Accueil > Le Rail > Histoire > La liaison ferroviaire Paris - Amsterdam

La liaison ferroviaire Paris - Amsterdam

C. Schouleur.

mercredi 18 mars 2015, par rixke

 Bruxelles - Anvers, puis Bruxelles - frontière française

Dans quelques jours, grâce à la suppression du seul « hiatus » existant encore, la liaison Paris - Amsterdam, par traction électrique, sera inaugurée officiellement. A l’intention des amateurs d’histoire, qu’il nous soit permis de remonter dans le passé et de suivre, pas à pas, les efforts qui furent consentis pour aboutir à cette fin. Déjà en 1831, deux parlementaires belges, MM. A. de Laveleye et A. de Gransagne, présentent au gouvernement français le projet d’un chemin de fer de Marseille à Anvers, « afin d’établir une communication rapide, et économique entre la Méditerranée et la mer du Nord ». Il faudra cependant bien des années pour voir leur idée se réaliser.

Intéressons-nous, d’abord, à ce qui se passe en Belgique, sans insister outre mesure sur l’histoire archiconnue de l’ouverture, le 5 mai 1835, de la section de Bruxelles à Malines. Ce tronçon, dès l’année suivante, est prolongé jusqu’à Anvers.

Les années 1840 et 1841 voient s’achever la ligne de Bruxelles à Mons, via Braine-le-Comte. La frontière française est atteinte en 1842, par l’ouverture de la section de Mons à Quiévrain. Au cours de la même année, une autre antenne se dirige vers la France, par le prolongement de la ligne Malines – Termonde – Gand - Courtrai, vers Mouscron. Le 11 août 1842, le premier train belge franchissait la frontière à Mouscron. Ainsi, Lille était relié avec Bruxelles avant de l’être avec Paris. Comme l’Etat français se mit à assurer l’exploitation provisoire d’une ligne de Lille à Valenciennes par Douai et que Valenciennes fut relié à Quiévrain par Blanc-Misseron, les Lillois pouvaient encore joindre Bruxelles par Mons.

 Par le chemin des écoliers.

Alors que les premières lignes de chemin de fer sont construites et exploitées par l’Etat, à partir de 1842 s’ouvre l’ère des concessions. L’année 1845 constitue, à ce propos, une date remarquable. L’apport considérable de capitaux étrangers provoque un développement intense du réseau belge, et il est curieux de constater qu’en 1861, alors que la longueur des voies de l’Etat n’est que de 710 kilomètres, les lignes des concessionnaires atteignent une longueur de 1.185 kilomètres.

Quiévrain, première gare belge (L’Illustration, 1846)

Ne supposez surtout pas que cet acharnement des sociétés privées relève du simple désir d’accroître la prospérité de la nation ! Le goût de la spéculation et l’intérêt particulier y ont la plus large part.

Aussi la ligne droite n’est-elle pas toujours jugée la plus courte ! Un léger détour permet, en certaines circonstances, de tranquilliser des campagnards timorés qui craignent d’épouvantables catastrophes pour leurs récoltes ou qui désirent épargner d’horribles angoisses à leur bétail (on n’en est pas encore aux vaches qui charment leurs loisirs en admirant le passage des trains !). D’ailleurs, un résultat plus concret est atteint : le prix des transports étant fonction de la longueur du trajet, le bénéfice de l’exploitant augmente avec le kilométrage.

Dès lors, ne vous étonnez pas de voir la première possibilité de liaison Paris-Bruxelles serpenter gentiment par un parcours qui serait — pour des gens aussi pressés que nous — considéré comme une aimable excursion de fantaisiste.

L’inauguration officielle de la ligne a lieu le dimanche 14 juin 1846, pour se terminer le lendemain.

En effet, comme M. Deschamps nous l’a raconté en juillet dernier, le voyage est divisé en deux étapes, la première de Paris par Creil, Clermont, Amiens, Arras, Douai et Lille, où de grandes festivités sont suivies d’un banquet ; le lendemain, le convoi rejoint Mouscron, Courtrai, Gand, Termonde, Malines et, enfin, Bruxelles, où de nouvelles réjouissances attendent les voyageurs. Le retour s’effectue par Mons, Quiévrain, Blanc-Misseron, Valenciennes et Douai.

Blanc-Misseron, dernière gare française. (L’Illustration, 1846.)

On peut remarquer à ce propos qu’à l’époque, le tracé du réseau du Nord semble quelque peu capricieux. Ce qui surprend surtout, c’est le passage par Amiens. Mais il a sa raison d’être et résulte d’une autre forme de préoccupation. Ce tracé permet une jonction future, via Lille, avec les trois grands ports du nord de la France : Boulogne, Calais et Dunkerque.

Le tunnel de Braine-le-Comte.
Le tunnel de Braine-le-Comte, inauguré le 31 octobre 1841, le même jour que le tronçon Tubize - Soignies. Commencé en juin 1840, sa construction a nécessité l’enlèvement d’environ 24.000 m³ de terre et l’utilisation de 8.000 m³ de briques. Il a été mis hors service le 5 avril 1957. La traversée en tunnel du massif argileux situé entre Braine-le-Comte et Hennuyères avait été reconnue moins coûteuse, à l’époque, qu’une traversée en tranchée, à ciel ouvert. En effet, les entrepreneurs ne disposaient pas des puissants moyens mécaniques modernes qui leur auraient permis d’exécuter d’importants terrassements à des conditions avantageuses.

Un autre projet, qui sera repris plus tard, prévoit une ligne longeant la vallée de l’Oise. Il n’est pas réalisé immédiatement parce que l’Etat français craint de voir une trop forte concurrence s’établir entre le chemin de fer et la voie d’eau, comme quoi le problème de la « coordination des transports » ne date pas d’aujourd’hui.

 De Creil à Saint-Quentin

Entre-temps, la logique fait son œuvre. Déjà, le trajet Paris-Creil est raccourci et il est décidé de construire une section de Creil à Saint-Quentin. Les travaux sont mis en adjudication le 20 décembre 1845. L’offre la plus favorable est déposée par la Compagnie du Chemin de fer du Nord (groupe James de Rothschild-Péreire), les études et les plans d’exécution étant confiés à l’ingénieur Clapeyron. L’inauguration solennelle de cette section a lieu le dimanche 9 juin 1850, en présence du Prince-Président, entouré de toutes les hautes personnalités françaises.

 De Saint-Quentin à la frontière

La première étape est franchie. Il ne reste plus qu’à joindre la frontière belge par cette nouvelle voie.

Pour se faire une idée précise de la question, rien de mieux que d’assister, en imagination, à l’Assemblée générale extraordinaire, du 20 décembre 1854, du Conseil d’administration du Chemin de fer du Nord, sous la présidence du baron James Mayer de Rothschild, et de laisser la parole à M. Delebecque, vice-président, alors qu’il est occupé à lire le rapport qu’il présente au nom du Conseil d’administration :

... Dans l’administration des chemins de fer, il ne suffit pas que l’attention la plus soutenue veille sans cesse à la bonne et à la plus économique direction du service dans toutes ses parties ; il faut encore avoir les yeux toujours ouverts sur ce qui se passe autour de soi : il faut se prémunir contre tout danger d’amoindrissement ; et si des mesures, devenues nécessaires, à ce point de vue, présentent d’ailleurs, en elles-mêmes, des conditions d’exécution peu onéreuses, avec de favorables chances de produits, il faut les adopter sans hésitation. C’est en pareil cas que l’on ne doit pas être arrêté par la crainte de trop s’étendre.

Nous espérons, Messieurs, que vous reconnaîtrez aisément ces différents caractères d’utilité, dans la proposition sur laquelle vous allez avoir à délibérer.

La distance de Paris à Cologne, par Amiens, Valenciennes et Bruxelles, est de 614 km, qui sont parcourus dans les délais indiqués ci-dessous, savoir :

Distance Durée du trajet
De paris à Bruxelles 370 km 7h30’
Traversée de Bruxelles en omnibus 3 km 1h
De Bruxelles à Liège 114 km 2h30’
De Liège à Cologne 127 km 3h45’
Totaux 614 km 14h45’

Par la nouvelle direction, la distance et le temps du parcours pourront être établis comme suit :

Distance Durée du trajet
De Paris à Charleroy, par Pontoise, Creil, Compiègne, Saint-Quentin, Maubeuge et Erquelinnes 287 km 5h30’
De Charleroy à Namur (section qui appartient à l’Etat Belge) 37 km 0h50’
De Namur à Liège 59 km 1h10’
Stationnement à Liège 0h15’
De Liège à Cologne 127 km 3h45’
Totaux 510 km 11h30’

Ainsi, il y aura un raccourcissement de plus de 100 km, et une abréviation de 3h15’ dans la durée du trajet.

La construction du chemin de fer de Saint-Denis à Creil produira une nouvelle abréviation ; et la distance entre Paris et Cologne sera, à très peu de chose près, la même, sinon moindre, que celle qui existe entre Paris et Strasbourg (501 km).

En examinant les chiffres ci-dessus indiqués, vous remarquerez que sur une longueur de 510 kilomètres, 287 kilomètres appartiennent déjà au Nord. En y joignant les 59 kilomètres de Namur à Liège, notre part dans le parcours total sera de 346 kilomètres, celles de l’Etat belge et du chemin de fer rhénan étant ensemble de 164 kilomètres seulement. Nous aurons donc notre liberté d’action sur plus de deux tiers de toute la distance à parcourir de Paris à Cologne.

Nous avons d’ailleurs la certitude, fondée sur des déclarations positives et officielles, qu’il n’y aura, de la part de l’Administration belge, aucune difficulté au transport à grande vitesse des voyageurs et au transit des marchandises par la voie la plus courte et la plus économique. Le tronçon de Charleroy à Namur sera desservi, quant aux besoins locaux, de manière à n’apporter aucune entrave à la rapidité des grandes communications.

Le chemin de fer de Paris à la frontière, par Saint-Quentin, que nous exécutons en ce moment, sera la première section de la voie raccourcie entre Paris et Cologne. Si nous n’avions, pour ainsi dire, prolongé le chemin de fer français, par les arrangements adoptés à l’égard des lignes d’Erquelinnes à Charleroy, et de Namur à Liège, nous aurions subi une diminution de parcours, et conséquemment de recettes, sur tous les transports en destination ou provenant de Cologne et de l’Allemagne. Il y a, en effet, 289 kilomètres de Paris a Quiévrain, tandis qu’il n’y en a que 256 de Paris à Erquelinnes ; différence, qui serait à notre préjudice, 33 kilomètres.

Ce résultat se convertit, au contraire, en accroissement, par l’effet des mesures que nous avons prises, puisque notre exploitation comprendra, entre Paris et Liège, un espace de 346 kilomètres, qui excède de 67 kilomètres la distance de Paris à Quiévrain. Ainsi, en épargnant un trajet de plus de 100 kilomètres au public, non seulement nous évitons toute réduction, mais encore nous ajoutons à notre exploitation, relativement à l’Allemagne, les produits sur 67 kilomètres de plus.

Vous jugerez, Messieurs, si les conditions auxquelles cette extension est acquise sont acceptables, et si les charges qu’elles entraînent doivent être convenablement compensées, ainsi que votre Conseil d’administration en est convaincu.

On peut, il est vrai, se demander si, par le nouveau service qu’elle va ainsi établir, la compagnie du Nord n’est pas exposée à se faire concurrence à elle-même, et si les produits qu’elle attirera sur la voie de Charleroy et de Namur ne seront pas perdus pour elle sur la voie de Valenciennes et de Bruxelles. Ce n’est pas en ces termes, Messieurs, que la question doit être posée. Notre trafic avec l’Allemagne serait évidemment compromis sans l’abréviation de parcours que nous avons en vue : il s’agit pour nous, comme pour la Belgique, de ne pas pendre ce qu’on peut appeler le transit européen. Nous avons intérêt à desservir, sur une aussi grande étendue que possible, la voie raccourcie qui doit nous conserver ce transit. Ce sera pour nous le moyen de pourvoir plus sûrement à l’exactitude et à la célérité des transports : de préserver les voyageurs comme les marchandises des ennuis et des inconvénients des transbordements ; enfin, de mettre de plus en plus en valeur notre ligne de Saint-Quentin.

Quant à la voie par Bruxelles, il n’est nullement à craindre que la circulation s’y ralentisse. Cette ligne dessert des villes importantes, des contrées remarquables par leur fertilité et par leur industrie, les charbonnages d’Aniche, de Douchy, d’Anzin, de Denain, du bassin de Mons. Les relations entre la capitale du Royaume de Belgique et la capitale de l’Empire français sont nombreuses et continuelles. La ville de Bruxelles ne perdra jamais les éléments d’attraction qui en font une des résidences les plus agréables, un des lieux de passage les plus fréquentés du monde ; elle continuera d’être visitée par tous les voyageurs qui mettent leur agrément en ligne de compte. Les besoins de consommation qu’éprouve un si grand centre de population, et les affaires commerciales et industrielles qui s’y traitent, ne cesseront pas de donner lieu à de nombreux transports, qui seront pour nous, dans l’avenir, comme ils l’ont été jusqu’à présent, l’objet d’une sollicitude non moins attentive qu’intéressée. Notre service, concerté avec l’administration belge, sera réglé de manière à mettre cette ligne à l’abri de toute décroissance de prospérité.

S’il est incontestable que ces Messieurs ont une vue bien concrète des choses, cela ne les empêche nullement de sauvegarder l’intérêt public.

Dès 1858, de nouveaux noms de localités apparaissent à l’horaire de la ligne : Aulnoye, Hautmont, Feignies, Quévy, Frameries, Cuesmes... Cela nous paraît beaucoup plus familier.


Source : Le Rail, août 1963