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Au loup !
Albert Doppagne.
vendredi 29 mars 2024, par
Après les proverbes, les expressions. Elles sont nombreuses, courantes et se passent facilement d’explications. Il fait un froid de loup ; j’ai une faim de loup ; il arrive à pas de loup.
Cela s’est passé entre chien et loup, c’est-à-dire que la clarté du jour ne permettait plus de distinguer un chien d’un loup. Se jeter dans la gueule du loup c’est se précipiter dans le danger.
Il est moins fréquent d’entendre dire qu’il fait noir comme dans la gueule du loup. Enfermer le loup dans la bergerie : vous concevez sans peine le résultat !
Cette expression est assez proche de donner la brebis à garder au loup. Avoir une tête de loup fait allusion à une tête hirsute, à des cheveux en grand désordre. Il est connu comme le loup blanc se dit pour être très connu et cette expression relève de la facilité avec laquelle étaient repérés les loups blancs, beaucoup plus rares que les autres.
Crier au loup c’est appeler à l’aide en face d’un danger que, souvent, on exagère. Tenir le loup par les oreilles signifie être dans un grand embarras : en effet, libérer une de ses mains correspondrait à se remettre à la merci du loup. Avoir vu le loup est une expression dont le sens a bien évolué. On a oublié qu’elle a pu signifier tout simplement être enrhumé, puis se trouver en face d’un danger important. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’avec un sujet féminin qu’on l’emploie : elle a vu le loup. Cela se dit d’une jeune fille qui a perdu sa virginité.
Rappelons encore avoir un courage de loup qui fait allusion à la fausse bravoure. D’un bâtard, on a pu dire qu’il est comme le loup, il n’a jamais vu son père.
Pour traduire l’idée de tomber de Charybde en Scylla, on a dit, plus simplement, en fuyant le loup, il a rencontré la louve. Jouer au loup c’est un jeu d’enfants. Un joueur incarne le loup, un deuxième le berger et les autres, à la queue leu leu, figurent les moutons. Le berger interroge : Loup, loup, es-tu là ? Loup, loup, que fais-tu ? et ainsi de suite jusqu’à ce que le loup avoue qu’il aiguise ses couteaux pour sacrifier les brebis, ce qui déclenche débandade et poursuite.
En Normandie, au mois de juin, avait lieu la fête du loup vert : la confrérie de Saint-Jean élisait son « maître » pour un an ; on l’appelait le loup vert. Nous laisserons de côté les variétés animales plus ou moins voisines du loup et qui ont reçu son nom.
Elles sont nombreuses et ne nous intéressent pas spécialement : loup-cervier (le lynx), loup américain, loup de prairie, loup peint (le lycaon), loup rouge, loup doré (le chacal) et même loup odorant. Des espèces de chiens lui empruntent son nom : chien-loup, loup noir. Plus curieusement, le nom du loup a servi à désigner des animaux tout à fait différents, souvent en raison de leur voracité. C’est le cas pour un poisson, le loup, autre nom du bar, pour une espèce de phoque et une sorte d’araignée.
Comme on pouvait s’y attendre, le mot loup s’est chargé d’une série considérable de sens divers. Nous n’en relèverons que les principaux car beaucoup d’entre eux sont, aujourd’hui, tout à fait oubliés. D’abord, et surtout, il désigne un individu malfaisant : un vieux loup, puis, plus simplement un homme farouche et solitaire.
On appelle loup de mer un marin particulièrement expérimenté. Cette expression tend à se faire nom composé pour désigner un maillot inspiré par celui des marins.
Un jeune loup se dit d’un jeune ambitieux qui cherche à se faire une place, qui a hâte de réussir dans la vie, et par tous les moyens.
Enfin, les extrêmes se touchent. Loup est devenu un terme affectif que l’on donne à un enfant, à un être cher : mon loup, mon petit loup, mon gros loup. Un loup, c’est aussi un demi-masque qui ne couvre que le haut du visage. Les sens techniques sont légion ; beaucoup d’entre eux n’ont plus, de nos jours, qu’une valeur historique.
Signalons simplement qu’on trouve des loups dans le vocabulaire de l’armurerie, de la marine (notamment une espèce de filet), de l’outillage, de la métallurgie, du tissage, de la broderie (les dents-de-loup), voire de la librairie et de l’orfèvrerie. Une signification générale à retenir est celle de malfaçon, de défaut, de lacune.
Elle trouverait son origine dans la trace laissée par la morsure du loup. Le mot signifie ainsi un ulcère de la peau, un défaut dans une pièce de bois, une malfaçon dans maintes activités (de là le verbe dérivé : louper un travail). En typographie, c’est une lacune dans une copie ; au théâtre c’est un manque d’enchaînement entre deux scènes. En botanique, nous connaissons la gueule-de-loup qui est le muflier, et la vesse-de-loup dont le nom savant, lycoperdon, est moins employé. Nous ne voudrions pas quitter ce domaine sans dire un mot de Romulus et Rémus qui, selon la légende, furent allaités par une louve. Plutarque, déjà, faisait remarquer qu’il était utile de s’interroger sur les sens que pouvait avoir, en latin, le mot lupa, louve.
En fait, le sens figuré de prostituée existait déjà. Fait curieux et à signaler, louve, en français, selon les meilleurs dictionnaires, présente encore ce sens. Courant mais familier pour Littré, littéraire et vieilli pour le Robert et le Larousse. Romulus et Rémus, enfants abandonnés, auraient été recueillis par une prostituée : nous sommes loin de la belle légende de la louve, femelle du loup !
Source : Le Rail, mars 1999
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