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Le tunnel sous la Manche : le matériel

mercredi 3 juillet 2019, par rixke

Préambule

Il y a lieu de distinguer deux types de matériel qui emprunteront le tunnel sous la Manche : le premier appartient à Eurotunnel, le second aux autres entreprises de desserte de cette nouvelle liaison.

Le matériel Eurotunnel compte trente-huit locomotives électriques, neuf navettes tourisme, huit navettes fret et cinq locomotives diesel.

Les autres entreprises de transport disposent entre autres de locomotives électriques (immatriculées Class 92 commandées aux Britanniques par la SNCF et les BR) destinées à la remorque des trains de marchandises et des trains couchettes de nuit ; de TGV Transmanche (Eurostar) qui circuleront entre Paris, Bruxelles et Londres pour le compte de la SNCF, des BR et de la SNCB, et de voitures couchettes pour les liaisons entre les villes du Continent et celles du Royaume-Uni (exploitées par European Night Services ENS).

 Locomotives électriques

Eurotunnel a commandé à GEC Alsthom trente-huit locomotives de type BBB qui remorqueront ses navettes. Le nez de ces locomotives est profilé et abrite le poste de conduite, tandis que l’arrière est droit et muni d’une porte d’accès vers les premières navettes porte-autos. S’y trouve aussi un poste de conduite de secours à des fins de manœuvres. Les six moteurs triphasés asynchrones développent une puissance de 5 600 kW, suffisante pour ébranler un train de 1 100 tonnes sur un terrain présentant une déclivité de 11 ‰, pourcentage affectant la rampe de sortie de la partie du tunnel qui se trouve sous la mer. La longueur de la locomotive atteint 20,4 m pour un poids de 130 tonnes. A remarquer les grandes roues de ces locomotives dont le diamètre mesure 1,25 m. Leur profil UIC a été remplacé par un autre, identifié P8. La vitesse maximale atteint 160 km/h.

Locomotive de type BBB Eurotunnel

Deux locomotives sont prévues, une à chaque extrémité des navettes. Le chef de train de la locomotive arrière ne participe aucunement au processus de conduite mais il dispose des appareils de contrôle et de commande des portes, des consignes de sécurité et peut voir si le train est prêt pour le départ.

Pour la remorque des trains de marchandises et des trains couchettes de nuit en territoire britannique, en provenance ou en direction du tunnel, ont été commandées conjointement par BR et la SNCF quarante-six locomotives électriques. Machines bicourant à deux bogies, elles développent une puissance de 5 000 kW (25 kV) ou de 4 000 kW (750 V) et sont capables de tracter des trains de 1 600 tonnes à une vitesse maximum de 140 km/h.

 Locomotives diesel

Bien qu’à l’origine aucune locomotive diesel n’ait été prévue pour la traversée du tunnel, cinq ont été finalement commandées au début de 1990, du même type que la série 6400 des NS. Couplables, elles sont destinées aux activités de manœuvres dans les ateliers de matériel des deux terminaux et dans les voies pour tracter les trains d’entretien et secourir les trains en détresse dans le tunnel. Elles ont ainsi subi quelques modifications. Par exemple, la table d’ordre de manœuvre des leviers a été placée en sens inverse à cause de la circulation à gauche, la climatisation de la cabine a été adaptée en fonction des températures élevées — de quelque 40° — qui y règnent. Ces locomotives sont toujours accouplées à un wagon laveur de gaz d’échappement pendant leur circulation dans le tunnel.

 Navettes

Les navettes sont accouplées en triplette, c’est-à-dire un ensemble de trois véhicules indissociables en fonctionnement normal. Chaque triplette comporte à ses extrémités un attelage automatique intégral Sharfenberg qui assure la continuité électrique haute tension 1 500 V. Le train navette se compose de deux demi-rames formées de quatre triplettes (soit 12 wagons), toutes à un ou deux niveaux et encadrées par un véhicule chargeur. Chaque extrémité du train sera attelée à une locomotive.

Les wagons sont répartis en trois catégories :

  • Les wagons à double plancher pour le transport des voitures individuelles ;
  • Les wagons a simple plancher pour les grands véhicules comme les autobus, les autos avec caravane... ;
  • Les wagons pour les camions et semi-remorques.

Par wagon et par étage, vingt-trois mètres sont disponibles pour le transport de cinq voitures de tourisme de catégorie moyenne. La hauteur maximale par étage est de 1,85 m. Les wagons à plancher unique offrent le même espace mais la hauteur maximale atteint 4,2 m. Les wagons à double plancher disposent d’un système renforcé d’épuration de l’air. Ainsi les gaz d’échappement sont-ils réduits jusqu’à 30 ppm dans les deux minutes qui suivent l’arrêt des moteurs de voiture. Un système de purge puissant purifie l’atmosphère à chaque arrêt sur le terminal.

Vue du 1er wagon qui est un wagon chargeur d’une navette tourisme

Au point de vue de l’isolation, l’ensemble de la rame est surveillée par vidéo. Des rideaux et des portes coupe-feu isolent l’incendie à son foyer d’origine et un deuxième platelage évite la montée en température de la structure ; l’intégralité mécanique du véhicule est ainsi préservée pendant trente minutes. L’ossature est tapissée de fibres céramiques pour éviter les ponts thermiques, les doubles vitrages ont une épaisseur de 35 mm. Le système de détection et d’extinction des incendies est ultra-performant : dans chaque wagon de la navette, quelque 40 km de câbles sont intégrés avec un peu plus de 15 000 raccordements électriques pour la commande et le contrôle dudit système. Toutes les données relatives aux navettes porte-autos aboutissent ensemble aux cabines des locomotives. Et c’est le chef de train de la cabine de surveillance, située dans la locomotive arrière, qui enregistre ces informations et qui commande les différents systèmes pendant l’arrêt aux terminaux.

Composition d’une navette tourisme
  • Locomotive = 20 m
  • Wagon chargeur/déchargeur = 26 m
  • Wagons porteurs = 26 m
  • Wagon chargeur/ déchargeur télescopique = 26 m

Les wagons à double plancher du type DDCA et DDCS ont une longueur de 26 m, une largeur de 4,1 m et une hauteur au-dessus du rail de 5,6 m. Ils sont les plus volumineux wagons jamais construits à ce jour.

Diagramme de composition d’une navette fret
  • Locomotive = 20 m
  • Wagon chargeur/déchargeur = 26 m
  • Wagons porteurs = 20 m
  • Wagon chargeur/déchargeur télescopique
  • Wagon pour chauffeurs routiers = 26m

Pendant le chargement et le déchargement des navettes, chaque niveau de rame forme comme un long couloir pour accélérer les opérations (huit minutes suffisent pour remplir une navette). Les navettes porte-camions ont été construites comme une cage, sans revêtement extérieur, afin d’en réduire le poids. Seul le toit est recouvert complètement. Chaque wagon peut transporter un camion de 44 t maximum, pour autant que le poids par essieu n’atteigne pas 22,5 t. Les conducteurs de camions n’effectuent pas la traversée dans leur véhicule, à l’inverse des automobilistes. Les manœuvres de chargement terminées, ils rejoignent, en minibus, un wagon qui leur est réservé juste derrière la locomotive. Cette voiture dispose de cinquante-deux places assises, de deux toilettes et d’automates pour la petite restauration. S’y trouve aussi, pour le chef de train, un compartiment équipé de toutes sortes de moniteurs, d’appareils de contrôle, de commande et de sécurité. Tous les systèmes de sécurité sont connectés entre eux et transmettent leurs signaux via un tableau de commande. Lorsque tout est en règle, le verrouillage de la locomotive est débloqué et le machiniste peut démarrer.

Dans chaque navette porte-camions, une prise multiple alimente les camions frigorifiques. Le transport de produits inflammables, corrosifs, délétères et radioactifs est interdit, ainsi que celui du bétail vivant. Remarque : les motos pourront embarquer dans les navettes porte-autos où des sièges sont mis à la disposition de leurs passagers.

 Voitures-couchettes

Dans la seconde moitié de l’année 1992, la SNCF, les BR, la DB et les NS ont commandé ensemble 139 voitures-couchettes. A cause du veto de la Commission européenne, cette livraison a pris un sérieux retard. Les 72 voitures-couchettes, 47 voitures (places assises) et 20 voitures de service ne seront pas disponibles avant 1995. Ce matériel assurera la desserte de l’Ecosse, du Pays de Galles et du sud-ouest de l’Angleterre d’un côté, et de Francfort, Cologne et Amsterdam de l’autre.

 Rames Eurostar

Le contrat pour la construction de trente rames Eurostar a été signé à Bruxelles, le 18 décembre 1989. Elles sont destinées au service international, pour la liaison via le tunnel sous la Manche des villes de Londres, Paris et Bruxelles. Utilisées en groupement, elles sont gérées par un organisme commun et sont conduites de bout en bout par un seul mécanicien. Les rames sont composées de 18 voitures et d’une voiture motrice à chaque extrémité.

Elles sont longues de 394 m. Le TGV Atlantique français a servi de modèle pour l’Eurostar, avec néanmoins quelques adaptations. La conduite de ces rames sera assurée par des conducteurs des trois réseaux. Ils devront respecter chacun les prescriptions spécifiques du pays où ils circulent. Celles-ci doivent être néanmoins compatibles entre elles car — et cela ne surprendra personne — ces rames sont complètement informatisées. L’ordinateur doit signaler tous les dérèglements de la partie technique, localiser les dommages, enregistrer et intervenir lorsque les normes autorisées sont dépassées. Un conditionnement d’air particulier protège le poste de conduite des fortes variations de la température. Ainsi, celle-ci peut atteindre 40° dans le tunnel alors qu’il gèle en surface.
Chaque rame compte 52 strapontins et 794 places : 210 en première classe dans les six voitures situées au milieu du train et 584 en deuxième classe, réparties dans dix voitures. Les sièges sont soit disposés dans le même sens (c’est le cas pour 66 places en 1re classe et 400 en seconde classe), soit face à face pour les autres. En première classe, ils sont répartis en 2 + 1 de part et d’autre du couloir, en deuxième en 2 + 2. Toutes les rames possèdent un téléphone. Deux voitures bar/buffet libre-service, situées entre les première et deuxième classes, contribuent au confort des voyageurs. Le ravitaillement est assuré par un groupement européen d’entreprises de restauration. La restauration à la place est offerte en première classe tandis qu’un service de vente ambulante dessert la deuxième classe. Celle-ci offre en outre deux espaces pour les familles, deux autres pour changer les bébés et des commodités pour les handicapés.

 Traction

La traction d’une rame s’effectue grâce à 12 moteurs d’une puissance unitaire de 1 020 kW, développant ensemble une puissance de 12 240 kW. Les moteurs de traction sont logés dans les deux bogies des voitures de traction aux extrémités des rames (avant et arrière) et sous la première voiture derrière chaque motrice. Le courant électrique nécessaire à la traction est fourni par la caténaire ou le troisième rail pour le sud de l’Angleterre, au départ de deux sous-stations situées à proximité des portails français et britanniques.

La tension varie selon les territoires traversés : 25 kV alternatif, 50 Hz pour le tunnel, une grande partie du réseau français et la future ligne belge à grande vitesse ; 3 000 V continu pour le réseau belge et 750 V continu pour la ligne Folkestone-Londres. Le passage d’une tension à l’autre est automatique.

Les navettes en détail

Rampe d’accès vers les quais d’embarquement - Coquelles



Wagon tourisme a deux étages : au centre, volet coupe-feu, encadre par deux portes d’évacuation



Navette fret : on y voit bien la succession des wagons (wagon chargeur et wagon découvert porte-camions)



Intérieur d’un wagon tourisme avec rampe d’accès vers le 1er étage



Vue du « toit » de la locomotive depuis le poste de conduite du wagon chargeur d’une navette tourisme.



Vue de l’intérieur du wagon chargeur depuis le 1er étage

 Entretien

Les rames seront entretenues selon un calendrier précis dans un des trois nouveaux ateliers construits à Londres (North Pole), Paris (Le Landy) et Bruxelles (Forest). Quotidiennement seront contrôlés tous les appareils vitaux tels que les freins, l’installation de traction, de même que le fonctionnement des appareils de secours et l’approvisionnement en énergie. Tous les neuf jours auront lieu des contrôles poussés des bogies avec leurs freins et du système de climatisation.

Tous les trois mois, les Eurostars subiront une inspection technique complète et un grand entretien.

Tous les jours, la rame subira une douche d’une dizaine de minutes ; l’eau des toilettes sera remplacée. Pendant le contrôle technique, l’intérieur sera nettoyé et le buffet approvisionné.

La maintenance du matériel roulant est prévue en rame : la plupart des équipements peuvent être déposés en rame en moins de deux heures.

Le temps d’immobilisation d’une rame et de sa locomotive, à des fins d’inspection, est estimé à 8h pour les rames de wagons touristes et 6h pour celles des poids lourds.

 Offre de service

A terme, l’offre ferroviaire concurrencera l’avion pour le temps de trajet entre les centres urbains. Le temps de parcours entre Paris et Londres est estimé à trois heures, celui entre Bruxelles et Londres à trois heures et quart et à deux heures quarante après l’ouverture en ’96 de la ligne nouvelle entre la frontière française et Bruxelles. La fréquence de circulation des navettes variera en fonction des besoins commerciaux (2,3 ou 4 départs par heure et par sens pour chaque type).

Présentation de l’entrée d’une voiture dans la navette

 Exploitation

Cinq types de trains emprunteront le tunnel :

  • Les navettes tourisme pour le transport des voitures ;
  • Les navettes fret pour le transport des camions ;
  • Les trains Eurostar Londres-Paris et Londres-Bruxelles ;
  • Les trains de nuit pour les liaisons entre Londres et Amsterdam, Londres et Francfort - Dortmund, Glasgow et Paris, Glasgow et Bruxelles, Plymouth-Swansea et Paris, Plymouth-Swansea et Bruxelles ;
  • Les trains de marchandises entre les villes britanniques et le Continent.

Les navettes circuleront quotidiennement entre 5h et 23h selon un horaire régulier. Entre Oh et 6h, chaque nuit, la vitesse des circulations sera limitée à 100 km/h dans les tunnels ferroviaires, afin de permettre la circulation des trains lents et de réaliser les travaux de maintenance des tunnels.

Un camion vient de se garer dans un wagon fret. L’agente Eurotunnel circule sur le wagon chargeur.

 Pour conclure

Eurotunnel fut un projet politique, économique et culturel à la fois. Politique parce qu’il participe à la construction européenne ; économique parce que le projet a induit des emplois et insufflé aux régions concernées un dynamisme salvateur. Culturel enfin car il inaugure l’avènement de nouvelles entreprises et de nouveaux citoyens à l’aube du 21e siècle.

 Pour la petite histoire

Sachez que le Tour de France arrivera sur le terminal français le 5 juillet prochain. Après une traversée paisible et rapide du tunnel, les cyclistes disputeront deux étapes, le 6 à Brighton, le 7 à Portsmouth !


Source : Le Rail, juin 1994