Accueil > Le Rail > Personnel > Cheminots belges à travers le monde > Sur le Transiranien, quelques kilomètres difficiles

Sur le Transiranien, quelques kilomètres difficiles

D. Polet.

mercredi 24 septembre 2014, par rixke

Toutes les versions de cet article : [français] [Nederlands]

Le rêve de Réza Chah Pahlavi : doter son pays de moyens modernes de communication. L’empereur traça d’abord sur la carte de ses régions désolées deux grands traits, deux lignes, l’une allant de la frontière turque à la frontière afghane ; l’autre de la mer Caspienne au golfe Persique.

Priorité de construction fut donnée à la seconde ligne : 1.400 km d’une voie ferrée à travers des montagnes ! Le « Transiranien » fut construit de 1927 à 1938. Le gouvernement iranien ne recourut point aux capitaux étrangers, mais, pour réaliser ce projet, il fit appel à des techniciens américains et européens [1].

Les techniciens et ingénieurs belges n’édifièrent qu’une cinquantaine de kilomètres de voies ferrées, mais ce furent des kilomètres particulièrement difficiles. Ces travaux furent confiés à quatre sociétés belges.

En 1921, l’Etat iranien ne possédait encore que 400 km de lignes, divisées en tronçons épars, lorsque le nouveau chah Réza Pahlavi décida de moderniser la structure économique de son territoire. Il déploya de grands efforts pour développer les moyens de communication, principalement par la construction du chemin de fer Transiranien, de ports modernes et de routes.

On commença par créer le port de Bendar-Chahpour, sur le golfe Persique. Cette réalisation donna un nouvel essor au commerce et à l’industrie et permit l’importation de locomotives, de wagons, de traverses et autre matériel.

Pour mesurer l’intérêt de la ligne de Bendar-Chah à Bendar-Chahpour, il importe de souligner l’importance économique des deux mers qu’elle relie. La mer Caspienne, séparant l’U.R.S.S. de l’Iran, est la mer intérieure la plus vaste du monde et permet l’échange par voie maritime entre l’Union Soviétique et l’Iran. Sur le golfe Persique, l’Iran jouit d’une situation privilégiée : le golfe donne, en effet, accès à toutes les parties du monde par la mer d’Oman, l’océan Indien et le canal de Suez.

C’est en 1927 que les travaux de construction de cette ligne indispensable à l’économie du pays débutaient. En 1938, les poseurs de voies plaçaient le dernier rail. Le 27 août, le Transiranien était inauguré.

La Société belge de Chemins de fer et d’Entreprises avait participé à la construction de tronçons du secteur sud, dans la belle vallée de l’Ab-i-Sezar. La longueur des voies ferrées à placer n’était que de 32 km 800, mais elles comportaient plus de 15 km de tunnels (38 au total !), soit près de 50 % du tracé total. En avril 1935, les premiers coups de pioche avaient été donnés ; en février 1938, tout avait été terminé, quatre mois d’avance sur les délais fixés par le contrat. Les ingénieurs belges reçurent des éloges pour la façon dont les travaux avaient été exécutés.

D’autre part, la Société belge de Construction et d’Entreprises générales (SOCOL) avait exécuté, en association avec la Société d’Entreprises en Béton du Katanga, un autre lot du secteur sud. Cette partie de l’ouvrage, qui était l’une des plus difficiles, comportait le percement d’un tunnel d’une longueur de 1.800 mètres, situé à 2.700 mètres d’altitude... Le prix de revient de chaque kilomètre s’était élevé en moyenne à 9 millions de francs belges.

 Un expert des Nations-Unies.

Le « Transiranien », M. Dinjaert, chef de fabrication à l’atelier central de Salzinnes, le connaît parfaitement. En qualité d’expert des Nations-Unies, M. Dinjaert a passé un an de sa vie sur cette ligne gigantesque. De Téhéran, où il résidait, M. Dinjaert partait en tournée d’inspection vers les cités traversées par la ligne. Il connaît par cœur le nom des gares importantes : Bendar-Chah, Bendar-Chahpour, Kacham, Ghom, Karoum, Kazvine...

De sa villa de Profondeville, on aperçoit les rochers de la vallée de la Meuse, M. Dinjaert me reçoit avec une gentillesse exquise. Des souvenirs, le chef de fabrication en a beaucoup. Des souvenirs d’Iran, mais aussi d’Egypte, où il a vécu un an, de 1957 à 1958, pour réorganiser le trafic interrompu par la crise de Suez.

 Zigzags.

Pour les cheminots belges, M. Dinjaert évoquera ses souvenirs d’Asie.

« Quelle était la physionomie de ce chemin de fer ?

  • En de nombreux endroits, c’est une ligne montagneuse. La ligne du Nord n’est qu’une série de zigzags comme les épingles à cheveux d’une route de montagne. Regardez cette photo. Vous voyez trois lignes parallèles. Eh bien ! c’est la même ligne, mais les voies sont situées à des niveaux différents ! »

M. Dinjaert me tend une photographie où deux lignes sont séparées par une troisième, coupée par un pont sur un ravin.

« Pour aller du golfe Persique à la mer Caspienne, poursuit-il, le train roule deux jours et deux nuits. J’ai déjà fait le voyage, c’est vraiment très long... Vous avez déjà remarqué quelle était la déclivité de la côte allant de Liège-Guillemins à Ans. Là-bas, c’est comme ça, non pas pendant quelques kilomètres, mais pendant des dizaines de kilomètres. De 2.200 mètres, on descend à 23 mètres, les deux points étant séparés par une distance de 150 km. Pour que vous vous rendiez compte des difficultés du relief, vous retiendrez que, de Dokouk à Ghom, soit sur une distance de 470 km, le train franchit 143 tunnels. »

M. Dinjaert me décrit son séjour asiatique avec beaucoup de plaisir. Il a d’abord passé six mois dans un hôtel de Téhéran puis, rejoint par son épouse, il a loué un appartement.

 Gare et marché.

Le visage de l’Iran, pour M. Dinjaert, c’est aussi le pittoresque des voyages en train. En Iran, on ne compte pas moins de quatre classes.

« Voyez la gare, bâtie à l’écart de la cité populeuse. Le train arrive. Le voici, il entre en gare. Tout le village est là pour accueillir les voyageurs... Le quai de la station s’anime. En quelques instants, il devient un véritable marché. On achète, on vend, on échange. Puis, les voyageurs se couchent vers l’est. C’est l’heure de la prière. L’arrêt — faut-il le dire ? — est assez prolongé. Un quart d’heure, entremêlé de silence et de bourdonnements. Mais le plus fantastique, c’est l’arrivée de dizaines de chiens errants, affamés. Aussi incroyable que ce phénomène puisse paraître, ces chiens accourent vers la gare à l’heure même de l’arrivée du train. Ils viennent réclamer leur pitance. Les Iraniens leur jettent leurs déchets. Les bêtes ramassent aussi les restes du marché improvisé... »

(A suivre.)


Source : Le Rail, octobre 1964


[1Les débuts des chemins de fer iraniens remontent à 1886. Cette année-là, un ingénieur belge se vit accorder la première concession ferroviaire pour la construction d’une ligne longue de 10 km seulement reliant Téhéran à Rey. La première réalisation importante fut le Transiranien.