Accueil > Le Rail > Chronique du langage > Le saviez-vous ?

Le saviez-vous ?

Albert Doppagne.

mercredi 22 mars 2023, par rixke

L’écriture du français présente quelques cas surprenants d’inconséquence : un divorce curieux entre ce que l’on écrit et ce que l’on doit prononcer. Si l’on est habitué à écrire femme avec un E que l’on prononce A, c’est parce qu’il s’agit d’un terme d’usage plus que quotidien et aussi parce que ce phénomène embrasse une série de cas bien connus, notamment toute la collection des adverbes en -emment (évidemment, incidemment, etc.), d’autres cas encore dont le plus connu est sans doute solennel.

S’il s’agit de termes moins fréquents ou de séries moins étoffées, nous voyons surgir l’hésitation qui se résout le plus souvent par la prononciation qui correspond à la valeur courante de la lettre en question. Hennir et couenne sont deux exemples d’un A traditionnel qui, aujourd’hui, se prononce E. Sans doute sommes-nous habitués à prononcer un G au lieu d’un C dans second et seconder, mais déjà chez les étrangers qui n’ont pas une pratique suffisante du français, chez ceux aussi, plus nombreux qu’on ne le pense, qui accordent d’instinct la primauté à l’écrit sur la tradition orale, nous entendons, au mépris d’un horrible jeu de mots, « segond » devenir « ce con » ! Je ne plaisante pas, hélas !

Le cas le plus étonnant peut-être en ce qui concerne la prononciation du C se trouve dans le mot zinc qu’il faut prononcer, en français correct, comme s’il était écrit « zing ». Remarquons, en effet, que le dérivé est bien zingueur et non « zinqueur » comme vainqueur. Le Belge ne remarque peut-être pas cette prononciation serrée des Français parce qu’il a la détestable habitude d’assourdir les consonnes finales sonores. L’articulation relâchée est un des défauts majeurs du Belge qui parle français : dans habitude, carbonnade, promenade, salade, entraide, période, contrebande, une grande blonde, il se laisse aller à ne prononcer qu’un T final là où il devrait articuler un D bien frappé.

Même si l’orthographe de zinc était « zingue » ou « zing », le laisser-aller belge en ferait tout de même du « zinc » avec C et non avec G !

Cette tendance à négliger l’articulation des consonnes sonores finales (B comme dans robe, D comme dans code, G comme dans dague, J comme dans juge ou V comme dans veuve) entraîne une ignorance assez inattendue dans notre alphabet. Le fait est curieux et mérite d’être épinglé.

Par un hasard que je ne parviens pas à m’expliquer, le nom des lettres de notre alphabet n’a pas trouvé droit de cité dans les colonnes des dictionnaires français. Ceux-ci rivalisent de zèle pour nous informer du nom des lettres des alphabets grec, arabe, hébraïque, phénicien ou russe, mais pour notre « enne », notre « ka » ou notre « ixe », abstention généralisée : ces substantifs que nous prononçons lorsque nous devons épeler sont toujours exclus des dictionnaires. Tout au plus se bornent-ils à indiquer la prononciation figurée du nom de la lettre, sans lui accorder la dignité d’une entrée et gratifier ce mot d’une orthographe.

Pour les Français, le mal n’est peut-être pas grand, mais pour les francophones que nous sommes cela ne laisse pas d’être dommageable.

Demandez donc à votre entourage belge le nom de la dernière lettre de l’alphabet ! La réponse sera presque certainement « zette » rimant richement avec Suzette. Or, pour les Français, le nom de cette lettre est « zède » ou « zed » rimant avec aide. Force m’est de donner deux graphies puisque les dictionnaires n’ont pas daigné considérer cette appellation comme un nom commun !

Même perplexité me trouble si je dois écrire le nom de la lettre H : vais-je écrire « hache » comme j’en ai le sentiment puisque les régions qui aspirent le H le font nettement entendre en nommant la lettre et refusent toute liaison. Ceux qui considèrent, comme les Liégeois, que le H est aspiré parleront « du hache initial de hibou », tandis que l’on pourrait entendre un Parisien parler « de l’ache initial de hibou ». Les auteurs de dictionnaires ont encore du pain sur la planche !


Source : Le Rail, juillet 1987