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Une décoration ?
F.V.R.
mercredi 22 juin 2022, par
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En matière de décorations, on distingue deux sortes de Belges, ceux dont on dit : « Plus ils en ont, plus ils les aiment » et ceux qui déclarent : « Que voulez-vous que j’en fasse ? »

Ce sont ces derniers qui donnent le plus de tracas aux services intéressés des ministères, premièrement parce qu’ils sont les plus nombreux, deuxièmement parce que, si peu leur chaut apparemment de passer pour un triste individu plutôt que pour un serviteur de la patrie, de la société ou du prochain, il leur faut le ruban à un jour près, plutôt la veille que le lendemain. .. Et gare si on ne les a pas avertis que quelque chose est en vue et va venir !

Ceci ne vise évidemment pas les cheminots, dont chacun sait qu’ils sont des modèles à tous points de vue et qu’ils ont pour leurs multiples qualités cette modestie, pleine de charme, qui ne rougit pas de se montrer. Pour qu’on n’en oublie aucun et qu’ils puissent tous veiller à obtenir ce qui leur revient, nous donnons ci-après quelques particularités (pas toutes) sur les marques officielles de reconnaissance qu’ils peuvent acquérir par l’entremise de la Société.
Titre et étoile de « cadet du travail »
Cette distinction est accordée par l’Etat aux jeunes qui, dans leurs entreprises, se distinguent par leurs qualités extraordinaires de courage, d’initiative et de zèle, par leur sens des responsabilités, par leur volonté de perfectionnement et leur ardeur au travail.
Pour les cheminots, la « jeunesse » visée ici, ce sont ceux qui, au 1er janvier de l’année considérée, n’ont pas atteint l’âge de 30 ans pour les fonctionnaires, 28 pour les employés et les agents de maîtrise et 24 pour les ouvriers.
On a prévu :
- L’étoile d’or pour les fonctionnaires issus de l’enseignement supérieur ;
- L’étoile de vermeil pour les fonctionnaires porteurs d’un diplôme A 1 ;
- L’étoile d’argent pour les employés possédant au moins la qualification de rédacteur ou assimilé, les agents de maîtrise, les ouvriers porteurs d’un diplôme A 2 ;
- L’étoile de bronze pour les employés possédant un grade inférieur à celui de rédacteur ou assimilé, les ouvriers porteurs d’un diplôme A 3 ou d’un diplôme équivalent.
Le titre et l’étoile de « cadet du travail » sont accordés par arrêté royal. L’Institut royal des Elites du Travail avise les jeunes lauréats et remet l’insigne au cours d’une cérémonie organisée en collaboration avec la Société. De mauvaises langues prétendent que ce sont là des cérémonies amusantes. Et pourquoi – je vous le demande – ne pourrait-on pas s’y divertir aussi ?
Décoration civique pour actes de courage, de dévouement et d’humanité
Ici, chacun, même le petit porteur d’avis temporaire de quinze ans, pour autant qu’il accomplisse un acte de ce genre, peut obtenir une médaille de 3e, 2e ou de 1re classe, ou encore, quand il s’agit d’un fait particulièrement méritant, une croix de 2e ou de 1re classe. Sont mis à l’honneur les actes héroïques survenus dans les dépendances du chemin de fer et au cours desquels l’auteur s’est exposé lui-même à un danger sérieux imminent.

Les croix civiques et les médailles de 1re classe pour actes de courage et de dévouement sont décernées, chaque année, le 21 juillet, au Palais des Académies à Bruxelles, en présence de la Famille royale. Les médailles de 2e et de 3e classe sont remises aux intéressés par l’intermédiaire des administrations communales.
La Société ne veut pas être en reste. Les noms de ses agents qui se sont distingués par leur comportement héroïque figurent sur la « liste d’honneur » que la Direction P.S. publie tous les six mois. Il est, en outre, plus d’un cheminot à qui M. le Directeur général a remis une montre-bracelet en or. Mais ceci doit rester entre nous...
Et tout le monde sait qu’à la suite de certains actes de moindre importance pour lesquels on n’accorde pas de décoration, la Société peut attribuer une récompense pécuniaire.
Décoration de la fondation Carnegie
André Carnegie (un pauvre Ecossais, émigré avec ses parents en Amérique, apprenti dans une filature, porteur de télégrammes, cheminot... roi de l’acier, décédé en 1919 à l’âge de 84 ans) est le fondateur du Carnegie Hero Fund. En 1911, il étendit les bienfaits de sa fondation à la Belgique. Nous lui savons gré d’avoir noté spécialement, dans sa lettre au ministre des Affaires étrangères de l’époque, que les cheminots « se font remarquer par leur héroïsme ».
La fondation accorde une médaille (d’or, d’argent ou de bronze) avec diplôme ou un diplôme seulement. Les intérêts du fonds sont destinés à donner un appui matériel aux héros blessés en se portant au secours de leur prochain. Dans le cas où le sauveteur perd la vie lors de son acte de dévouement, la fondation peut intervenir pour aider la veuve et les orphelins.
Les médailles et les diplômes du Carnegie Hero Fund sont distribués lors d’une séance solennelle au Palais du Congrès à Bruxelles.
Décoration civique pour ancienneté de service
C’est une décoration dont l’épouse dit qu’elle est un certificat d’âge avancé, mais, à écouter les vibrations de sa voix, on sent qu’elle en pense naturellement mieux.
Elle est accordée (la décoration, bien entendu) sous quatre formes différentes : la croix de 1re et la croix de 2e classe, la médaille de 1re et la médaille de 2e classe. Jouent un rôle : les années de fidèles, bons et loyaux services et la qualification administrative.

Le manque de place (heureusement !) ne nous permet pas de citer ici tous les cas possibles. Toutefois, il faut savoir que chacun peut espérer une décoration de ce genre. Tous les services rendus à partir de l’âge de 16 ans pour une administration publique entrent en ligne de compte : services temporaires à la S.N.C.B. ; services civils à l’Etat, aux administrations provinciales et communales, même les services prestés pour le compte des entreprises privées reprises dans la suite par l’Etat.
Les périodes passées dans la section d’attente pour motif de santé, les périodes de congé accordé pour accomplir une mission confiée par le Gouvernement ou par la Société, les périodes de congé obtenu pour occuper un emploi à l’ex-Congo belge pour le compte de l’Etat ou d’un organisme exploitant des services d’utilité publique et certains services militaires comptent aussi.

Personne, c’est un fait connu, n’est plus fier d’un ruban que celui qui le porte alors qu’il ne le méritait pas, car ce ruban est une preuve de bons services. Dissipons certains malentendus en précisant que les périodes durant lesquelles on a été « mal » signalé, ainsi que les périodes de suspension disciplinaire, sont tout simplement déduites. Il en va de même du congé sans solde à long terme pour convenance personnelle.
La qualité administrative prise en considération est celle que l’agent détient au moment où il peut faire valoir 25 ou 30 ans d’ancienneté. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’un agent déclassé pour invalidité, c’est la qualification qu’il détenait avant son déclassement qui compte.
Toute plaie trouve son pansement. On a prévu, pour ceux qui s’amendent, quelque chose comme « des délais d’expiation ». Loin de refuser à quelqu’un une décoration pour l’une ou l’autre peccadille, commise à l’âge ingrat ou pendant une période où le torchon brûlait, on lui donne l’occasion de s’amender et on retarde l’octroi de la décoration pendant un certain temps (de deux à dix ans, suivant la gravité de la faute commise).
Mieux encore, tout peut être pardonné et le délai d’expiation réduit à zéro. Si le temps écoulé depuis l’infliction de la punition est le double de celui prévu pour l’expiation, si les faits n’étaient pas trop graves (ceux portant atteinte à l’honneur et à la probité sont exclus de toute clémence), si le comportement depuis la punition a été irréprochable, le ministre passe volontiers l’éponge... et la décoration arrive à temps.
Décoration dons les ordres nationaux
« Encore un certificat de grand âge ? », demandent des épouses. Cette fois, mesdames, vous vous trompez formellement : certains peuvent obtenir une décoration de ce genre alors qu’ils n’ont que 42 ans. Seules des gamines pourraient, dans leur ignorance, s’arroger le droit de trancher que cet âge est un âge de croulant.
Ce qui compte ici, ce n’est plus l’ancienneté totale de service, mais l’âge et le groupe de qualification auquel on appartient. Dans certains groupes, on doit avoir exercé sa fonction pendant deux ans ; dans d’autres, on doit compter trente ans de service. II faut toujours être signalé comme un bon agent.

Il est difficile ici aussi d’énumérer toutes les conditions d’octroi, mais, au point où nous en sommes, nous pouvons encore ajouter que trois ordres nationaux peuvent être accordés aux cheminots comme tels : l’ordre de Léopold II, l’ordre de la Couronne et, le plus haut, l’ordre de Léopold.
Dans chaque ordre, il y a des grades : par exemple, médaille d’argent, médaille d’or, palmes d’argent, palmes d’or, chevalier, officier, commandeur, grand officier... Celui qui a un grade dans un ordre ne reçoit pas un grade inférieur dans un autre ordre, ni un grade égal dans un ordre inférieur. Le grade d’officier dans un ordre est plus élevé que celui de chevalier dans un autre ordre.

C’est ainsi que, à titre d’exemple, on arrive aux décorations suivantes :
- Ceux du groupe 5 (inspecteurs techniques, inspecteurs du mouvement, secrétaires de division et assimilés) sont nommés chevaliers de l’ordre de Léopold (âge de 42 à 52 ans), officiers de l’ordre de Léopold II (âge de 52 à 62 ans), officiers de l’ordre de la Couronne (âge de 62 à 65 ans) ;
- Ceux du groupe 6 (ingénieurs, inspecteurs, chefs de bureau et assimilés) deviennent chevaliers dans l’ordre de la Couronne (âge de 52 à 62 ans), chevaliers de l’ordre de Léopold (âge de 62 à 65 ans) ;
- Ceux des groupes 7 à 11 ne sont décorés qu’à l’âge de 62 ans (dans ces cas-ci, Madame aura quand même raison) : médaille d’or de l’ordre de la Couronne pour les ouvrières et les ouvriers des grades inférieurs ; palmes d’argent de l’ordre de la Couronne pour certaines catégories d’ouvriers et les catégories inférieures de chefs ouvriers ; palmes d’or de l’ordre de la Couronne pour les autres ouvriers et pour les agents de grade inférieur à celui de rédacteur ; chevalier de l’ordre de Léopold II pour les rédacteurs, les rédacteurs sélectionnés, les contremaîtres de 2e catégorie, les infirmières, etc. ; chevalier de l’ordre de la Couronne pour les chefs de section, les sous-chefs de bureau, les contremaîtres de 1re catégorie, etc. ;
- Ceux des groupes 4 à 1 (rangs supérieurs) peuvent respectivement devenir à 42 ans : officier de l’ordre de Léopold II, officier de l’ordre de la Couronne, officier de l’ordre de Léopold et commandeur de l’ordre de Léopold II. Ils obtiennent évidemment un grade supérieur à 52 et 62 ans, moyennant deux ans de fonction dans le grade.
Que celui qui ne me comprend pas lève le doigt, car il y a encore d’autres complications.
Entre deux octrois de titre dans les ordres nationaux en faveur d’un même agent doivent s’écouler au moins cinq ans. De plus, personne ne peut recevoir plus d’un titre de 42 à 52, de 52 à 62 et de 62 à 65 ans. Les années de service à prendre en considération, les prescriptions relatives aux délais d’expiation sont à peu près les mêmes que celles, résumées ci-devant, des décorations civiques pour ancienneté de service.
Il y a toutefois des différences :
- Pour un ordre national, le grade à considérer est toujours celui que l’agent a au moment où il entre en ligne de compte ;
- Celui qui a un signalement inférieur à « bon » ne peut être proposé que lorsqu’il obtient au moins « bon » ;
- Les officiers de réserve peuvent choisir entre le règlement administratif et le règlement militaire, leur choix les liant aussi longtemps qu’ils sont inscrits dans le cadre de réserve de l’armée.
La distribution des décorations civiques pour ancienneté de service et celles des ordres nationaux se fait par les autorités compétentes de la Société. Plus il y a d’éclat, mieux cela vaut.
Décoration de 1re classe aux victimes d’accidents mortels du travail
Que ne donnerait-on pour ne devoir jamais penser à cette décoration !

La distribution d’une décoration posthume aux plus proches parents de la victime se fait par les soins du ministre du Travail et de l’Emploi, sur proposition de la Société.
Que faire ?
Le lecteur se demandera : « Que dois-je faire pour obtenir une décoration quand je l’ai méritée ? » Rien, cela se fait automatiquement, sauf erreur et omission. Il ne doit surtout pas penser que cela dépend de la couleur de sa peau ou de sa cravate. Tout cela n’a aucune importance. Et qu’il ait 35 ans de service avec prestation de nuit ou de dimanche ou 35 ans sans service de nuit ou de dimanche, en cela, on vous l’assure, tout le monde est égal devant la loi.
Encore un dernier mot.
Un Ballonien (indigène de Ballonie, contrée lointaine), qui avait bu un peu trop, se trouvait dans un café bien achalandé, au milieu d’un groupe d’admirateurs qui écoutaient ses aventures fameuses dans des pays étrangers. Au moment où notre Ballonien regardait à la dérobée de tous côtés pour renouveler son inspiration, il avisa quelqu’un, assis sagement derrière un verre.
"Vous, là, avec toutes vos décorations, cria-t-il, comment avez-vous mérité tous ces titres ?
– En n’étant pas Ballonien", répondit le décoré.
C’était un Belge.
Source : Le Rail, février 1963