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Electrification de la ligne 140 Ottignies - Charleroi
LRG.
mercredi 2 juillet 2014, par
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Une opération de délestage |
La ligne 124 qui relie Bruxelles à Charleroi connaît depuis bien des années un trafic très dense et en même temps fort hétérogène. En effet, beaucoup de trains de voyageurs appartenant à quasiment toutes les catégories du service intérieur l’empruntent, de même qu’un nombre important de circulations marchandises, parmi lesquelles les lourds convois de minerais venant du port d’Anvers et assurant l’approvisionnement des usines sidérurgiques du bassin de Charleroi.
L’exploitation d’une telle ligne n’est évidemment pas chose aisée et, en cas d’incident, des retards et d’autres perturbations peuvent se produire assez rapidement. Un délestage de cet axe par une relative séparation des trafics était donc vivement souhaité depuis tout un temps déjà.
Après étude du problème, il fut décidé, en 1979, d’électrifier et de moderniser la ligne 140. Comme celles de Malines à Louvain (53) et de Louvain à Ottignies (139) étaient déjà électrifiées, les travaux à réaliser entre Ottignies et Charleroi, qui furent exécutés à partir de 1982, allaient permettre de disposer d’un nouvel itinéraire « tout électrique » entre Anvers et Charleroi, itinéraire qui offrait l’avantage d’éviter l’agglomération bruxelloise sans toutefois allonger excessivement les parcours.
La ligne 140
Cette ligne, longue de quelque 36 km, fut construite à l’initiative de la compagnie du chemin de fer de Charleroi à Louvain, créée en 1852. Celle-ci devint la compagnie de l’Est belge en 1859, laquelle fusionna en 1864 avec d’autres sociétés ferroviaires pour former le grand central belge. Celui-ci assura l’exploitation jusqu’en 1897, année où la concession fut reprise par l’Etat belge.
Orientée globalement du nord-est vers le sud-ouest, la ligne quitte la gare d’Ottignies en passant sous les voies Bruxelles - Namur. Ensuite, elle emprunte successivement les vallées de la Dyle et de la Thyle jusqu’à Villers-la-Ville, localité connue pour les vestiges de son abbaye, qu’elle traverse. Celle-ci monte ensuite sur le plateau de Marbais et gagne Fleurus pour redescendre un peu plus loin dans la vallée de la Sambre et atteindre Charleroi Ouest. Au-delà, elle se raccorde à la ligne 124 à Marcinelle, sans permettre un accès direct à la gare de Charleroi Sud, gare principale de l’agglomération. Ceci explique que le service voyageurs entre Ottignies et Charleroi ait été jusqu’à présent limité à Charleroi Ouest. Toutefois, une liaison directe entre les deux gares de cette ville est actuellement en cours de construction (voir ci-dessous). Le profil en long de la 140 est dans l’ensemble assez favorable, surtout dans le sens Ottignies - Charleroi, où la rampe la plus marquée, entre Villers-la-Ville et Tilly, ne présente qu’une déclivité inférieure à 13 ‰.
En sens inverse, il faut toutefois noter une rampe de 24 ‰ à Lodelinsart, dans la banlieue de Charleroi. Son tracé, quant à lui, n’est pas très tourmenté et on ne recense que quelques courbes dont les rayons imposent une limitation de vitesse à 90 km/h, dans la zone de Villers-la-Ville à Tilly.
Plusieurs embranchements
A Court-Saint-Etienne, la ligne 140 donne accès à la ligne 141. Anciennement, celle-ci gagnait Nivelles et même Manage mais, actuellement, elle n’est plus exploitée qu’en trafic marchandises et ce jusqu’à Genappe, essentiellement pour la desserte de la sucrerie installée dans cette localité. La ligne 147 vient également se greffer sur la ligne 140, entre Ligny et Fleurus, un peu avant cette dernière gare. Autrefois, cette ramification permettait de gagner Gembloux et, au-delà, Landen via Ramillies. Aujourd’hui cependant, seul son tronçon Fleurus - Sombreffe est exploité en trafic marchandises, pour le service d’une entreprise spécialisée dans les engrais et autres produits agricoles. Au-delà de la gare de Fleurus, la 147 continuait jusqu’à Tamines, mais cette liaison est actuellement hors service. Par ailleurs, la ligne 140 donne également accès à quelques raccordements industriels dans la banlieue de Charleroi. Enfin à Charleroi Ouest, elle est reliée à la ligne 260 qui permet d’atteindre Monceau-formation tout en assurant la desserte des usines sidérurgiques voisines.
Des travaux d’un bout à l’autre |
Remise à double voie et renforcement
Initialement, la 140 avait été établie à double voie mais l’une d’elles avait été déposée sur une vingtaine de kilomètres environ, entre Court-Saint-Etienne et Fleurus, compte tenu de la diminution des besoins. Etant donné l’accroissement de trafic qu’elle allait devoir absorber après l’électrification, la ligne a été remise à double voie sur tout son parcours. De plus, on a renouvelé les rails, les traverses et le ballast sur la voie existante tandis que la voie Ottignies - Charleroi a été équipée de bout en bout de rails de 60 kg/mètre, compte tenu des convois lourds (trains de minerais) qu’elle doit dorénavant supporter. A l’occasion de ces travaux, les dévers de la plupart des courbes ont été augmentés et certaines d’entre elles ont fait l’objet de légères rectifications de tracé afin de pouvoir porter la vitesse praticable à 120 km/h sauf en quelques endroits où elle reste limitée à 90 km/h, comme dans la zone mentionnée plus haut ou entre Ottignies et Court-Saint-Etienne.
Aménagements en ligne
Dans le cadre des travaux entrepris, deux voies d’évitement d’une longueur de quelque 600 m, accessibles à 60 km/h, ont été établies à Marbais, environ à mi-distance d’Ottignies et de Charleroi. Grâce aux possibilités de dépassement, de croisement ou de garage en ligne qu’il offre, cet équipement peut contribuer à régulariser le débit de la ligne, surtout en cas de travaux ou de perturbation des circulations. D’autres voies de garage longues existent encore, à Fleurus, Ransart (dans le sens Ottignies - Charleroi) et à Lodelinsart (dans l’autre sens). En outre, des équipements permettant la prise de contre-voie ou la reprise de voie normale ont été installés à Court-Saint-Etienne, La Roche, Tilly, Fleurus et Lodelinsart, ce qui offre également d’intéressantes possibilités pour la régulation du trafic.
Adaptation des ouvrages d’art et des passages à niveau
Une dizaine de passages supérieurs (ponts ou passerelles) ont dû être démolis afin de dégager le gabarit nécessaire pour l’électrification. Cinq d’entre eux ont été reconstruits quasi sur place. Parmi ceux-ci, on peut noter, à Lodelinsart, un pont réalisé à partir de poutres en béton précontraint de 42 m de longueur, ce qui constitue une des plus grandes portées jamais rencontrées sur le réseau, pour ce type d’ouvrages.

Par ailleurs, le tablier d’un des passages supérieurs maintenus a dû être relevé. De plus tous ces ouvrages ont été équipés de garde-corps spéciaux pour la protection des piétons vis-à-vis des caténaires. Quant aux passages inférieurs, on relèvera que deux d’entre eux ont dû être rétablis à double voie entre Court-Saint-Etienne et Fleurus. Parallèlement à ces divers travaux, plusieurs murs de soutènement ont été érigés ou confortés tandis que des pistes étaient aménagées ou rétablies le long des voies. Enfin, quatre passages à niveau ont été supprimés à cette occasion (un cinquième devant l’être à terme), tandis que vingt et un autres étaient équipés de nouvelles installations et voyaient leurs distances d’annonce des trains allongées, compte tenu de l’électrification et du relèvement de vitesse intervenus.
Modernisation et adaptations diverses dans les gares
A Ottignies, les liaisons constituant la tête du faisceau de départ vers la ligne 140 [1] ont été quelque peu modifiées, entre autres en vue de désencombrer le passage à niveau n° 45, situé juste à la sortie de la gare.
A Court-Saint-Etienne, où il y avait initialement deux faisceaux marchandises établis de part et d’autre des voies principales, seul celui qui se trouve à gauche de la voie Charleroi - Ottignies a été maintenu.
Plus loin, diverses simplifications des plans de voies des gares ont également été réalisées à Faux, Tilly, Ransart, Lodelinsart et Dampremy, tandis qu’à Fleurus, où quelques adaptations ont aussi été exécutées, on a, à cette occasion, porté la longueur de la troisième voie à quai à 575 m, afin de disposer là d’une possibilité d’évitement supplémentaire.
Par ailleurs, les quais de Céroux-Mousty ont été allongés et ceux de Court-Saint-Etienne vont être réaménagés. De plus, un couloir sous voies a été construit à Ligny tandis qu’un autre doit l’être entre Court-Saint-Etienne et Céroux-Mousty. Un nouveau bâtiment voyageurs a été érigé à Tilly. Plus loin, en gare de Fleurus, il a fallu démonter les anciens abris-parapluie, fort caractéristiques mais gênant l’installation des caténaires et aussi... assez vétustes ! Par contre, un bâtiment à usages divers (BUD) y sera bientôt édifié, pour les services techniques.
A Charleroi Ouest enfin, les voies furent déplacées afin de rectifier leur tracé et les quais furent adaptés en conséquence. Ceux-ci seront bientôt directement accessibles à partir du pont dit « du viaduc », grâce à deux escaliers (un par quai) actuellement en voie d’achèvement. Il est à remarquer que l’escalier desservant le quai 1 donnera aussi accès à la station « Ouest » du métro de Charleroi, ce qui facilitera l’établissement de correspondances pour les voyageurs. Par ailleurs, les aiguillages situés à la sortie sud de la gare, en direction de Marcinelle, ont aussi été adaptés, compte tenu entre autres de l’établissement d’un nouvel accès à Charleroi Sud.
Le raccordement direct avec Charleroi Sud
Cette liaison, offrant de très intéressantes perspectives tant en trafic voyageurs qu’en trafic marchandises, s’insère toutefois dans un environnement très encombré : constructions et terrains industriels ou publics divers, ring de Charleroi et autres voiries, installations existantes de la SNCB (raccordement à l’entrepôt douanier) qu’il a fallu modifier, Sambre canalisée, etc. De ce fait, son tracé général en courbe présente par endroits des rayons assez prononcés ainsi que, localement, une pente moyenne de 19 ‰. Longue d’environ 400 m, cette liaison se détache de la ligne 140 juste après les aiguillages de la sortie sud de Charleroi Ouest. Après avoir franchi la Sambre sur un pont aux caractéristiques assez spéciales [2], elle passe sous deux voiries urbaines et aboutit à l’entrée ouest de Charleroi Sud, en se raccordant aux voies 1 et 2 de la gare.
Compte tenu du peu de place disponible et de diverses contraintes techniques, elle a dû être établie à simple voie, praticable à 30 km/h dans les deux sens, ce qui ne constitue toutefois pas vraiment un handicap, étant donné sa longueur limitée et les avantages que sa seule existence procure (voir ci-dessous).
Le domaine électrique |
Les caténaires et l’alimentation en énergie
L’électrification de la ligne a nécessité l’équipement en caténaire de quelque 36 km de voie double principale et d’environ 10 km de voies secondaires, ce qui a impliqué des travaux de fouille et de bétonnage de plus de 9 000 m³ et le placement de près de 2 000 poteaux. En voie principale, la caténaire est du type « compound » (un porteur principal, un porteur auxiliaire et deux fils de contact) tandis que les voies secondaires et les liaisons entre voies sont équipées d’une caténaire simple (un câble porteur et deux fils de contact).
L’alimentation en énergie de traction est bien entendu réalisée sous la tension continue de 3 000 volts. Celle-ci est débitée par les sous-stations de traction existantes d’Ottignies et de Charleroi, qui ont été dotées d’équipements de départs supplémentaires mais aussi par deux nouvelles sous-stations implantées, l’une à Marbais et l’autre, à Ransart. Le réseau alternatif général à haute tension alimente ces sous-stations (70 000 volts à Marbais et 30 000 volts à Ransart) qui sont toutes deux équipées de deux groupes redresseurs de 4 200 kw/h chacun. Pour mémoire, on peut relever que les deux sous-stations d’extrémité disposaient déjà, chacune, de trois groupes redresseurs d’une puissance unitaire de 4 200 kw/h. Par ailleurs, des postes de sectionnement destinés à régulariser la tension en ligne par la mise en parallèle de plusieurs secteurs de caténaires ont été établis à Faux et à Charleroi Ouest. L’ensemble de ces équipements neufs est géré de façon centralisée et cette tâche a été confiée au répartiteur ES de Charleroi.
Signalisation : vers la télécommande
Dans le cadre de l’électrification, la signalisation automatique lumineuse de voie normale et de contre-voie a été installée sur l’ensemble de la ligne, selon un découpage en cantons de 1 500 m de longueur en moyenne, tant en voie normale qu’en contre-voie, afin d’obtenir une bonne capacité d’écoulement des circulations. Ceci a entraîné le placement d’une soixantaine de signaux automatiques en plus bien entendu, des 66 signaux commandés par les divers postes de block.
Sans compter les deux postes d’extrémité, à savoir les blocks n° 6 d’Ottignies et n° 20 de Charleroi Sud, ces postes sont au nombre de 6, tous du type « tout relais » puisque, dans le cadre de ces travaux, les anciennes cabines Siemens de Ransart et Lodelinsart ont été remplacées par de nouveaux postes utilisant cette technologie.
Toutefois, il importe de relever qu’à partir de fin 1986, cinq de ces cabines vont être progressivement reprises en télécommande par la sixième, celle de Fleurus. A cette fin, les pupitres du signaleur et de l’agent du mouvement ainsi que le tableau de contrôle optique de ce poste ont été complètement renouvelés et une technique moderne développée par les ateliers ES d’Etterbeek en collaboration avec la firme Siemens est mise en œuvre tant à Fleurus que dans les postes télécommandés. De plus, un appareillage d’annonce automatique des trains (AAT) couvrant toute la ligne et relié à Ottignies ainsi qu’à l’AAT de Charleroi Sud est aussi en cours d’installation à Fleurus.



Ce poste doit également recevoir un tableau spécial permettant la couverture matérialisée des « cas caténaires » [3].
Ainsi équipé, le poste de Fleurus assurera à terme, à lui seul, le suivi des trains et la commande de la signalisation sur toute la ligne 140, d’Ottignies (exclu) à Charleroi Ouest (exclu, puisque cette gare est commandée par le block 20 de Charleroi Sud).
Cette réalisation permettra d’avoir une vision d’ensemble des circulations et, partant, une meilleure gestion du trafic tout en induisant diverses économies d’exploitation.
Un visage entièrement neuf |
Grâce aux divers travaux réalisés, la traction électrique a pu être mise en service le 1er juin 1986 et, dès ce moment, d’importantes modifications se sont produites dans l’exploitation de la ligne 140. Le service des voyageurs a ainsi été accéléré par la mise en circulation d’automotrices doubles classiques en remplacement des vieilles rames réversibles de type M1 tractées ou poussées par des locomotives diesel.
Entre Ottignies et Charleroi Ouest, des trains L circulent selon une cadence horaire (16 trains par jour en semaine) et effectuent le trajet en 37 minutes au lieu de 46 en traction diesel. A Ottignies, les correspondances sont axées sur l’IC « H » (vers Namur ou Bruxelles/Gand) en semaine et sur l’IC « L » (vers Bruxelles ou Arlon/Luxembourg) les samedis et dimanches.

En trafic marchandises, outre certains trains interformations ou de desserte, neuf convois de minerais empruntent désormais quotidiennement cette relation jusqu’à l’entrée de Charleroi Ouest. De là, ils gagnent les usines sidérurgiques principalement via la ligne 260 et le faisceau d’échange dit de « la blanchisserie », qui va être également aménagé à court terme.
D’autres changements en perspective
Le canevas actuel d’exploitation n’est cependant pas établi pour de nombreuses années, car d’autres modifications sont encore attendues dans un proche avenir. En effet, dès que la liaison Charleroi Ouest - Charleroi Sud sera réalisée, les trains de voyageurs desservant la ligne 140 auront leur origine ou leur terminus dans cette dernière gare, ce qui permettra d’y aménager de nouvelles et intéressantes correspondances. De plus cette liaison sera également bénéfique pour le trafic marchandises dans le système des transports ferroviaires liés à la sidérurgie carolorégienne : rotation accélérée des rames entre la nouvelle coulée continue de Marcinelle et CARLAM à Châtelet, passage de wagons-poche pour le transport de fonte en fusion, etc. En outre comme le profil de la 140 est plus favorable que celui de la ligne 161, cette liaison pourrait permettre de faire transiter par Charleroi divers trains lourds venant du nord du pays et destinés au sud-est ou au grand-duché de Luxembourg et au-delà. Une étude économique est actuellement en cours à ce sujet.

Comme on le voit, la ligne 140 a assurément un bel avenir devant elle !
Source : Le Rail, décembre 1986
[1] Appelé faisceau « Manage », en référence à l’ancien terminus de la ligne 141, Louvain - Manage.
[2] Ila fallu en effet tenir compte de diverses contraintes d’implantation tout en permettant le passage de charges concentrées très importantes, tels les wagons-poche pour le transport de fonte en fusion qui peuvent peser jusqu’à 400 T, soit 16 essieux à 25 T par essieu, sur une longueur de 31 m 65 ! Nous reparlerons prochainement de ce pont.
[3] Cet équipement découpe la ligne en zones caténaires et, en cas d’incident ayant entraîné la mise hors service de la caténaire dans une de celles-ci, il permet, par certaines manipulations, d’empêcher l’ouverture des signaux donnant accès à cette zone tout en ménageant la possibilité d’autoriser ponctuellement l’un ou l’autre mouvement vers celle-ci, tel l’introduction d’un autorail d’intervention par exemple.