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Des « crocodiles » aux « balises »

Georges Finet.

mercredi 14 mai 2014, par rixke

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ou une page de l’histoire de la sécurité des circulations ferroviaires

Le « crocodile » ferroviaire ? Un nom inspiré de la zoologie mais défini comme suit par le « Robert » : « Appareil placé entre les rails d’une voie de chemin de fer pour donner un signal sonore au passage d’un convoi ». Le dictionnaire mentionne la date de 1890 pour la prise en considération de cette définition complémentaire. La « balise », avec sa future fonction, n’est pas encore entrée officiellement dans le vocabulaire ferroviaire. Le même dictionnaire la définit comme suit : « Emetteur radioélectrique permettant au pilote d’un avion ou d’un navire de se diriger ». Cette définition vaut également pour le rail.

la balise précédant le crocodile du signal d’entrée Q15 de Braine-le-Comte

Sur le réseau « B » comme sur tous les autres réseaux, le crocodile est familier aux conducteurs de trains, aux techniciens de la signalisation et aux agents du mouvement. La balise nouvelle sera généralisée sur le réseau « B » à partir de 1986. Sur les lignes à vitesse élevée de la SNCF, la balise, jumelée avec le crocodile, est utilisée pour la répétition des signaux de préannonce : le signal émis par la balise n’est perçu que par les trains autorisés à rouler à plus de 160 km/h. La répétition par balise fonctionne sans contact, seulement par effet d’induction électromécanique entre la balise du signal répété et le capteur de l’engin moteur.

La balise, conçue par la SNCB, aura, dans un premier temps, un autre rôle à remplir, puisque la vitesse des trains est limitée à 140 km/h : celui du contrôle des signaux franchis indûment en position d’arrêt et l’arrêt automatique du convoi en infraction.

Du fait de l’intensité de la circulation sur ses lignes axiales, le réseau belge ressemble aux heures de pointe à un réseau étranger de grande banlieue : les arrivées et départs des grandes gares se succèdent à des intervalles de 3 à 4 minutes et parfois moins. Le moindre incident provoque souvent des répercussions interprovinciales. De tout temps, mais davantage depuis une cinquantaine d’années, la SNCB a mené une politique qui recherche et dote ses agents d’outils de plus en plus performants, susceptibles de renforcer la sécurité ferroviaire et de pallier les défaillances humaines. Cet article relate succinctement l’histoire des réalisations, de l’évolution des études, recherches, travaux et essais des services techniques, pour finalement aboutir à la mise en service (en 86/87) de la fameuse balise, nouvelle étape vers une meilleure sécurité ferroviaire.

 Le crocodile

Comme défini ci-dessus, le crocodile belge, actuellement en service sur les lignes à vitesse élevée, est constitué d’une pièce métallique longue de 7 mètres et large de 10 cm. Précédée et suivie de supports inclinés de 2 mètres, ladite pièce présente une surface de contact de 3 mètres qui est composée de trois éléments ondulés et située à 92 mm au-dessus du niveau du rail.

 Histoire du crocodile

Si le « Robert » indique la date de 1890 pour l’officialisation de la définition du crocodile ferroviaire, il faut attendre les années 30 pour que ce dispositif de sécurité complète la signalisation existante en Belgique. En 1929, on déplora trois accidents ferroviaires spectaculaires dont deux étaient dus à des vitesses excessives. Ils survinrent à Namur et à Viane-Moerbeke. Le 17 avril, vers 6h25, en gare de Halle enfin, le 131 Paris - Amsterdam franchit le signal d’entrée en position fermée et tamponna le 5552, train de messageries à destination de Ath et de Tournai, qui « cisaillait » son itinéraire.

La voiture postale - non métallique - qui se trouvait en tête du train fut sérieusement endommagée et les dix postiers qui l’occupaient furent tués. Le mécanicien prétendit avoir observé le signal avertisseur en position ouverte.

Ces trois accidents émurent l’opinion publique et les dirigeants de la jeune SNCB ne restèrent pas inactifs : ils adoptèrent le système du crocodile.

Le crocodile - Colas, à l’époque, et en bronze - était constitué d’une pièce métallique monobloc que l’on plaçait dans l’axe de la voie, indifféremment à la hauteur d’un signal avertisseur, du 5e panneau sur les lignes dépourvues d’avertisseurs, du triangle de ralentissement temporaire ou du triangle de vitesse annonçant une réduction de celle-ci à au moins 50 km/h (cette énumération n’est pas exhaustive). L’entretien du crocodile « Colas » était difficile en hiver : il fallait le dégivrer en campagne à l’aide de pétrole. (Le Colas a été définitivement abandonné au début des années 50).

L’équipement des « signaux d’avertissement de tous types, la pose des « crocodiles » dans les voies et l’adaptation des installations de signalisation prirent un certain temps : la première ligne équipée fut la nouvelle ligne - en cours d’électrification dès 1932 - Bruxelles Nord - Anvers Central. Tous les autres grands axes suivirent immédiatement. La technique du « crocodile » évolua : au début, les « crocodiles » étaient mis sous tension positive lorsque son signal imposait un franchissement restrictif c’est-à-dire un ralentissement.

Cette tension captée par une brosse métallique fixée sous l’engin de traction, actionnait dans l’abri de la locomotive vapeur et plus tard dans le poste de conduite des autres engins, un signal sonore, confirmant l’indication donnée par le signal. Ce rappel sonore alertait en même temps le machiniste ou conducteur qui n’aurait pas observé les indications du signal. Le crocodile était, d’autre part, sous tension négative lorsque le signal était ouvert. Cette indication se marquait sur la bande enregistreuse se trouvant sur la locomotive, lorsque le type d’appareil le permettait. (Flaman uniquement au début).

Les engins de traction furent, de leur côté, équipés de chronotachymètres de types divers : Hasler (types 1), Téloc (type 10, plus tard généralisés en diesel et en électriques) et Rodolausse (type 7) etc...

Les crocodiles furent démontés pendant la guerre 40-45. Ils furent rétablis à l’issue du conflit mais d’abord sans enregistrement des signaux avertisseurs au passage. A partir de 1954, à la demande de la SNCF dont les locomotives « vapeur » pénétraient depuis 1947-48 sur les lignes de la SNCB, le réseau belge rétablit le contrôle complet de la position des signaux d’avertissement. Ce système permettait d’ailleurs de déceler d’éventuelles avaries. Tous les chronotachymètres des engins de traction furent aussi adaptés. Les locos diesel 204 de Schaerbeek qui, à partir de 1957 assurèrent l’aller retour Bruxelles - Paris furent équipées en priorité, avant d’être admises à circuler sur le réseau français, lequel avait toujours réalisé le double enregistrement. En 1969, la répétition des deux informations était généralisée sur tous les engins de traction, sauf sur les locos de manœuvre.

 La pédale d’homme-mort

En 1935, les premiers autorails firent leur apparition sur le réseau de la SNCB. Ils furent présentés à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1935. On y remarquait surtout un nouveau dispositif : « la pédale d’homme-mort ».

Le conducteur, responsable de la conduite du train, devait appuyer « à fond » sur cette pédale qui garantissait - en principe - l’arrêt de l’autorail en cas d’indisposition de celui-ci.

La pédale d’homme-mort fut ensuite généralisée sur les premières locomotives électriques, diesel et sur les automotrices. Cependant, dans les années 50, le conducteur d’un train omnibus de la ligne Bruxelles - Anvers perdit connaissance dans son poste de conduite et brûla, malgré le dispositif, le premier arrêt. Il fallut couper le courant de la caténaire pour provoquer l’arrêt du train. C’est de cet incident que naquit l’idée d’un dispositif plus fiable : « la pédale de veille automatique ».

 La pédale de veille automatique

Celle-ci fut présentée en 1958. Cette pédale, disposée sur le plancher du poste de conduite, doit être manœuvrée par le conducteur. Elle doit être enclenchée dans une position médiane, dite d’équilibre et est « réarmée » pendant un court instant toutes les 50/60 secondes, sur invitation d’un ronfleur appuyé, sur certains engins moteurs, par un signal lumineux.

Dès le fonctionnement du ronfleur, la valve d’urgence se déclenche à défaut de réarmement dans un délai de

  • 3 à 5 secondes pour un engin moteur de ligne ;
  • 6 à 8 secondes pour un engin moteur de manœuvre.

Lorsque la pédale n’est pas maintenue en position correcte ou lorsque le réarmement n’a pas été effectué dans le délai prescrit, le dispositif de veille automatique provoque la vidange de la conduite générale du frein automatique par l’intermédiaire de la valve d’urgence ainsi que l’isolement des moteurs de traction, donc l’arrêt sans délai du train.

La pédale de veille automatique constitue le dispositif de sécurité « principal » à bord des engins de traction. Ceux que nous allons présenter constituent les dispositifs « auxiliaires » d’aide à la conduite, de vigilance et de mémorisation.


Source : Le Rail, janvier 1986