Accueil > Le Rail > Personnel > Un demi-siècle dans la même gare

Un demi-siècle dans la même gare

mardi 29 juin 2021, par Rixke

Sur la ligne 141, qui relie Baulers à Manage, à l’endroit où, sur quelques, mètres, le rail, la Samme et le canal de Charleroi sont exactement parallèles, se dresse la petite gare de Seneffe. C’est là que nous sommes allés voir Léon Wautié, ce cheminot du « mouvement » qui passa toute sa carrière dans la même gare, la gare de sa commune natale.

Léon Wautié, en effet, est né à Seneffe le 4 février 1898. Orphelin à l’âge de deux ans, il fut accueilli par son oncle, garde champêtre de la localité. Neuf ans plus tard, il entrait au service du rail, en qualité de porteur de télégrammes.

Au printemps 1913, il devenait aide-téléphoniste. A cette époque, son salaire était de 225 fr. par an, pour trois heures de prestation par jour, et ses heures supplémentaires lui rapportaient chacune 30 centimes !

Léon Wautié compléta sa formation, suivit des cours par correspondance et, le 30 avril 1919, se présenta à l’examen d’agréé, qu’il réussit très bien. Mais c’est 39 ans plus tard qu’il apprit le détail de ses résultats. Avant de nous rendre chez lui, nous avions trouvé sa copie d’examen dans son dossier, et c’est ainsi qu’il fut heureux et – pourquoi ne pas le dire ? – fier aussi, comme un jeune lauréat, en prenant connaissance des points qu’il avait obtenus : 20/20 en dictée ; 16,5/20 pour sa rédaction (il s’agissait de rédiger le constat d’un vol) ; 20/20 en géographie ; 12/20 en calcul. « C’est juste, dit-il, j’avais raté un problème. »

A la suite de ce succès, il devint agréé, toujours à Seneffe, le 26 juillet 1920. Son avenir était assuré. Moins de deux ans après, il épousait Mlle Elvire Horgnies, née elle aussi à Seneffe, et le jeune ménage vint s’installer à 150m. de la gare, rue du Général Léman, dans la maison qu’il habite toujours.

A cette époque d’après-guerre, la gare de Seneffe occupait 14 agents (1 chef de gare, 1 commis, 3 agréés, 3 gardes-bloc, 2 chargeurs, 1 garde-excentrique et 3 porteurs). Ce cadre important fut réduit au fît du temps, mais Léon Wautié garda toujours son poste. Sa vie administrative était sans histoire.

Il fallut la deuxième guerre pour la troubler quelque peu. Un jour, les barrières du passage à niveau qui coupe la route menant au château (un des plus beaux de Wallonie) restèrent trop longtemps fermées au gré de l’occupant : Herr von Falkenhausen soi-même. On s’en vint donc à la gare prendre Léon Wautié manu militari et on le conduisit devant le général. Celui-ci écouta courtoisement les explications de notre collègue et lui fit promettre de punir sévèrement le responsable. « Bien sûr, je n’en fis rien, dit Léon Wautié, mais j’avais eu chaud en allant. Quant au retour, il fut plus amusant : on me reconduisit avec les honneurs militaires. »

Léon Wautié devint commis, le 30 juin 1945, puis facteur de gare, le 1er janvier 1946. Depuis, il continua de remplir ses fonctions de dirigeant à la satisfaction de ses supérieurs. Et, après cinquante ans de service dans sa gare, il a pris une retraite bien méritée, à Seneffe, bien entendu.

Nous lui souhaitons de longs jours heureux au sein de sa famille. Sa santé est d’ailleurs excellente, comme toujours, puisqu’en un demi-siècle de service, il n’a pas eu, au total, deux mois d’absence pour maladie.


Source : Le Rail, mars 1959