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Le nouveau pont sur la Sambre à Charleroi

J. Herbauts - H. Detandt - L. Gilleaux.

mercredi 16 juillet 2014, par rixke

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Electrification de la ligne 140 : Ottignies - Charleroi

 La liaison Charleroi Sud - Charleroi Ouest

Dans l’article du numéro de décembre 1986, consacré à cette électrification, nous avons abordé la description du nouveau raccordement direct en cours d’établissement entre les gares de Charleroi Sud et de Charleroi Ouest.

Ce raccordement à voie unique a été mis en service le 31 mai 1987. Long de 400 m environ, il présente un tracé courbe très prononcé s’insérant dans un environnement fort encombré, comme il apparaît au plan de situation annexé.

La configuration des lieux (raccord entre deux gares existantes, niveaux et orientation de celles-ci, présence de la Sambre, de voiries et d’ouvrages d’art existants) a imposé à la courbe de raccord un tracé présentant des caractéristiques exceptionnelles pour une voie ferrée principale :

  • rayon de courbure horizontal : 190m ;
  • rayon de courbure vertical : 3 000 m ;
  • pente moyenne sur 225 m aux abords du pont : 19 mm par m.

 Le pont sur la Sambre

Ce pont est le maillon essentiel de cette nouvelle liaison.

Vue du pont en cours de montage : on voit bien ses dimensions imposantes, sa cambrure ainsi que la courbure de la voie qu’il supportera.

 Les contraintes de conception

Les services gestionnaires de la Sambre ayant imposé une hauteur libre de 7 m pour les bateaux et interdit une pile en rivière, un ouvrage de grande portée franchissant la rivière et ses deux murs de quai a été réalisé. Les exigences du profil en long de la voie ferrée et du gabarit fluvial limitaient la distance entre rail et face inférieure du tablier à 1,75 m, ballast compris.

Pour répondre à ces exigences et aux conditions limites du tracé, le bureau d’études des ouvrages d’art de la SNCB a conçu un ouvrage comportant deux travées d’approche de 12 m et un tablier central de 86,1 m de portée dont la superstructure particulière et novatrice est détaillée ci-après.

Les charges prises en considération dans les calculs sont très élevées : des wagons-poches pour le transport de la fonte en fusion d’une charge totale de 400 tonnes seront admis sur le pont. Celui-ci pourra supporter une surcharge mobile totale d’environ 1 400 tonnes alors que le poids de la superstructure métallique ne s’élève qu’à 700 tonnes.

Appareils de mesure et train d’essai. Ces deux photos représentent une seule et même situation.

A ces charges verticales élevées s’ajoutent des efforts horizontaux importants dus à la force centrifuge, à l’inscription des convois dans la courbe et aux variations de température dans les longs rails soudés. Tous les plans de l’ouvrage ont été dressés par le bureau d’études précité, après une étude approfondie de la structure tridimensionnelle, qui a pu être menée à bien grâce à l’exploitation de l’informatique et de programmes de calculs adaptés.

Vue du pont mis en place et de la travée d’approche côté Charleroi Sud.

Les documents d’adjudication (plans, prescriptions contractuelles et techniques) ont été dressés par les services du département de l’Infrastructure. Ils ont imposé des conditions d’exécution très sévères, en particulier pour la fabrication de la superstructure métallique.

 Description générale de l’ouvrage

L’infrastructure est constituée de deux culées et de deux piles en béton armé reposant sur des puits forés, jusqu’à une profondeur déterminée sur base d’essais géotechniques particuliers nécessités par l’hétérogénéité du sol.

Vue de l’extrémité d’une entretoise devant être boulonnée sur une poutre maîtresse.

Le tablier central de 86,1 m de portée est composé d’une superstructure métallique supportant 14 « bacs » à ballast indépendants épousant de très près le tracé de la voie. Sur la première photo, prise en cours de montage en rive gauche, on distingue les emplacements réservés pour ces bacs, en tracé courbe, entre les poutrelles destinées à supporter le plancher de service. Sur les autres photos, prises après mise en place du tablier, on voit les différentes étapes de la construction. La pose de la voie sur ballast pour un pont de cette portée est une première en Belgique et va devenir obligatoire pour les ouvrages ferroviaires.

Etant donné le tracé de la voie (présence simultanée de rayons limités, tant verticalement qu’horizontalement), la solution originale des bacs à ballast indépendants était indispensable. Ceux-ci « emprisonnent » la voie qui est constituée de longs rails soudés, ce qui est également une première en Belgique pour un rayon aussi faible. La SNCB a pris cette option pour supprimer les inconvénients dus aux joints (diminution de l’usure des rails et de l’effet dynamique, augmentation du confort des voyageurs). Le tablier central métallique comporte deux poutres maîtresses latérales en treillis, limitant les déformations de la voie lors du passage des convois.

Vue de l’ouvrage en perspective

Compte tenu de la courbure de la voie, cette structure métallique a des dimensions exceptionnelles pour une portée de 86,1 m : pour une seule voie, l’entredistance entre poutres maîtresses en treillis est de 12 m et leur hauteur est de 11,3 m. En outre, les deux poutres ne sont pas semblables puisqu’elles sont sollicitées différemment par suite de l’excentricité de la voie sur le tablier. Ce tablier central repose sur quatre appareils d’appui en polychloroprène fretté (caoutchouc renforcé par tôles d’acier) de dimensions imposantes : 900 x 900 x 252 mm ; 140 autres appareils d’appui en même matériau mais de format classique sont employés pour les « bacs à ballast ». Tous ces appareils d’appui ont été fournis par la SA CBR - CIPEC.

 Exécution des travaux

L’exécution des travaux a été confiée après adjudication publique, à la SA ABT (Ateliers de Braine-le-comte et Thiriau réunis). Ces travaux ont comporté les phases principales suivantes :

  • réalisation de l’infrastructure et aménagement des voiries en rive droite, tâches confiées en sous-traitance à l’association momentanée SBBM - CEI ;
  • fabrication, en atelier à Braine-le-Comte, des pièces constitutives du tablier central métallique, avec montage provisoire en atelier, dit « montage à blanc » ;
  • transport de ces pièces à pied d’œuvre et montage de ce tablier en rive gauche sur une aire disponible, montage confié à la firme Gantois ;
  • mise en place de ce tablier lors du week-end des 27-28 septembre 1986 ;
  • achèvement du tablier central, construction des deux travées d’approche ;
  • pose de la voie et électrification.

Pour la fabrication du tablier central, l’adjudicataire des travaux, la SA ABT, a exploité sa grande technicité et son outillage récent, en tirant parti de l’expérience acquise dans le domaine de la construction ferroviaire.

Il a en effet dû vaincre plusieurs difficultés de fabrication, hors du commun, liées essentiellement à :

  • la dissymétrie de la structure métallique de ce tablier ;
  • la grande contre-flèche (courbure) imposée à cette structure ;
  • la mise en œuvre de boulons (boulons à haute résistance et boulons calibrés) avec des jeux très faibles ;
  • la géométrie particulière des entretoises transversales entre poutres maîtresses, appelées à supporter les appuis des « bacs à ballast ».

Pour l’exécution des soudures, un accord a été conclu entre la SNCB et la SA ABT pour utiliser la technique du soudage automatique. L’application de cette technique pour des tabliers métalliques sollicités « en fatigue » constitue également une première à la SNCB. Elle a été retenue après des tests très sévères et répond au souci d’obtenir un bon comportement de l’ouvrage dans le temps, eu égard aux énormes difficultés qui surviendraient en cas de mise hors service temporaire de cette voie unique pour effectuer d’éventuelles réparations.

 Un lancement spectaculaire

Après montage sur une aire disponible en rive gauche, la superstructure (d’un poids de 700 tonnes) a été mise en place le samedi 27 septembre 1986 à la faveur d’une interruption du trafic fluvial sur la Sambre.

Vue du pont avec les bacs à ballast.

Cette opération spectaculaire a été effectuée en trois phases avec utilisation de remorques à multiples essieux et d’une barge en Sambre.

  • En première phase, l’ouvrage a été supporté en son milieu par 2 remorques possédant 15 lignes de 8 roues, placées sous les poutres maîtresses parallèlement à celles-ci. Les remorques ont été déplacées en ligne droite vers la barge amarrée sur le quai de la rive gauche. Après délestage de la barge, la faisant remonter, le tablier a reposé sur celle-ci et deux autres remorques.
  • En deuxième phase, la barge a été poussée à travers la Sambre, selon une trajectoire telle que le tablier qu’elle portait est arrivée finalement en position parallèle à sa situation définitive.
  • En troisième phase, le tablier a été déplacé parallèlement à lui-même au moyen des remorques et, à l’arrivée en place au-dessus des piles, déposé sur ses appuis.

A noter que lors de sa mise en place, le tablier a été soumis à des sollicitations différentes de celles se produisant en service, étant donné que les zones d’appuis ont été différentes pendant le déroulement des opérations.

Préparation d’un coffrage de bac à ballast.

De ce fait, en deuxième et troisième phases, des renforcements temporaires ont été placés de façon à éviter des instabilités locales de la structure métallique.

 Essai du pont

Après achèvement de l’ouvrage et pose de la voie, on a procédé le 3 avril 1987 à l’essai classique de mise en charge des tabliers de pont.

Bétonnage des bacs à ballast. On remarque nettement la courbure de la voie.

A cette fin, un convoi composé de cinq wagons SAP [1] chargés de brames [2] et pesant chacun ainsi plus de 130 t s’est immobilisé sur l’ouvrage en occupant diverses positions préalablement définies. On a procédé à des mesures et on a comparé leurs résultats aux valeurs théoriques préalablement déterminées, de manière à juger le comportement réel de l’ouvrage chargé par un des trains les plus lourds parmi ceux qui circulent sur le réseau en général et dans la région de Charleroi en particulier. En outre, pour permettre l’inspection de tous les nœuds et assemblages du tablier central, le service de réception des ouvrages d’art a utilisé le nouvel engin commandé dans le cadre de ce marché.

 Perspectives

Cette remarquable réalisation permet ainsi l’établissement d’une relation voyageurs directe entre Charleroi Sud et Ottignies, relation parcourue en 40 minutes par les trains L.

Passage de la Sambre lors du lancement du pont.

A Ottignies, ces trains sont en correspondance avec les IC « H » (Namur - Gand) ainsi qu’avec les trains desservant Louvain-la-Neuve. A Charleroi Sud, diverses possibilités de correspondance existent également, celles vers Mons et Erquelinnes par trains L se présentant de la façon la plus favorable. De plus, la nouvelle liaison entre Charleroi Sud et Charleroi Ouest est aussi utilisée par divers trains de marchandises, spécialement ceux qui sont liés à l’organisation de la sidérurgie carolorégienne. Parmi ceux-ci, on relève tout particulièrement les convois de lourds wagons-poches pour le transport de la fonte en fusion. Fruit d’importants efforts techniques, ce maillage supplémentaire de notre réseau ferroviaire apporte aussi de nouvelles possibilités fort intéressantes pour son exploitation.


Source : Le Rail, juin 1987

Portfolio


[1Wagon plat à deux bogies de 3 essieux.

[2Lingots d’acier laminé de section rectangulaire.