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Wolsztyn, le dernier dépôt pour locomotives à vapeur (I)
P. Jacops.
mercredi 20 septembre 2023, par
« Trois ans à peine nous séparent encore du troisième millénaire. Dans toute l’Europe, les (anciennes) locomotives à vapeur sont remplacées par des locomotives Diesel ou électriques. On voit même circuler des trains qui dépassent les 250 km/h. Mais la locomotive à vapeur n’a pas été envoyée à la ferraille partout. Dans un petit dépôt situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Poznan (Pologne), quelque vingt locomotives résistent vaillamment à l’hégémonie de la traction Diesel. »

En effet, la petite localité polonaise de Wolstzyn abrite les dernières locomotives européennes à vapeur qui assurent encore un service régulier.

De plus, ce dépôt dispose également d’un certain nombre de locomotives de musée en état de marche.
Développement des chemins de fer polonais
À l’époque où on assiste à l’avènement des premiers chemins de fer en Europe, la Pologne est occupée par des puissances étrangères. L’Ouest du pays est aux mains des Prussiens, le Sud-Est administré par les Habsbourg d’Autriche et l’Est contrôlé par la Russie des Tsars. Les Polonais sont donc tributaires de ces occupants pour le développement de leurs premiers chemins de fer.
Vers 1842-43, les Prussiens lancent le mouvement en posant dans le Sud-Ouest une ligne de chemin de fer entre Breslau (actuellement Wroclaw) et Myslowice. La première partie de Wroclaw à Brzeg est inaugurée le 22 mai 1842. À Myslowice, ce chemin de fer se raccorde à la relation est-ouest que les Autrichiens construisent en 1847-48 entre Myslowice et Cracovie via Trzebinia. En 1848, les Russes achèvent une liaison entre Varsovie et la frontière méridionale de leur zone d’occupation, qui passe par Cszestochowa.
Les chemins de fer des trois puissances occupantes convergent vers Myslowice. Varsovie est alors relié à deux autres grandes villes : Wroclaw (Breslau) et Cracovie.
Toutefois, une circulation ferroviaire continue est impossible entre les lignes des Autrichiens et des Prussiens d’un côté et celles des Russes de l’autre. Les Russes ont construit leur chemin de fer en utilisant la voie large (1524 mm) en usage dans leur pays. Les Prussiens et les Autrichiens appliquent l’écartement de voie général de 1435 mm. Jusqu’en 1870, ce réseau de base est prolongé vers les capitales Saint-Pétersbourg, Berlin et Vienne. On réalise ensuite les relations Gdansk - Bydgoszcs - Kostrzyn, Breslau - Posen (Poznan), Posen - Torun - Allenstein - (Olsztyn) et Posen - Stettin (port de la Baltique). À partir de Varsovie, des relations convergent vers Danzig (Gdansk) et Lublin et via Siedlce vers Brest. La plupart de ces relations font partie du réseau principal actuel des PKP (les chemins de fer de l’État polonais). Dans la période suivante qui va de 1881 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale (1918), on construit des chemins de fer à voie normale et à voie étroite qui reliaient l’hinterland polonais au réseau principal.
Fumée et vapeur entre Oder et Vistule
Les locomotives à vapeur polonaises d’avant la seconde guerre mondiale
En Europe, c’est la Pologne qui a fait circuler le plus longtemps des locomotives à vapeur en service normal. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le réseau de chemins de fer polonais ne dispose pas de son propre matériel. En outre, une grande partie du matériel a été détruit et délaissé pendant la guerre. Fin 1918, 46 % des locomotives se trouvent hors service. L’Allemagne et l’Autriche doivent céder des locomotives à la Pologne. Mais cela n’est pas d’un grand secours, parce que leur nombre est insuffisant et que les Polonais n’héritent pas vraiment des meilleures machines.
Identité propre
Les PKP fondés en 1919 compensent la pénurie de locomotives en acquérant, à l’état neuf, les mêmes types que ceux utilisés en Autriche et en Prusse, ainsi qu’en passant commande aux usines américaines Baldwin. Au total, 667 locomotives sont commandées à l’étranger. Dans l’intervalle, la Pologne lance sa propre industrie de construction de locomotives. C’est ainsi que le gouvernement polonais s’engage entre 1922 et 1932 à acquérir une grande quantité de voitures et de wagons auprès des trois nouvelles usines de locomotives suivantes :
- Pierwsza Fabryka Loko-motyw w Polsce
(la première usine de locomotives polonaise) à Chrzanow près de Cracovie ; - H Cegielki à Poznan ;
- Warszawska SA Budowy Parowozow
(usine de locomotives Varsovie NV) à Varsovie.
La capacité de production commune s’élève à 420 locomotives par an en 1928. Les premiers projets de locomotive des PKP ressemblent encore beaucoup aux types allemands et autrichiens. Après 1925, la locomotive à vapeur polonaise acquiert son identité propre. En fait, celle-ci s’est déjà manifestée sur un autre plan : un système de numérotation typiquement polonais (voir l’encadré).
Le premier type de locomotive fabriqué sous pavillon polonais est le Tr21. Cette locomotive est dérivée d’un projet autrichien existant, à savoir la série Südbahn 580. Les premiers exemplaires sont construits pour le compte des PKP en Autriche. Tubize en fabrique également un certain nombre, mais le plus gros de la commande de 148 exemplaires est exécuté par Chrzanow.
Le projet suivant, l’Ok22, fait son apparition un an plus tard. Le châssis, les roues et le mécanisme moteur sont directement repris du PS prussien. La chaudière est plus grande et plus haute, permettant d’installer un plus grande boîte à feu. Hanomag livre les cinq premières locomotives en 1922 et Chrzanow en fabrique cent quatre-vingt-cinq exemplaires entre 1928 et 1934. Tout comme les Ok1, la plupart des Ok22 sont retirés de la circulation dans les années septante.
Seul l’Ok22-31 reste actuellement en état de marche à Wolsztyn.
Pm 36, un contemporain de nos types 12 et 1
Le chef-d’œuvre d’Anton Xiezopolski
Ce professeur occupait une chaire à l’université technique de Varsovie. Suivant une tradition bien ancrée en Europe Centrale (bien plus qu’en Europe de l’Ouest), les sociétés de chemins de fer demandaient aux grandes universités de dispenser un enseignement axé sur la pratique. C’est ainsi que Xiezopolski en vient à concevoir cette locomotive et en fait exécuter deux prototypes, dont l’un est caréné. La fabrication en est confiée en 1937 à Fablok (Chzranow) sur la base des directives du ministère des Communications. Malheureusement, ces deux prototypes ne connaissent pas de successeur. La guerre éclate alors qu’on procède justement aux mesurages d’essai.
Un Pacific léger et rapide
Les seules locomotives à vapeur PKP conçues pour des vitesses élevées du type Pacific (2C1) sont les Pm36-1 et 2 (numéros de fabrication 662 et 663).

Ces locomotives majestueuses sont équipées de roues motrices d’un diamètre de deux mètres. Elles fonctionnent avec deux cylindres à vapeur à expansion simple. La pression maximale de la chaudière s’élève à 18 bars. Les deux locomotives sont donc construites entièrement suivant les normes ferroviaires en vigueur à l’époque en Allemagne et en Europe Centrale. Pour une locomotive Pacific, la charge par essieu est très faible, à peine 17 tonnes. Cela lui permet de circuler sur tout le réseau. Avant la Seconde Guerre mondiale, la charge par essieu sur les lignes principales en Pologne ne dépasse généralement pas les 17 tonnes.
Le Pm36 est capable de tracter des trains d’un poids de 300 tonnes à 80 km/h sur un plan incliné de six pour mille ou 300 tonnes à 120 km/h (Pm36-2) sur terrain plat. Grâce à son carénage, le Pm36 parvient même à atteindre une vitesse de 140 km/h. Ces vitesses de plus de 100 km/h sont atteintes par des trains express légers qui assurent les relations entre Varsovie et les autres grandes villes. D’un point de vue historique, elle est l’une des premières locomotives conçues pour développer de telles vitesses en service normal.
Une carrosserie intéressante et carénée
Pourquoi carénée ?
Les historiens des chemins de fer considèrent les années trente comme la période cruciale pour le développement de la locomotive à vapeur. Tous les pays européens qui disposent d’ingénieurs ferroviaires hautement qualifiés, tentent de résister à l’essor de la voiture automobile. Cela consiste principalement, d’une part, à développer des automotrices légères comme le « Fliegende Hamburger » en Allemagne ou la « Bugatti » en France.
D’autre part, on étudie l’amélioration de la locomotive à vapeur classique. On finit ainsi par obtenir, en plus d’un accroissement de la puissance générale, une réduction de la résistance à l’air grâce à l’adoption du carénage.
Type 12, la locomotive à vapeur belge
En Belgique, l’ingénieur de réputation internationale Notesse avait déjà mis sur rails, en 1935, le Pacific européen, type 1, le plus lourd. Les années suivantes, Notesse développe une locomotive Atlantic carénée, dont six exemplaires sont construits comme type 12. Quatre de ces locomotives sont équipées de la distribution classique de la vapeur de Walschaerts. La 1205 est toutefois dotée d’une distribution de la vapeur expérimentale de Dabeg, tandis que la 1206 est équipée d’une distribution Caprotti. Les deux systèmes de distribution sont encore convertis avant 1950 en une distribution de la vapeur classique. En fait, Notesse a l’intention de procéder à des essais sur ces six locomotives afin de développer finalement la série standard de dix types de locomotives à vapeur (type 101 à 110). La plupart de ces projets concernent d’ailleurs des locomotives carénées dont les principes sont dérivés du type 12.
En 1939, la locomotive 1203 établit un record de vitesse « commerciale » entre Bruxelles et Ostende. Transposée à notre époque, cela correspondrait à une vitesse de 165 km/h. Notesse réussit à prouver avec ses carénages que des locomotives à vapeur peuvent tracter facilement des rames légères à 100 km/h.
La numérotation polonaise

Les Polonais utilisent ici le système le moins pratique de tous les pays européens.
- La première lettre (LETTRE CAPITALE) indique le type de train que la locomotive tracte en principe.
- O = Osobowy = omnibus ;
- P = Pospieszny = express ;
- T = Towarowy = marchandises. Si la locomotive est une locomotive-tender, cette lettre est suivie d’un K :
- K = Kusy = réservoir d’eau.
- La deuxième lettre se rapporte à une répartition des essieux :
a | 020 | m | 231 |
b | 021 | n | 132 |
c | 120 | o | 132 |
d | 220 | p | 040 |
e | 121 | s | 240 |
f | 221 | t | 141 |
g | 222 | u | 241 |
h | 030 | v | 142 |
i | 130 | w | 050 |
k | 230 | x | 051 |
l | 131 | y | 150 |
- Les deux chiffres suivants renseignent l’année de construction de la locomotive. Ceci n’est d’application que si la locomotive a été fabriquée en Pologne. Pour les autres locomotives (prussiennes, autrichiennes, allemandes, russes et américaines), on applique la numérotation suivante :
- De 1 à 10 : pour les locomotives ex-KPEV (Prusse) (Ok1), ex-DR (Deutsche Reichsbann) (Ty 2, ...) ;
- De 11 à 19 : pour les locomotives ex-autrichiennes (toutes déjà retirées du service) ;
- De 101 à 200 : pour les locomotives qui se sont ajoutées après la guerre de 14-18 (locomotives russes et hongroises) ;
- Au-delà de 201 : ces chiffres sont utilisés pour les locomotives qui ont été ajoutées après 1945 (locomotives américaines).
- Ces derniers chiffres renseignent le numéro d’ordre de la locomotive dans la série.
Exemple
Pt 47-65 = 65e locomotive d’une série destinée à des trains express (P), construite en Pologne en 1947, répartition des essieux 141 (t).
Pm36-1, la locomotive carénée polonaise
Les PKP veulent eux aussi leur « train caréné ». Le Pm36-1 est doté de ce carénage intégral. La carrosserie arrive jusqu’à 25 cm du niveau des rails à l’exception du mécanisme et des roues motrices. La locomotive est conçue de façon à assurer un contact permanent avec son tender. C’est pourquoi les portes d’accès à la cabine du machiniste sont situées à l’arrière sur le tender et non plus réparties, comme c’est l’usage, entre la locomotive et le tender. La cabine est donc complètement isolée et exclusivement accessible à partir du tender. Ce principe est également utilisé pour le Pm36-2 qui lui n’est pas caréné. Le tender est entièrement recouvert et un soufflet le relie à la première voiture du train caréné.
Le Pm36-1 a l’honneur d’être exposé avec trois voitures extrêmement luxueuses lors de l’exposition universelle à Paris. Le tout forme un ensemble caréné. Dans sa livrée bleue à rayures blanches, cette locomotive crée une véritable sensation et remporte la médaille d’or.
À cette époque, l’objectif est de développer le tourisme en Pologne, d’où l’intérêt d’un tel train. Celui-ci dispose d’une voiture-lits, d’une voiture avec bar/dancing (eh oui, déjà !). Il comporte aussi une très originale voiture-douche équipée d’une puissante chaudière, de diverses chambres et d’un salon de coiffure.
En 1939/1940, la DR renumérote le Pm36-1 en 18.601 et l’attribue au dépôt de Lodz (Russie). À partir de mai 1942, la locomotive se retrouve au dépôt de Lwow. Après la guerre, elle reste en Russie où elle est détruite en 1952. Le Pm36-2 (18.602 pendant la guerre) se trouve en 1945 dans le dépôt d’Attnang-Puchheim en Autriche. En 1947, la locomotive est restituée aux PKP et reprend son ancienne numérotation (Pm36-2).
Il est clair que si la Seconde Guerre mondiale n’avait pas éclaté, on aurait encore entendu parler beaucoup plus du Pm36 polonais.
À l’occasion du 150e anniversaire des PKP en 1995, la locomotive est sortie du musée de Varsovie, où elle se trouve depuis sa mise hors service. Les ateliers de Pilaw la remettent en état de marche. Après cette restauration en profondeur, cette locomotive prestigieuse des PKP a repris du service au dépôt de Wolsztyn. Elle est appelée depuis lors L’étoile de Wolsztyn. Les cheminots polonais nomment cette locomotive très affectueusement la Belle Hélène.

Source : Le Rail, septembre 1998