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L’archéologie industrielle et le rail
Paul Pastiels.
mercredi 19 juin 2013, par
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Le sauvetage du prestigieux ensemble monumental du Grand Hornu sensibilisa rapidement l’opinion publique aux problèmes de l’archéologie industrielle, cette nouvelle branche de l’histoire contemporaine ayant pour objet l’étude des vestiges de la révolution industrielle du siècle dernier. Depuis quelques années, la recherche en la matière connaît un sensible développement scientifique dans les milieux universitaires qui postule méthode et rigueur. Le directeur du « Centre d’Histoire des Entreprises » des Facultés universitaires Saint-Ignace d’Anvers propose la définition suivante en se basant sur les objectifs de cette nouvelle discipline : « C’est une science auxiliaire de l’histoire qui emprunte largement les méthodes do l’archéologie, et qui, par une collaboration interdisciplinaire, recherche, décrit, explique, fournit des témoignages du passé, afin de grouper tous les éléments matériels de l’histoire de la société active. »
Dédaignés par les touristes, les usines, les cités ouvrières, les canaux, les ponts, les hangars et entrepôts du siècle passé sont les parents pauvres de notre patrimoine monumental. Longtemps, ces constructions vétustés et délabrées - envahies d’herbes folles - ont fait la honte d’un paysage ou d’un quartier. Aujourd’hui, ces bâtisses rébarbatives - sombres monuments squelettiques aux membres rouilles, aux verrières éclatées - se parent d’un nouvel éclat, s’entourent d’une auréole vénérable aux yeux des nouvelles générations.
Actuellement, les antiques gares du siècle dernier disparaissent sous la pioche des démolisseurs au profit de bâtiments sobres mais impersonnels. Cà et là sur le réseau, s’éteignent dans l’anonymat les témoins de l’ère prodigieuse de la conquête du rail. Les installations mécaniques de signalisation, les passages à niveau, les verrières, les grues hydrauliques, les châteaux d’eau, les locomotives à vapeur désertent peu à peu nos paysages ferroviaires, qui se modifient et s’adaptent aux exigences modernes d’une exploitation plus rationnelle.
Les divers « Témoins d’Hier » présentés jusqu’à ce jour, agrémentés de cartes-vues anciennes (1900 - 1920), peuvent constituer une contribution à l’étude de l’histoire ferroviaire, de l’archéologie industrielle. Nous allons aller ensemble une fois de plus à la découverte de ces trésors inédits. Maintes fois, ces vénérables documents iconographiques - témoins de la « Belle Epoque » - nous ont ouvert les portes fantastiques du passé. Nous allons évoquer une fois encore ces précieux vestiges, ces sites disparus à tout jamais, au moyen de quelques photographies éloquentes et souligner ainsi le lien étroit qui existe entre le rail et l’industrie. Laissons-nous aller un instant à l’envoûtante poésie, à la fascinante magie de ces étranges paysages de rêve.
Né de l’industrialisation, le chemin de fer se développe avec elle ; son évolution sera parallèle à celle de l’exploitation des combustibles classiques : le charbon d’abord, le pétrole ensuite. Ce nouveau mode de transport révolutionna les conceptions en la matière, ouvrit les portes de l’import-export : les forges et aciéries s’accroissent, la houille et le minerai pouvant être amenés aisément de loin, par wagons-tombereaux, à des prix compétitifs. Les charbonnages et les terrils prospèrent dans les régions du Borinage, du Centre, de la Meuse liégeoise. A Wasmes, à Haine-St-Pierre comme à Charleroi (photos n° 1 à 3), nous rencontrons les mêmes installations austères, peuplées de mille et un échos éperdus, les mêmes fumées tumultueuses que vomissent des cheminées à section carrée. Les pompes à vapeur s’époumonent sans cesse en crachotant l’eau des puits, les poulies des ascenseurs s’affolent par intermittence sur les châssis à molettes, des wagonnets grinçant ferraillent sur les voies étroites. Tout le monde participe à la symphonie de la mine, à son dur travail. Hommes, femmes et enfants peinent quatorze heures par jour dans des conditions pénibles, ils ont quitté la campagne pour les multiples ateliers et manufactures. Ils s’entassent dans de sombres cités ouvrières proliférant aux alentours des lieux de travail. Les locomotives de manœuvre haletantes remorquent sans arrêt de nombreuses rames de wagons dans les raccordements des gares privées ; les faisceaux adjacents de triage ne désemplissent guère tandis que les rames silencieuses de voitures à voyageurs attendent le long des quais déserts la transhumance journalière des ouvriers.
La locomotive à vapeur sera longtemps le symbole vivant du machinisme ; elle représentera pour de nombreuses générations la force indomptable, la puissance majestueuse. Mariage de fumées et d’escarbilles à Ostende Maritime : le prototype de la locomotive type 9 Etat manœuvre en gare vers son train express, tandis que les chauffeurs de la malle Ostende-Douvres s’affairent auprès de leurs chaudières (photo n° 4). Où sont ces belles locomotives d’antan ? Le chalumeau réduisit la plupart des machines en de vils tas de ferrailles tandis que certaines, plus privilégiées, continuent de se morfondre dans des musées poussiéreux. A l’Arsenal de Luttre, d’antiques locomotives attendent leur triste sort, telles des bêtes parquées pour l’abattoir. Remarquons à l’extrême gauche de la photo n° 5, la locomotive n° 512 Etat, exemplaire unique du type « Mogul », construite par Neilson & Cie à Glasgow et achetée en 1881.
Le « cheval de fer » méritait une fin plus douce et paisible pour les vaillantes prestations qu’il avait faites pendant 135 ans sur notre réseau... !
Source : Le Rail, février 1976