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L’avenir du transport dans la CEE

Paul Arnould.

mercredi 30 octobre 2013, par rixke

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Plaidoyer pour le rail

L’idée de la constitution de la Communauté économique européenne était chargée d’espoirs. Espoir, notamment, d’une expansion équilibrée selon un rythme soutenu « au profit de laquelle le chemin de fer devait apporter une contribution plus importante que celle d’autres modes de transports qui, entre autres choses, respectent moins l’environnement. »

Ces propos, on les trouve dans la préface de la brochure éditée par le « Groupe des Neuf » [1]. Mais à l’expression de cet espoir succède l’affirmation d’une déception : les responsables de la politique commune des transports suivie jusqu’à maintenant ont eu tendance à sous-estimer les chemins de fer. Pourtant, face à une crise de l’énergie qui va en s’aggravant, le potentiel des chemins de fer se renforcera plus que jamais.

« Mais la politique suivie par la Communauté permettra-t-elle de l’utiliser pleinement ? » A cette question la brochure apporte sous une forme où la concision le dispute à la précision une réponse qui est à la fois un plaidoyer convaincant et une démonstration rigoureuse. Largement diffusée dans tous les milieux politiques, économiques, administratifs et sociaux, son contenu intéresse au premier chef tous les cheminots.

 Handicaps d’un service public

On y trouve tout d’abord la formulation de deux objectifs d’une politique commune des transports :

  • harmoniser les conditions de concurrence entre les divers modes et entreprises de transport ;
  • libérer le marché du transport des restrictions institutionnelles ou quantitatives à la circulation.

Dès I960, on prit la décision d’éliminer les obligations de service public pesant sur les chemins de fer, ou, si elles étaient maintenues, de leur donner droit à une compensation. Mais depuis 1970, peu de progrès ont été réalisés dans la voie d’une politique d’ensemble tenant compte de la qualité de la vie, de l’environnement, de l’égalisation des différences sociales et régionales, du problème de l’énergie.

En fait, on connut plutôt une libéralisation du marché des transports qu’une harmonisation et l’objectif de concurrence équilibrée ne put être atteint en raison de plusieurs handicaps pesant sur les chemins de fer :

  • obligations de service public (tarifaires, d’exploitation, de transport même dans des conditions non rentables), conditions de travail plus favorables au personnel que dans les entreprises concurrentes ;
  • coûts de la construction, de l’entretien et de l’exploitation de leurs infrastructures, alors que celles des autres systèmes sont gérées par l’Etat ;
  • limitation des investissements dans les chemins de fer à 8 à 15 % des sommes consacrées aux infrastructures de transport.

Pourtant, malgré ces handicaps et une concurrence sévère, le rôle du rail reste inestimable, et d’autant plus qu’il constitue le meilleur investissement dans une perspective d’avenir.

 Les avantages du rail

La brochure analyse ensuite les avantages des chemins de fer pour la collectivité :

  • Transport des voyageurs : ni voiture, ni autocar ne peuvent égaler la vitesse et le confort des services intervilles à moyenne distance, tandis que l’augmentation de la congestion des routes et du prix du carburant valorisera de plus en plus les services ferroviaires à courte distance autour des grandes agglomérations, surtout s’il y a intégration avec les réseaux autobus et métro, Quant aux voyages à longue distance, les services de nuit offrent une alternative commode au voyage par air.
  • Transport des marchandises : il n’existe aucun substitut aux transports par trains complets, les avantages du transport par wagons isolés sont évidents et l’utilisation des techniques du conteneur et du ferroutage prend une importance croissante.

Les nouvelles techniques s’adaptent particulièrement bien aux chemins de fer, pour le plus grand profit de la sécurité, de la fiabilité et des performances.

L’accent est évidemment mis sur les économies d’énergie et comme il s’agit en grande partie d’énergie électrique, celle-ci peut être produite à partir de sources diversifiées.

D’autre part, les chemins de fer constituent une source importante d’emplois (1 230 000 agents dans la Communauté) et comptent parmi les plus importants acheteurs de produits industriels.

Le rail est aussi économe d’espace : avec une bande de terrain large de cinq mètres, il peut amener 20 000 voyageurs en une heure, et sans créer de problèmes de stationnement, dans une grande gare, ce qui exigerait pour une autoroute une largeur de plus de vingt mètres... à condition qu’il y ait deux personnes par voiture.

Il présente un faible taux de nuisance :

  • moins bruyant : à 25 m un train émet 65 a 75 décibels, une voiture 70 à 90, un poids lourd plus de 100 ;
  • moins polluant : la voiture émet jusqu’à 33 fois plus de substances toxiques que le train.

Et il y a surtout la sécurité. La brochure rappelle opportunément qu’en 1976 il y eut 53 000 morts sur les routes de la CEE alors qu’il n’y eut que 41 morts par collision ou déraillement de trains. En cette même année, on dénombra 1 550 000 blessés sur les routes contre 706 dans les chemins de fer par collision ou déraillement.

 Eliminer les nuisances

On a connu ces dernières années un profond changement des conditions politiques, économiques et sociales. D’autre part le taux de croissance s’est affaibli et le gaspillage ne peut plus être admis, pas plus que l’actuelle détérioration de la qualité de la vie. La brochure du « Groupe des Neuf » constate en conséquence que « les Etats doivent s’efforcer de réduire au minimum le coût de l’énergie dans les transports tout en éliminant la pollution et les nuisances là où cela est possible sans réduire la qualité des transports publics. » Les chemins de fer sont les mieux armés pour résoudre ces problèmes, mais encore faudrait-il qu’au préalable certaines conditions soient remplies.

Les efforts des chemins de fer pour atteindre l’équilibre financier sont annihilés par le déséquilibre des conditions de concurrence entre les transporteurs, ce qui fausse le choix de l’usager, avec pour conséquence que la collectivité ne profite pas de tous les avantages du rail.

Le « Groupe des Neuf » postule, entre autres, une harmonisation des conditions de travail entre les différents modes de transport en rendant obligatoires certaines dispositions en matière sociale et notamment la fixation à douze heures par jour la durée maximale du travail dans les transports routiers (ce qui reste beaucoup plus que pour les autres travailleurs). Il relève que la concurrence est également faussée par le fait que les divers modes de transport contribuent inégalement à la couverture des charges de leurs infrastructures respectives.

En ce qui concerne le trafic routier, les taxes sont proportionnellement beaucoup trop faibles pour les poids-lourds, surtout si l’on tient compte qu’un camion chargé endommage la route 450 000 fois plus qu’une voiture particulière.

Pour ce qui est du trafic fluvial en Belgique, les recettes ne se situent qu’à 6,1 pour cent des dépenses d’infrastructures et, en dépit de l’accroissement des coûts, les péages n’ont guère évolué depuis près de quinze ans.

Une juste tarification des charges d’infrastructure orienterait la demande vers des formes de transport présentant le moindre coût pour la collectivité et freinerait les projets n’étant pas économiquement justifiés et constituerait un incitant en faveur de modes de transport engendrant moins de nuisances.

 Prévoir l’avenir

En matière des grands investissements d’infrastructures, le secteur ferroviaire a été défavorisé, au point que des investissements indispensables au trafic international ont dû être retardés ou abandonnés, les Etats leur préférant des projets purement nationaux. C’est pourquoi il est souhaitable que soit mis au point un mécanisme de coordination et de financement pour la réalisation d’infrastructures d’intérêt communautaire, comme par exemple le tunnel sous la Manche ou les traversées alpines qui souffrent de congestion chronique pendant les périodes de fort trafic.

Il faudrait en outre réduire les inégalités de concurrence et contrôler les capacités de transport, déjà excédentaires dans le secteur routier. La nécessité de protéger l’environnement, l’inquiétude à l’égard de la consommation d’énergie accroissent le rôle des chemins de fer, qui constituent un capital unique que la Communauté ne peut laisser s’avilir, sous peine d’une perte irréversible. C’est maintenant qu’il faut prévoir les mesures nécessaires pour le jour où le pétrole étant devenu presque impossible à obtenir, il faudra réorienter le trafic des voyageurs et des marchandises vers un système ferroviaire qui, si la politique actuelle est poursuivie, n’aura pas reçu le volume d’investissements nécessaire afin de conserver sa force et sa bonne santé, conclut le document.


Source : Le Rail, janvier 1981


[1Le « Groupe des Neuf » rassemble les neuf réseaux d’importance nationale de la CEE.