complète de la mise en valeur du domaine.
Acheter et vendre
La Société achète régulièrement des terrains, par exemple en cas de suppression de passages à niveau (il en reste environ quatre mille), notamment pour permettre la construction d’ouvrages d’art et l’établissement de nouvelles voies d’accès. Elle achète aussi des terrains pour pouvoir adapter des lignes existantes aux exigences du trafic moderne : suppression de courbes pour permettre des vitesses plus élevées ou pour les besoins de l’électrification, mise à double, triple ou quadruple voie des lignes, modernisation des gares, etc.
En revanche, chaque année, la S.N.C.B. cède des dizaines d’hectares de terrains pour être vendus : lignes mises hors service, maisonnettes avec jardins, bâtiments de gare et cours à marchandises désaffectés, excédents de terrains.
L’achat et la vente se font par l’intermédiaire d’organismes qui dépendent de l’administration des Domaines du ministère des Finances.
Le 29 août 1956, l’Etat et la S.N.C.B. ont conclu une convention stipulant que les recettes provenant de la vente des biens qui ne sont plus nécessaires aux besoins de l’exploitation ferroviaire sont acquises à la S.N.C.B. ; celle-ci doit cependant les utiliser pour de nouveaux investissements.
Il y a une exception à cette règle : quand l’Etat a lui-même besoin de terrains pour l’exécution de travaux d’utilité publique. A la suite de cette convention, l’Etat verse deux fois par an à la S.N.C.B. le rapport des ventes ayant eu lieu au cours du semestre précédent. Pour l’année 1968, il s’est agi d’une superficie de quelque 150 hectares, dont la vente a rapporté 70 millions de francs.
Malgré ces ventes, il reste encore pas mal de biens libres d’occupation. Aussi, s’évertue-t-on à augmenter progressivement les recettes de la Société dans ce secteur.
Cas spéciaux
Il existe environ 80 hectares de places de stationnement des gares, qui constituent un « cas spécial ». L’article premier de la loi du 25 juillet 1891 stipule que les places de stationnement et les chemins d’accès aux gares, contrairement aux installations ferroviaires qui font partie de la « grande voirie » (comme les routes d’Etat), sont incorporés dans la « petite voirie » (routes communales), hormis quelques exceptions.
Ce qu’il y a de spécial, c’est que le sol de cette « petite voirie » continue à appartenir au domaine de l’Etat, alors que la « police » (surveillance, entretien, éclairage, etc.) y est exercée par la commune. Mais le trottoir devant le bâtiment de la gare continue, le plus souvent, à faire partie du domaine du chemin de fer.
Comment en est-on arrivé là est une bien longue histoire. Bornons-nous à signaler que cette « incorporation » a permis aux administrations communales d’établir des alignements urbanistiques et de percevoir les redevances pour l’emplacement d’étals, de foires, etc. sur les places de stationnement des gares, en échange des dépenses qu’elles doivent engager pour l’entretien et l’éclairage de ces lieux.
En cas de désaffection de la place de stationnement, par exemple par la suppression de la gare, la S.N.C.B. peut en disposer à nouveau. Elle vendra le sol ou le cédera gratuitement à la commune, suivant les circonstances locales.
Il y a encore beaucoup à dire au sujet des terrains du chemin de fer : droits et obligations, police, circulation le long des voies, passages à niveau privés et publics, etc. Les fonctionnaires, les techniciens et les employés de la Voie, de la direction jusque dans les arrondissements, sont confrontés journellement avec ces problèmes. Nous pensons cependant en avoir dit assez aujourd’hui sur un domaine de l’activité ferroviaire qui frappe peut-être moins l’imagination, mais qui n’en est pas moins important.
Source : Le Rail, septembre 1969
[1] Les terrains pour la construction de la première ligne ferroviaire (Bruxelles - Malines - Anvers) ont été expropriés à la suite de lai loi du 1er mai 1834. Dans nos archives, nous trouvons trace d’actes d’achat à partir d’octobre 1834.
[2] Il s’agit de servitudes de passage sur notre domaine, au profit de parcelles enclavées lors de la construction de lignes.