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Le confort ferroviaire (I)

G. Feron.

mercredi 19 octobre 2016, par rixke

Petite chronologie d’une longue histoire : de la lampe à huile au plan STAR 21
Qui a inventé la roue, comment, où et quand reste une énigme. C’est pourtant grâce à elle que tout s’est mis en branle, au sens propre. Sans la roue, le transport aurait pris un autre aspect et la civilisation aurait aussi évolué différemment.

On savait déjà depuis longtemps qu’on pouvait transformer la vapeur en énergie mais il a pourtant fallu attendre des siècles avant que l’homme ne puisse en tirer parti. Ce raisonnement s’applique à d’autres innovations, bien sûr.

Toujours est-il que le chemin de fer est apparu un jour en tant que moyen de transport.

Lorsque fut construite la voie ferrée sur laquelle pouvaient rouler des wagonnets munis de roues spéciales et tirés par un engin, mû par la vapeur, l’humanité disposa d’un nouveau moyen de communication qui allait connaître un tel développement en moins de deux siècles qu’il influença la société de manière considérable.

L’épopée ferroviaire constitue un sujet passionnant aux multiples facettes, dont on n’a jamais fini de parler... Dans ce bref récit, nous examinerons le « confort » ferroviaire, bien que la plupart des « fanas du rail » en connaissent déjà un bout sur la question. Pour les autres, les nombreux ouvrages de J. Vandenberghen, ingénieur en chef honoraire, et les non moins nombreux articles à ce propos parus dans nos colonnes suffiront à étancher leur soif de connaissances.

Il y a deux ans, nos voisins nous ont instamment priés d’arrêter officiellement l’itinéraire du TGV sur notre territoire. A ce sujet, notre ministre des Communications a fait des déclarations importantes lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il a expliqué son point de vue sur la politique ferroviaire envisagée pour le 21e siècle.

Ces objectifs sont à présent connus sous le vocable « Plan STAR 21 » où STAR est l’abréviation de « Spoorweg Toekomst - Avenir du Rail ». La SNCB a d’ailleurs publié un rapport détaillé à ce propos .Nous ne reprendrons de ce rapport que les idées qui traitent du confort, sujet du présent article.

Le lecteur remarquera immédiatement que les instances supérieures de la SNCB y songent sérieusement, que ce soit dans les gares, dans les trains, dans la confection des billets ou des horaires.

Lorsque la Belgique devint indépendante en 1830, nos compatriotes firent montre d’une joie sans bornes. Mais bien vite, ils déchantèrent. L’insuffisance de transport, notamment, causait un tel préjudice au commerce et à l’industrie que ces deux secteurs couraient droit à l’asphyxie.

La construction d’un réseau de chemin de fer, semblable à celui qui existait déjà en Angleterre, s’imposa comme la meilleure solution pour pallier à nos problèmes de communication.

Une étude détaillée et un rapport d’expertise approfondi eurent vite convaincu les autorités. Le gouvernement prit les bonnes décisions et les travaux débutèrent dans la foulée : la première ligne de chemin de fer Bruxelles - Malines fut inaugurée le 5 mai 1835.

Pleinement conscient de l’importance d’une telle inauguration, rien ne fut négligé pour la cérémonie.

A Bruxelles Allée Verte, quelque neuf cents invités firent le voyage inaugural. Pour des raisons de sécurité, le souverain n’était pas du voyage.

A l’origine, le réseau ferroviaire n’était prévu que pour le transport des marchandises, de sorte que seuls des wagons de marchandises furent mis à la disposition des invités de marque pour ce baptême du rail.

C’est ainsi que les responsables furent confrontés, pour la première fois, au problème du confort. Quatre voitures de luxe furent commandées en Angleterre et, pour le reste, des wagons de marchandises furent adaptés ou transformés.

Des wagons-tombereaux ordinaires, équipés de marchepieds et de bancs, devinrent les « chars a bancs », dits encore troisième classe.

Des wagons semblables, mais pourvus d’un toit et de rideaux en toile formaient la deuxième classe. Les voyageurs de marque disposaient de quatre voitures de luxe, mais il en fallait davantage. C’est la raison pour laquelle des carrosseries de « berlines » et de « diligences » furent placées sur des wagons de chemins de fer, créant deux catégories de voitures de première classe : les berlines, 1re classe haut de gamme et les diligences, 1re classe ordinaire.

Les berlines comportaient deux compartiments séparés par un couloir central et présentaient une finition très luxueuse : les diligences, par contre, comptaient trois compartiments séparés sans couloir central. Pour le reste, on était assis sur des coussins dans les deux types de voitures : les parois et le sol étaient recouverts de tapis : des portes, des fenêtres et des lanternes d’angle achevaient le décor. En raison de leur tarif élevé, les berlines n’attiraient que peu de monde : aussi furent-elles vite supprimées. Elles n’ont probablement pas été démolies, mais plutôt affectées à une classe inférieure.

Mais nous nous égarons... Alors que nos invités attendent encore sur le quai ou prennent place dans le premier train. Ces premiers trains étaient tractés par les locomotives « Stephenson », « La Flèche » et « L’Eléphant ».

Les personnes présentes buvaient du petit lait, non tant en raison de l’invitation tellement convoitée que parce qu’elles allaient effectivement prendre part au premier voyage officiel. Bien qu’au vu des normes actuelles, ces trains semblent extrêmement primitifs et rudimentaires, ils étaient des modèles de luxe, de rapidité et de confort en comparaison des moyens de transport de l’époque qui étaient rares, incommodes, lents et inconfortables. La locomotive et les voitures étaient reliées entre elles par des chaînes, il n’y avait pas de tampons et la suspension était très primitive.

Les voyageurs étaient donc fatalement secoués — et plutôt brutalement — lors des démarrages, freinages ou arrêts successifs. Mais qu’était-ce en regard de leur enthousiasme ?

Nous pouvons considérer que le tourisme ferroviaire naquit le 6 mai 1835.

Le trafic voyageurs a connu une progression continue tant et si bien que celui des marchandises fut relégué à la seconde place.

Pour le voyageur, seul le train offre de l’intérêt, question confort bien sûr. Dans cet article, nous ne négligerons néanmoins pas les autres aspects de la commodité : la locomotive, la voie, la gare et le personnel.

 La locomotive

Les premières locomotives disposaient déjà de tout l’arsenal nécessaire à la traction des trains. Des améliorations successives ont transformé la locomotive à vapeur en un bijou mécanique. Le machiniste et le chauffeur eurent la vie dure sur ces premières machines, exposés qu’ils étaient au vent et aux intempéries. Bien qu’initialement, on pensait que même la protection la plus élémentaire conduirait à une diminution de la vigilance, des petits écrans furent néanmoins placés de part et d’autre du foyer après quelque temps. Constamment agrandis, ils devinrent progressivement un abri convenable pour le machiniste.

Dans les locomotives et automotrices actuelles, le conducteur trône dans une cabine digne de ce nom, et qui a bénéficié d’une étude ergonomique. Il travaille seul et en position assise : ses occupations effectives recouvrent pratiquement la totalité de ses prestations. Rappelons que, dans de nombreux cas, la locomotive assure également le chauffage et l’éclairage du train.

 La voie

Même l’être humain le plus primitif se déplaçait le long de sentiers, qui étaient nos voies ferrées et nos autoroutes avant la lettre. Déjà du temps de la Grèce antique, deux ornières creusées dans des dalles en pierre avaient été aménagées parallèlement côte à côte entre le Pirée et l’Agora d’Athènes. Les Romains ont par la suite imité cet exemple grec.

Lorsqu’aux 15e et 16e siècles, l’industrie minière connut une grande expansion, les charbons extraits étaient transportés sur des wagonnets. Ces derniers parcouraient toujours le même itinéraire, ce qui creusait de profondes ornières dans lesquelles furent placées des longerines ou des poutres qui formaient une voie en bois. Par après, ces planches et ces poutres furent recouvertes de plaques de fonte afin de permettre aux wagonnets de rouler plus facilement avec de lourdes charges. Afin de prévenir les déraillements qui se produisaient assez souvent, on plaça un bourrelet vertical contre le bord extérieur du rail.

En 1767, Reynolds conçut des rails en U, mais le charbon et la terre qui s’y accumulaient, causèrent à nouveau des déraillements. Curr comprit qu’il suffisait d’un seul bourrelet vertical sur le bord intérieur mais, ce fut finalement Jessop qui conçut en 1789 le « edge rail », un rail en saillie. Les boudins furent appliqués sur la roue et c’est ainsi qu’est née la roue de chemin de fer typique à boudin.

Vers 1832, l’anglais Vignole importa des Etats-Unis le rail à champignon et à semelle, qui porta son nom et devint le prototype de nos rails actuels. Les rails en fonte étaient toutefois très fragiles, de sorte qu’ils furent d’abord remplacés par des exemplaires en fer forgé et ensuite en acier. Grâce aux progrès de la technique, on a pu en fabriquer de plus longs et de plus lourds également. Les plus lourds, les Goliath, pèsent actuellement 60 kg/m. Par soudage thermique, on fabrique des rails longs, qui peuvent mesurer plusieurs centaines de mètres, ce qui diminue le nombre de chocs désagréables, ainsi que l’usure du matériel et augmente le confort. Le rail doit dès lors être solidement fixé sur des traverses en bois, en acier ou en béton et reposer sur un lit de ballast aménagé et entretenu avec soin.

Les aiguillages permettent de passer d’une voie à l’autre. Il existe actuellement des aiguillages équipés de quatre moteurs et tellement perfectionnés, qu’on peut les franchir à grande vitesse, 120 km/h, même en position déviée, sans que le voyageur s’en rende compte.

 La gare

Nos premières petites gares étaient de modestes bâtiments composés d’une salle d’attente et d’un local de service.

Les voyageurs devaient se trouver sur place quinze minutes avant l’heure tandis que les guichets étaient fermés et la vente de billets suspendue deux minutes avant le départ du train.

Etant donné qu’il n’y avait pas de toilettes dans les voitures, les voyageurs étaient priés d’utiliser les commodités de la gare, avant de monter dans le train. Ce n’est qu’au début du 20e siècle que les toilettes à bord du train devinrent réalité, bien que j’aie moi-même constaté quelques fois avant 1960 qu’il n’y en avait pas.

Les gares ont elles aussi évolué pour devenir parfois de grandioses temples ferroviaires équipés de salles d’attente de 1re, 2e et 3e classes, de buffets et souvent de restaurants renommés.

Sur les quais, on a construit des abris et des auvents qui, dans les gares principales, se sont développés jusqu’à devenir des marquises impressionnantes. Il en va tout autrement de nos jours : les salles d’attente sont communes et les restaurants sont plutôt l’exception que la règle. Par contre, il y a maintenant des salons d’accueil, des bureaux d’information, des centres commerciaux, des kiosques à journaux, des points de rencontre etc., mais il y a surtout une meilleure information des voyageurs, souvent par des moyens audio-visuels. Celui qui veut néanmoins se replonger dans l’atmosphère romantique d’antan, doit se rendre à Anvers Central, la seule gare belge qui ait conservé une construction grandiose de verre et d’acier. Bruxelles TT en est également un exemple, mais ce n’est pas une gare voyageurs.

 L’infrastructure et les gares dans le plan STAR 21

Nous nous pencherons en l’occurrence uniquement sur les propositions et décisions de ce plan concernant le confort. Un nombre accru de trains express rend obligatoire la construction de voies supplémentaires sur certaines lignes. Des vitesses plus élevées, telles celles du TGV, nécessitent d’ailleurs de nouvelles sections de lignes afin d’éliminer les goulets d’étranglement existants.

Le voyageur du 21e siècle ne supportera plus de devoir attendre en plein vent ou dans une gare mal entretenue un train qui n’a pas été annoncé.

La gare du 21e siècle doit être adaptée à l’environnement, être facilement reconnaissable et rapidement accessible. Les bâtiments proprement dits doivent offrir une succession rationnelle de services axés sur la clientèle, un bon fléchage ainsi que des renseignements complets et adaptés sur le trafic des trains, les autres transports publics et toutes les correspondances possibles. Le service de vente doit être efficace et le confort doit répondre aux normes les plus modernes, c’est-à-dire des salles d’attente chauffées équipées de sièges en nombre suffisant, toutes les prestations de services possibles et une bonne infrastructure sur les quais.

A la lumière de l’évolution démographique, des gares seront ouvertes ou rouvertes à des endroits judicieusement choisis et des parkings seront aménagés selon des critères semblables. Ce programme ne reflète pas les exigences spécifiques au 21e siècle, mais bien des besoins qui devraient déjà être rencontrés actuellement. Il est regrettable que les transports publics marquent si peu de points pour toutes sortes de raisons, mais principalement par manque de moyens financiers. Espérons que la situation s’améliorera à l’avenir !

 La signalisation

C’est peut-être l’élément du chemin de fer qui est le moins connu des profanes, mais il n’en est pas pour autant le moins important : les services de la signalisation contribuent en effet dans une large mesure à assurer la sécurité du trafic ferroviaire, un aspect non négligeable du confort.

 Trains de voyageurs, autorails et automotrices

Nous avons déjà décrit à quoi ressemblaient nos premiers trains. Voyager dans ces wagons ouverts, même lorsqu’ils étaient équipés d’un toit et de rideaux, devait être tout sauf agréable, principalement par mauvais temps. Au départ, les Anglais ne voulaient modifier en rien cette situation : ils espéraient que le public se rendrait compte qu’il était plus confortable de voyager dans une classe supérieure et, qu’en toute logique, il fallait en payer le prix. Il s’avéra que ce raisonnement était erroné.

A partir de 1851, en France, toutes les voitures étaient munies de portes et de fenêtres. En 1846 déjà, les utilisateurs des chemins de fer belges s’étaient adressés au Roi afin qu’il intercède auprès de l’administration ferroviaire en vue de la suppression des voitures ouvertes. La réaction fut favorable, de sorte que des améliorations furent progressivement introduites.

Les premières locomotives fonctionnaient au coke, qui produisait moins de fumée que les charbons utilisés par la suite. Mais la fumée, étant la fumée, les voyageurs des 2e et 3e classes étaient comme enveloppés de brouillard. C’est pourquoi il était permis de fumer dans les voitures ouvertes.

Dans les voitures fermées, il était permis d’ouvrir les fenêtres du côté non exposé au vent, à condition que les autres voyageurs n’y voient pas d’inconvénient. Il n’était pas permis d’emporter avec soi des marchandises répandant une odeur forte, telles que les fromages de Herve, par exemple.

Les voyageurs de 1re classe pouvaient emporter des bagages qui, à l’image de ce qui se faisait autrefois pour les diligences, devaient être rangés sur le toit. Le train avait également une grande influence sur la mode. Etant donné que les messieurs de la bonne société et les officiers portaient des hauts-de-forme, des casques ou des képis impressionnants, qui étaient pour le moins gênants dans le train, l’engouement se porta dorénavant sur des couvre-chefs de dimensions plus modestes.

Pour les femmes, du moins celles des milieux huppés, le problème était encore plus angoissant : la plupart des robes à crinoline rendaient malaisées la montée et la descente de voiture et de plus, il était presqu’impossible de s’asseoir dans le compartiment sans gêner les autres voyageurs. Etant donné qu’il est plus rapide et plus facile d’adapter les crinolines que les voitures, la mode évolua.

Lorsque, après près de vingt ans d’exploitation ferroviaire, il fut décidé de ne plus utiliser que des voitures couvertes munies de fenêtres, le premier pas était franchi dans la direction des voitures standard.

Jusqu’en 1956, il existait trois classes, et même quatre dans certains pays : on disait communément qu’en 1e et 2e classes, on était assis « dans les coussins » et en 3e classe « sur la banquette ». A la suite d’une décision prise au niveau international, il ne subsista plus que deux classes. De nos jours, le confort est presque équivalent partout, étant entendu que le voyageur de 1re classe dispose de plus de place et que la finition y est plus luxueuse et plus raffinée.

Il a presque fallu attendre la fin du 19e siècle pour voir disparaître le système des compartiments séparés. Peu à peu, les voitures se firent plus lourdes et plus longues, aussi. En 1875, on en construisait déjà avec trois essieux et en 1888-1889 avec des bogies. Les premières voitures-lits de Georges Nagelmaekers sont apparues en 1873 (voir plus loin) et ses voitures-restaurant ont suivi dix ans plus tard.

Vers 1890 furent construites des voitures GCI en bois à trois essieux qui offraient 84 places assises. Vers le début du siècle, elles ont toutefois été transformées pour être équipées d’un couloir et de toilettes et ce, au prix de vingt places assises. En cas de collision, les voitures en bois étaient généralement fort endommagées, même après que la caisse eût été habillée de plaques métalliques. La première voiture d’un train était une voiture-tampon qui, même en cas d’affluence, devait être fermée à clé. En effet, l’expérience avait démontré qu’en cas de collision frontale cette voiture était la plupart du temps complètement détruite.

En 1929, la SNCB décida de commander de nouvelles voitures : pour des raisons de sécurité, ce furent des voitures métalliques. Les dernières GCI ne furent toutefois retirées de la circulation qu’en 1960.

Dans les voitures en bois, les chocs sont absorbés par les longerons du châssis, tandis que les voitures métalliques ont une construction autoportante dont chaque partie contribue à la solidité de l’ensemble. En outre, les voitures modernes sont munies de parois d’about renforcées et d’anneaux de sécurité équipés d’éléments absorbeurs d’énergie. Les voitures I4 et I5 sont de plus équipées de dispositifs anticollision.

Nos premières automotrices électriques ont été mises en service en 1935 sur la liaison Bruxelles - Anvers. Leur conception en matière de confort et de sécurité était semblable à ce qui a été décrit ci-dessus. Certains affirment parfois que les voitures les plus récentes, celles a deux niveaux, sont moins confortables que les autres, ce qui est vrai par comparaison avec les voitures haut de gamme, mais grâce à leurs bogies équipés d’une suspension à air, elles ont toutefois un roulement extrêmement doux.


Source : Le Rail, septembre 1991