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Le pénible travail des pionniers belges

Bart Van Der Herten (KUL).

samedi 29 avril 2023, par Rixke

Des préparatifs de l’avènement d’un réseau ferre (1830-1834)

 Les premières propositions d’Anvers et de Liège sont étudiées par le gouvernement belge

Lors de l’indépendance de la Belgique (1830), le pays était confronté à de graves problèmes sur le plan de l’infrastructure des transports.

La guerre contre les Pays-Bas et les pénibles négociations à propos des traités de paix eurent notamment comme conséquence que l’Escaut et les canaux vers les Pays-Bas et la Prusse furent fermés.

De ce fait, d’importants secteurs de l’économie belge s’en trouvèrent paralysés.

L’Etat belge fut acculé à trouver rapidement une solution. A cette même époque, des propositions furent formulées pour la première fois par les villes d’Anvers et de Liège, où les répercussions de la fermeture des canaux vers le Nord étaient le plus vivement ressenties. Ces propositions concernaient l’établissement d’une nouvelle liaison entre Anvers et le Rhin à travers tout le territoire de la Belgique.

Que cette liaison fût ferrée ou maritime n’avait aucune importance.

Le service des Ponts et Chaussées développa en 1830-1831 une série de projets, parmi lesquels celui du chemin de fer eut la préférence.

Au début, la ligne à travers la Campine fut privilégiée : pour des raisons techniques (système de freinage, faiblesse des locomotives à vapeur), les côtes ardennaises constituaient un obstacle insurmontable. Néanmoins, la Campine comme le Limbourg présentaient les inconvénients d’une faible densité de population et d’une activité économique réduite.

La rentabilité du projet s’en trouva ainsi affectée. Dès lors, un trajet plus central fut recherché.

 De l’intérêt croissant du projet

Dans l’intervalle, les membres du gouvernement avaient saisi tout l’intérêt du projet ferroviaire.

En été 1831, les ingénieurs P. Simons et G. De Ridder reçurent comme mission du gouvernement de poursuivre l’étude du dossier.

En octobre 1831, ils publièrent les résultats de leur voyage en Angleterre où la technique ferroviaire était la plus avancée. Ils proposèrent l’établissement d’un chemin de fer central via Malines, Louvain, Tirlemont, Liège et Verviers en direction d’Aix-la-Chapelle. Bruxelles et Anvers seraient reliés à cette ligne centrale.

Le choix d’un chemin de fer via Liège se justifiait amplement par la grande densité de la population et l’importante activité industrielle de la région.

Contrairement au projet initial, non seulement le commerce de transit entre Anvers et Cologne pouvait bénéficier de la nouvelle liaison mais aussi les pôles les plus importants de l’industrie et du commerce belges.

Début février 1832, une commission spécialisée délibéra au sujet des propositions de Simons et De Ridder, lesquelles furent finalement approuvées.

Ensuite, furent examinées les propositions de cession au privé des premières sections de ligne, ce qui signifiait que l’autorité abandonnait l’initiative.

 Le gouvernement rappelé à l’ordre par le parlement

A l’occasion de la discussion parlementaire sur le budget des Affaires intérieures en avril 1832, différents membres du Parlement exigèrent d’intervenir dans le dossier. Un argument important contre le procédé du gouvernement était que le pays n’avait pas été consulté. C’est pourquoi il fut proposé d’impliquer, dans le processus de décision, les instances économiques les plus importantes et les pouvoirs locaux.

 Une nouvelle orientation de l’entreprise ferroviaire sous Charles Rogier

Le 20 octobre 1832, le gouverneur de la province d’Anvers Charles Rogier fut nommé ministre des Affaires intérieures. Dans ses fonctions antérieures, il avait vraisemblablement été mêlé aux problèmes anversois du transport.

Il rouvrit le dossier, bloqué depuis le printemps 1832. Il convoqua les ingénieurs Simons et De Ridder qui avaient exécuté la plus grande partie des préliminaires et les chargea de commenter leurs résultats dans une publication.

Ce travail devait être la base d’un vaste débat public prévu pour le printemps 1833.

En mars 1833, deux documents essentiels furent publiés. Le premier parut au Moniteur belge : c’était un rapport détaillé de la Commission supérieure de l’Industrie et du Commerce. Le livre de Simons et De Ridder sortit de presse quelques jours plus tard. Les deux textes avaient plus ou moins le même contenu. En premier lieu étaient exposés les principaux avantages d’une ligne de chemin de fer centrale du point de vue de l’économie nationale. Plus loin, il ressortait des données qu’il était urgent de prendre une décision, les pays voisins consentant aussi de gros efforts qui risquaient de reléguer le port d’Anvers à l’arrière-plan.

Enfin était avancé l’argument qu’un réseau de moyens de transport devrait être construit dans l’intérêt économique du pays.

En ce qui concerne l’installation et l’exploitation d’une entreprise de chemin de fer, la politique initiale du gouvernement ne fut pas suivie : un avertissement très clair fut formulé contre l’exploitation par une société privée. Seuls les pouvoirs publics pouvaient consentir des tarifs assez bas pour des prestations de service optimales. L’Etat pourrait proposer notamment un service pour le prix de revient tandis que le privé ne chercherait que des bénéfices.

Plus tard, l’Etat aurait la possibilité de réinvestir les gains récoltés dans l’exploitation de lignes secondaires.

 Un tour de table national à propos des plans des pouvoirs publics

En mars 1833, les principales chambres de commerce et les pouvoirs locaux des grandes villes furent convoqués par le ministère des Affaires intérieures. La convocation était accompagnée des deux publications.

Trois questions leur furent posées :

a) Quelle était leur appréciation générale du projet ?

b) Qui devait exploiter l’entreprise : le secteur privé ou public ?

c) La ligne devait-elle partir d’Anvers ou d’Ostende ?

Les réactions à la première question furent globalement favorables, bien que les grosses villes flamandes trouvaient que la ligne devait partir d’Ostende pour atteindre Malines, via Bruges et Gand. La ville de Mons, craignant la concurrence du charbon liégeois, n’était pas enchantée du projet qui était bénéfique au bassin liégeois.

La réponse à la deuxième question favorisait l’Etat, suivant en cela les argumentations des documents. A nouveau, les autorités de la ville de Mons se manifestèrent sur la question de savoir si tous les citoyens imposables devaient supporter la charge financière d’un projet d’intérêt local.

 La discussion parlementaire

Le 25 juin 1833, un projet de loi parut au Moniteur belge à l’issue de la consultation générale. Les exigences flamandes furent satisfaites par la prévision d’une bifurcation vers Ostende.

Enfin, il fut finalement décidé de confier l’entreprise ferroviaire au secteur public. La commission parlementaire qui devait discuter le projet de loi, exprima son accord sur le choix d’une ligne de chemin de fer au détriment du canal, sur l’utilité publique d’un chemin de fer pour le pays, sur le trajet et sur l’exploitation par l’Etat.

La nouveauté fut l’introduction d’une nouvelle liaison avec la frontière française via le Hainaut. Ainsi la Belgique serait traversée par deux axes de circulation : d’Ostende vers la frontière prussienne par Malines et Liège, de la frontière française vers Anvers via Bruxelles et Malines.

La discussion parlementaire commença le 12 mars 1834. Si de nouveaux arguments ne furent pas développés, les débats n’en furent pas moins animés. L’aile conservatrice du parlement et les responsables hennuyers s’opposèrent à l’initiative de l’Etat. D’autres parlementaires renchérirent en avançant qu’il n’appartenait pas à l’Etat de diriger une telle entreprise. Dans un certain sens, il s’agissait ici du premier débat sur la privatisation de l’histoire parlementaire belge. Le gouvernement dut exercer toute son influence et son autorité sur les membres du parlement pour laisser survivre le projet.

Son argument principal fut que les entreprises ferroviaires étrangères menaçaient de marginaliser le port d’Anvers, lequel offrait une chance unique pour l’économie belge de s’imposer sur la scène internationale.

 Conclusion

Finalement, les chambres et le Sénat adoptèrent la première loi sur les chemins de fer ; elle fut publiée le 4 mai 1834 au Moniteur belge. Lorsque le 5 mai 1835 fut posée la première ligne de chemin de fer du continent européen entre Bruxelles et Malines, il s’était déjà écoulé des années d’études et de préparatifs. Le projet complet des deux axes centraux fut exécuté en 1843.

L’Etat belge exploitait déjà un réseau de plus de 500 km. L’aventure des chemins de fer constitua un excellent stimulant pour l’Etat belge. Ce fut son premier projet réalisé après la consolidation de la nation.

Il signifia pour la Belgique que le pays s’imposait en Europe mais aussi que son économie allait disposer dans quelques années d’une infrastructure qui, pendant les décennies suivantes se développerait.


Source : Le Rail, avril 1995