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L’Inde en train

mercredi 9 juillet 2014, par rixke

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« L’Inde en train » est le titre d’un livre édité par Elsevier ; les photos couleur et noir et blanc sont l’œuvre de P. Pet qui, avec sa femme, a sillonné l’Inde pendant une vingtaine de semaines. Ensemble, ils ont parcouru les vallées, les montagnes inhospitalières qui surplombent Shimla et Darjeeling, la région pittoresque de Rahajasthan avec ses vieilles villes, ses palais et ses festivals, et enfin le sud aux multiples temples décorés de statues.

Les textes d’accompagnement sont de B. Hollingsworth et de G. Moorhouse. Ils sont très suggestifs et vous allez pouvoir vous en rendre compte avec l’extrait qui suit.

En Inde, l’ère du chemin de fer a débuté le 16 avril 1853, jour où le « Great Indian Peninsula Railway » mit des trains en circulation entre Bombay et Thana, sur une distance de 32 km. C’est ainsi que fut inauguré le premier tronçon d’un réseau, exploité par une seule société, qui allait devenir le deuxième au monde par sa longueur.

 Les premiers pas

Les Anglais abordèrent en Inde dès la fin du 15e siècle, avec des intentions mercantiles plutôt que guerrières.

En 1600, la reine Elisabeth octroyait un privilège royal à la « John Company », qui dès lors prospéra rapidement et étendit ses activités sur une grande partie du territoire. Lorsque la reine Victoria monta sur le trône, Calcutta était devenue la capitale d’un empire administré par un gouverneur général au nom de l’ « East Indian Company ». Lord Dalhousie, homme clairvoyant, se rendit compte qu’il était essentiel pour le gouvernement de prendre lui-même en main l’organisation des chemins de fer. Il comprit surtout que le transport par rail devait être conçu à l’échelle de ce vaste pays !

Il était primordial de disposer de voies à largeur uniforme et suffisamment espacées. L’Angleterre alors connaissait deux largeurs de voie différentes : celle de Stephenson, large de 1 435 mm, et la voie légendaire de Brunel, large de 2 140 mm. La solution adoptée fut un compromis : la largeur des voies indiennes serait de 5,5 pieds ou 1 676 mm.

 Le développement d’un réseau ferré

Dès 1857, la pose des lignes se poursuivit à un rythme accéléré. En 1865, la relation entre Calcutta et la région de Delhi était achevée et il était déjà possible de parcourir en train plus de la moitié de la distance entre Bombay et Delhi ou Madras. L’idée d’installer des voies ferrées se répandit aussi dans les parties de l’Inde qui ne relevaient pas directement des autorités britanniques. Ainsi dans l’ouest du pays, on construisit un chemin de fer d’une largeur de voie de 762 mm, qui devait se prolonger par la suite sur une distance de 500 km. Il s’agissait là du prototype d’un grand nombre de voies étroites d’intérêt purement local et d’une largeur oscillant entre 600 et 762 mm. Vers 1870, environ 7 000 km de lignes principales étaient terminées et 3 000 km étaient en construction. Lorsque fut soulevée la question de l’aménagement des voies secondaires, il devint clair que le budget n’y suffirait pas et l’idée d’une voie plus étroite fut alors lancée. La voie étroite - largeur 762 mm - était un système déjà largement diffusé mais jugé peu pratique car, sur cette voie, deux chevaux de cavalerie ne pouvaient se tenir debout côte à côte dans un wagon. Le choix se porta finalement sur une voie large de 1 000 mm.

Les autorités indiennes posèrent ainsi le premier jalon d’une situation qui persiste toujours à l’heure actuelle, c’est-à-dire l’existence de deux réseaux différents dans un même pays. En 1889, le remarquable terminus Victoria du Great Peninsula Railway fut inauguré à Bombay.

 L’Etat reprend l’affaire en main

Dans les cinquante années qui suivirent, les voies ferrées indiennes devinrent petit à petit la propriété de l’Etat qui reprit également leur exploitation.

Il fut décidé d’importer une série de locomotives standard. En 1903, cinquante ans après l’octroi des permis pour la construction de la ligne, les autorités achetèrent l’East Indian Railway.

L’objectif était que l’Etat devienne propriétaire du réseau et l’exploite avec du matériel standardisé. Ce processus d’étatisation fut réalisé pas à pas pendant les trente années suivantes.

 L’indépendance et j’autonomie

L’indépendance, proclamée en 1947, aboutit à la partition de l’Inde coloniale en trois entités. La nouvelle république indienne conserva environ 55 000 des 67 000 km de voies construites avant l’indépendance, un réseau qui se caractérisait par l’insuffisance de nombreuses relations. Le Pakistan actuel hérita d’un peu plus de 9 000 km de lignes et le Bangladesh de 2 700 km.

Les noms traditionnels des grandes sociétés de chemins de fer disparurent entre 1951 et 1952 à la suite d’une réorganisation qui divisa le réseau en six nouvelles zones. Les frontières des nouveaux Etats avaient été fixées de façon naturelle sans tenir compte des problèmes de transport qu’elles susciteraient.

L’Inde nouvelle fournit tous les efforts pour devenir autonome. Peu après l’indépendance, le gouvernement entreprit de réduire la part étrangère, dans la livraison de matériel ferroviaire par la construction d’usines de locomotives et de voitures, avec l’aide des Britanniques et des Suisses.

 L’Inde : le pays des ponts gigantesques

Dans les régions de plaine, les cours d’eaux sont larges et nécessitent des ponts à leur mesure. Pour les constructeurs, la composition du sol posait un problème. Pendant des millénaires, les fleuves avaient charrié du sable fin en provenance des montagnes et l’avaient déposé en aval.

Cette couche épaisse, mais trop friable pour supporter les fondations des grands ponts constituait donc un handicap. Puisque le sol ne pouvait supporter seul pareilles constructions, on utilisa le frottement entre le sol et les fondations pour soutenir ces dernières. Cette méthode de construction sur des puits de fondation fut un succès : les 110 000 ponts ferroviaires bâtis selon ce procédé sont d’ailleurs là pour en témoigner !

Au début, les poutres en fer étaient acheminées d’Angleterre sous forme d’éléments préfabriqués mais, après un certain temps, l’Inde fabriqua elle-même ces pièces.

 Les rails et les poteaux de signalisation

Les premiers ingénieurs britanniques introduisirent en Inde les rails à double champignon. A l’époque, le rail à semelle plate, dit « Vignole » et utilisé maintenant dans le monde entier, n’était jugé bon que pour les voies secondaires.

Les Indiens changèrent d’avis 40 ans avant les Britanniques car, aux alentours de 1910, le rail standard des voies principales était doté d’une semelle plate d’un poids de 45 kg/m. Pour les voies secondaires, on utilisa des rails plus légers d’un poids minimal d’environ 9 kg/m.

Outre les traverses en bois, les traverses en fonte ou en béton, reliées par des entretoises métalliques, furent et sont toujours employées. En Inde, de nombreux signaux mécaniques fonctionnent encore, même aux nœuds importants du réseau. Au système mécanique se sont ajoutées d’autres techniques, de sorte que le système est devenu encore plus hétéroclite que le modèle britannique dont il tire son origine.

La voie unique, dont la sécurité est assurée par un « système de gages », reste bien caractéristique du réseau indien. De quoi s’agit-il ? Le conducteur du train cède une espèce de gage qui lui donne le droit de circuler sur un tronçon bien précis. Cet objet peut être une petite plante, une clé, un bâton ou une balle. Les conducteurs déposent ces objets dans des instruments électriques au début et à la fin d’un tronçon. Dès que l’un des objets est retiré de l’un des deux instruments, ceux-ci se verrouillent automatiquement. L’objet du second instrument ne peut être enlevé avant que le premier ne soit replacé dans l’un des instruments au début ou à la fin du tronçon. L’Inde a bien sûr développé sa propre industrie capable de fabriquer des signaux électriques modernes et c’est ainsi que de nombreuses installations de signalisation modernes équipent le réseau.

 Les trains

Les trains indiens (max. 3 048 mm) impressionnent par leur largeur mais la hauteur moyenne (max. 4 470 mm) déçoit quelque peu.

Le plancher des wagons est situé au même niveau que les quais. Tout comme les freins à air qui équipent la plupart des trains indiens, ce mode de construction est lui aussi d’origine britannique.

En matière de transport des marchandises, le train joue un rôle essentiel car il assure 65 % du trafic total.

Les fans du rail apprécieront les 8 000 locomotives à vapeur toujours en activité. Chacun des trois grands types de voie a donné naissance à sa propre dynastie de locomotives et de matériel roulant, la part de la traction à vapeur devenant proportionnellement plus grande au fur et à mesure que la voie diminue de longueur.

 La voie large

Le développement des voies ferrées en Inde a démarré à une époque où les Anglais utilisaient presque exclusivement des locomotives à trois essieux à cylindres intérieurs, aussi bien dans la version tender que dans la version tender séparé.

Ces locomotives étaient conçues avec une disposition d’essieux 1A1 pour les trains directs, 1B et B1 pour les relations ordinaires et C pour le transport de marchandises. En 1877, les premières locomotives 2B furent introduites et en 1880, les premières machines 2C furent livrées au « North Western Railway ». Au total, 325 locomotives furent construites, dont plus de la moitié entrèrent en service dans d’autres sociétés.

Au début de ce siècle, la circulation ferroviaire en Inde prit une extension telle que les fabriques de locomotives en Angleterre ne suffisaient plus à la tâche !

Le gros problème étant la diversité des modèles qui variaient d’une société à l’autre, on entrevit alors la nécessité de concevoir une série de locomotives standard, qui allaient être produites par la « British Engeneering Standards Association ».

Peu de temps après la Première Guerre mondiale, l’Inde entama l’électrification de quelques voies principales.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, le pays fut submergé de locomotives simples mais fiables en provenance des Etats-Unis et du Canada.

A la suite de quelques déconvenues causées par les locomotives pour trains de voyageurs de conception et de fabrication britanniques, quelques prototypes d’une nouvelle classe de machines, connue sous l’appellation classe WP, furent commandés à la firme Baldwin. On produisit en tout 375 de ces locomotives 2C1 d’aspect plutôt lourd mais néanmoins de bonne qualité. Une orientation similaire fut prise en vue du développement d’une série de locomotives standard pour train de marchandises.

Quotidiennement, 2 millions d’Indiens se rendent à leur travail à bord de trains électriques sur voie large ; ces trains sont composés de plusieurs rames. Ces incroyables « machines à transporter » sont utilisées sur une grande échelle aux alentours de Bombay et de Calcutta. Quelques trains de ce type circulent également sur les voies métriques des environs de Madras. Les trains de banlieue ont roulé pour la première fois à Bombay en 1925 et leur nombre n’a fait que croître au fil du temps.

Il est logique que le modèle britannique ait été suivi pour la conception des premières voitures indiennes. Ces voitures se composaient de compartiments séparés à deux portes latérales, contrairement aux modèles standard américains ou européens dont les portes se trouvaient à l’extrémité de la voiture. Alors que dans d’autres parties du monde, les corridors et les soufflets d’intercirculation faisaient leur apparition, l’Inde ne les adopta que beaucoup plus tard.

De plus, à partir de 1958, les autorités lancèrent un vaste programme de production de matériel diesel et électrique autochtone. Un contrat fut conclu avec l’American Locomotive Co (Alco), Shenectady (Etats-Unis) pour l’installation d’une usine de locomotives diesel à Varanasi (Benares), qui deviendrait la propriété du chemin de fer. Les locomotives y seraient produites en série selon le modèle d’Alco. Cette standardisation très poussée des locomotives, aussi bien diesel qu’électriques, est très frappante.

Lorsque l’usine de Chittaranjan arrêta la production de locomotives à vapeur, elle se reconvertit dans la construction de machines électriques en vue d’équiper le réseau électrifié en extension constante.

 La voie métrique

La première ligne à voie métrique fut inaugurée en 1873 et reliait Delhi à Rewari, sur une distance de 83 km. Au début de ce siècle, un vaste réseau d’une longueur de plus de 2 600 km s’était déjà développé à partir de ce premier trajet. Ce réseau désenclavait la région à l’ouest de Delhi et s’étendait jusqu’à la côte.

Une autre région à être aménagée en voies métriques fut celle située au nord du Gange. La liaison entre les deux réseaux laissait toutefois à désirer. La voie métrique apparut aussi en Assam et dans l’extrême sud du pays ; ces deux réseaux régionaux n’allaient être reliés au reste du pays qu’après l’indépendance.

L’Etat exerça une influence prépondérante dès le commencement de la construction des locomotives à vapeur pour voie métrique, de sorte que ces locomotives furent standardisées dès le départ. Elles étaient désignées alphabétiquement et dans l’ordre chronologique de fabrication.

Dès 1920, une série de modèles de locomotives conçues selon les normes indiennes firent leur apparition ; elles ressemblaient beaucoup aux types destinés aux voies larges, mais elles connurent plus de succès que ces dernières. Depuis quelques années, l’utilisation de la traction diesel s’accroît sensiblement. Les locomotives diesel standard sont de type Alco et sont équipées des mêmes pièces que les locomotives pour voie large. Le matériel roulant destiné à la voie métrique est une version plus petite du matériel circulant sur voie large. Depuis que les trains sur voie métrique doivent parcourir de grandes distances, des voitures-lits et des voitures-restaurants complètent les meilleurs trains. L’espace à l’intérieur des voitures est moins réduit qu’il n’y paraît, car la largeur des voitures sur voie métrique peut être jusqu’à 2,6 fois supérieure à celle de la voie, alors que le matériel roulant sur voie large n’a qu’une largeur 1,8 fois supérieure à celle de la voie.

 La voie étroite

En Inde, on entend par voie étroite toute voie dont la largeur n’excède pas 800 mm. Comparée à tout autre pays, l’Inde en possède toute une gamme. La longueur actuelle du réseau à voie étroite s’élève à 4 281 km, auxquels s’ajoutent 610 km situés au Pakistan. Dans cette catégorie, on peut ranger aussi 100 km de lignes appartenant à des petites sociétés indépendantes et quelques grandes lignes à usage industriel.

Quoi qu’il en soit, le titre de véritable capitale de la voie étroite en Inde, et donc du monde entier, revient à la ville où tout a commencé en 1864.

A Dabhoi, dans la région de Vadodra, pas moins de cinq voies étroites s’unissent au milieu d’une masse de signaux traditionnels. Ces lignes ont une longueur de 397 km. Quatre d’entre elles sont reliées à d’autres lignes, ce qui porte le nombre d’embranchements à 9. Enfin, il existe 6 autres lignes, plus courtes, et qui ne sont pas reliées entre elles. Toutes ces lignes appartenaient précédemment à l’empire ferroviaire de Sa Majesté.

Comme plus de 350 locomotives à vapeur circulent sur ces voies étroites, il est clair que la proportion de locomotives non standardisées est très élevée.

La traction électrique joue encore un rôle secondaire sur les voies larges de moins d’un mètre.

 Voyager en train en Inde

Les chemins de fer indiens transportent plus de voyageurs que tout autre réseau dans le monde : une moyenne de 10 millions de personnes par jour.

Les compartiments de première classe sont des versions assez sobres de ceux des voitures européennes et offrent des places assises à six personnes en journée et à quatre la nuit. Il y a aussi des voitures avec des compartiments pour respectivement 4 et 2 personnes et, moyennant le paiement d’un supplément, il est loisible de voyager à deux dans un même compartiment. La première classe correspond à peu près au confort que connaît le touriste européen moyen, mais, au-dessus de la première classe, il existe une « classe à air conditionné » qu’on ne trouve que sur les meilleurs trains et où le tarif est presque dix fois supérieur à la normale.

Récemment, on a mis en service le Rajdhami Express, un superbe train de luxe, composé de voitures à air conditionné, qui assure la relation la plus rapide entre Delhi et Calcutta à une vitesse moyenne de 80 km/h. Des tarifs particulièrement onéreux - qui incluent le prix des repas - sont applicables aux trajets dans ce train, ainsi que dans son pendant, un peu plus lent, qui circule entre Delhi et Bombay.

Les chemins de fer indiens donnent aux touristes étrangers l’occasion d’admirer les merveilles du Rajasthan des fenêtres d’un magnifique train appelé « Palace on Wheels » (« Palais sur roues « ). Ce train circule sur voie métrique et est composé de 22 voitures de couleur ivoire qui offrent le confort d’un hôtel quatre étoiles. Les voyageurs sont installés dans des voitures-salons spéciaux dont un certain nombre a appartenu aux anciens maîtres de ce « pays de rois ».

Le visiteur se familiarise très vite avec ce monde tout à fait à part qu’est le sous-continent indien et il y découvre une multitude de choses fascinantes et intéressantes. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays qui possède un énorme et passionnant réseau ferroviaire, ainsi qu’une culture millénaire ?


Source : Le Rail, janvier 1987