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Prendre le train

mercredi 14 août 2013, par rixke

Puisque nous sommes délibérément plongés dans le passé, nous ne résisterons pas au plaisir de vous livrer cet extrait de « L’illustration européenne » du 15 novembre 1884. Il est bourré de conseils pratiques.

Nous extrayons ce chapitre d’un ouvrage sous presse à Paris et intitulé « L’hygiène usuelle », par M. le docteur Brémond. Il s’agit de conseils fort utiles pour ceux qui voyagent en chemin de fer. Et qui ne le fait pas aujourd’hui ?

Sans pousser la prudence jusqu’à vouloir arriver à la gare à onze heures quand le train doit chauffer à midi, il est bon de quitter le logis de façon à ne pas être trop pressé.

Tomber comme une bombe devant le guichet, à l’instant précis où se délivre le dernier billet, voler à l’enregistrement des bagages, traverser la salle d’attente en courant, prendre triomphalement possession d’une place au dernier moment : tout cela constitue une gymnastique témoignant d’une grande habitude de la locomotion ; mais l’hygiène prise peu cette brillante façon de faire.

Le voyageur qui a soin de se diriger vers la gare, sans être obligé de tirer sa montre à tous les coins de rue pour s’assurer qu’il ne manquera pas le train, jouit de plusieurs avantages : s’il va à pied, il n’arrive pas en nage, le corps tout disposé à contracter un bon refroidissement ; s’il va en voiture, il n’est point exposé à se faire casser quelque membre par un cocher ivre ou trop rapide. Qu’il marche avec ses jambes ou qu’il emprunte celles du quadrupède divinisé par Buffon, le voyageur non pressé a le cerveau tranquille ; son encéphale n’est point tourmenté par les orages intimes qui grondent sous le crâne de quiconque craint de manquer le train.

Ne courez donc pas et partez à point, ô vous qui voulez éviter les effets fâcheux que produisent sur le système nerveux les appréhensions d’un voyage raté.

Je suis grand liseur et grand fumeur ; mais la vérité m’oblige à déclarer qu’en voyage on s’approvisionne trop et du papier à Gutenberg et d’herbe à Nicot. Il n’est pas bon de lire beaucoup en route ; il est mauvais de brûler beaucoup de tabac.

La lecture prolongée en wagon amène promptement la fatigue de l’organe visuel ; un peu plus tard, elle produit des maux de tête et même des bourdonnements d’oreille. On diminue considérablement ces inconvénients en ayant soin de laisser son livre toutes les dix minutes, et ne recommencer à lire qu’après avoir fermé les yeux quelques instants.

La fumée du tabac ajoute un élément de plus à l’insalubrité de l’air confiné. Fumeurs, écoutez ces paroles d’un hygiéniste éminent qui fume comme vous et moi : « Ne craignez jamais l’air actif ni tonique, disposez largement des bienfaits d’un air pur ; donnez ample satisfaction à cette règle absolue du renouvellement constant de l’air restreint ; ne laissez jamais tous les carreaux entièrement fermés ; conservez-en au moins un ouvert, au quart supérieur de sa hauteur pour vous faire un vasistas naturel, peu susceptible de vous incommoder. »

Quand le train est en marche, on fera bien de ne pas regarder perpendiculairement les sites se dérouler le long de la ligne. Celui qui s’appliquerait, avec une attention soutenue, à ne pas perdre un seul point de vue, aurait bien vite une sorte de vertige, suivi d’accidents analogues à ceux déjà signalés à propos de la lecture prolongée.

Il y a une quarantaine d’années, un oculiste belge fit grand bruit des inconvénients attachés au voyage en wagon. Grains de poussière, cendres, fragments de coke, cailloux, devaient déterminer des conjonctivites, des ulcérations de la cornée, des atrophies du globe oculaire, etc., chez les malheureux condamnés aux railways. Le public savant s’émut, il demanda au Dr en question de vouloir bien livrer ses observations à la publicité ; il déclara que rien n’était plus aisé que d’éviter les calamités annoncées : il suffisait de se munir d’une paire de lunettes inventées par lui. Disons qu’on peut protéger ses yeux avec n’importe quel lorgnon, ou pince-nez. L’important est de mettre le globe oculaire à l’abri des poussières venues de la tête du train.

Descendez chaque fois que le temps d’arrêt le permettra, pour faire provision d’air et de détente musculaire. Devez-vous et pouvez-vous prendre un repas au buffet, il ne faut pas oublier que viande bien mâchée est à moitié digérée.

Or, comment voulez-vous bien mâcher, si vous avez la prétention de faire passer sous la meule dentaire, en dix minutes, une quantité d’aliments qu’elle ne broie d’ordinaire qu’en plusieurs quarts d’heure ?

Dans ces repas rapides, les morceaux arrivent entiers dans l’estomac, et vous souffrez fatalement en remontant en wagon, parce que le suc gastrique ne peut suffire à rendre solubles, c’est-à-dire assimilables, les matériaux dont il doit opérer la coction. Le voyage a-t-il été long, aussitôt arrivé à destination votre premier soin sera de chercher un établissement de bains. L’eau tiède et le savon vous débarrasseront de la poussière qui s’était incrustée dans votre épiderme ; la baignoire et le linge blanc vous procureront un sentiment de calme et de bien-être tels que vous oublierez en un instant les petits ennuis de la route, pour ne vous souvenir que des avantages immenses des chars ailés employés à la parcourir.


Source : Le Rail, septembre 1976