Accueil > Le Rail > Société > Gare (s) aux tags !

Gare (s) aux tags !

vendredi 5 avril 2024, par Rixke

En son temps, H. Hayen expliquait, dans ces pages, comment les gares de Luchtbal et d’Anvers-Dam avaient résolu leurs problèmes de graffiti. Aujourd’hui, l’occasion nous est donnée de revenir sur ce sujet, ô combien préoccupant, par le biais d’une étude réalisée par des chercheurs de l’Université libre de Bruxelles et de la Vrije Universiteit Brussel a l’initiative de la Fondation Roi Baudouin. Cette étude a mis en évidence la complexité du phénomène qui ne se résume pas à du vandalisme mais revêt une dimension sociale, culturelle et politique. Elle énonce dans ses conclusions des recommandations pour lutter contre ce fléau.

 Une culture jeune spécifique

Les graffiti, qui font aujourd’hui partie intégrante du décor urbain, quand ils ne sont ni érotiques ni politiques, sont une des expressions du hip-hop au même titre que le breakdance et que la musique rap. Le hip-hop est un mouvement culturel américain, le « move », qui s’est répandu en Europe et dans le reste du monde occidental dans les années ’80. Il se caractérise notamment par une synergie entre l’image, la danse, le texte et la musique. D’autre part, il s’exprime essentiellement dans la rue car là est la liberté de mouvement. Enfin, il s’oppose, du moins dans ses pamphlets et les textes de ses chansons, à la toxicomanie, à la violence, à la détention d’armes, à la corruption et à toutes les formes d’inégalité et de racisme. Le problème ne vient pas tant de ses revendications, dont on ne peut contester la légitimité, que de certaines de ses formes d’expression, en l’occurrence les graffiti.

 Les graffiti se suivent mais ne se ressemblent pas

Le terme graffiti, nom masculin pluriel, vient de l’italien et signifie rayer, entailler. Il désigne aujourd’hui toutes inscriptions ou dessins griffonnés sur les édifices et autres mobiliers urbains. Cependant, tous les graffiti n’en sont pas ! Ils portent des noms très différents selon leur degré d’aboutissement.

  • Tag : ce vocable désigne tout simplement les signatures stylisées écrites à la main ou réalisées à l’aide d’aérosols. On les aperçoit fréquemment sur les murs et les piliers des ponts. N’essayez pas de leur trouver une quelconque signification symbolique : elles n’en ont pas. Ce sont simplement leur nom ou leur pseudonyme que les tagueurs apposent dans le plus grand nombre d’endroits possible.
  • Throw-up : ce sont des tags de grande dimension, au concept très simple et d’une seule couleur.
  • Quick-piece : ce terme qualifie toute signature, plus grande et plus soignée, comportant deux ou trois couleurs. Sa qualité esthétique s’affirme par rapport aux précédentes.
  • Masterpiece : l’expression s’applique aux fresques murales multicolores et très élaborées. Elles constituent le résultat le plus abouti sur le plan artistique. Elles sont souvent le fruit d’une collaboration entre plusieurs graffeurs et leur réalisation prend généralement plusieurs jours.

Les tags sont donc toujours le premier contact du jeune avec la bombe aérosol et la première étape d’une évolution devant le mener à la réalisation de graffiti proprement dits.

Le profil du tagueur reste très imprécis. On estime leur nombre à Bruxelles entre 500 et 1000, âgés de 12 à 30 ans et circulant sur tout le territoire de la région. La plupart d’entre eux ne sont actifs que pendant deux à six mois. Ils forment des groupes ou « posses », sans structure ni territoire délimité, dont la composition sociologique est hétérogène mais où les jeunes de la classe moyenne sont très représentés.

 Des messages

Une autre révélation de cette étude est que le nombre de tagueurs guidés par le seul désir de détruire est extrêmement limité. Leur motivation principale est la recherche d’une forme de notoriété et de reconnaissance, surtout au sein de leur groupe de référence. C’est pourquoi ils privilégient tant les endroits animés et visibles pour s’exprimer. Par contre, les graffeurs recherchent, eux, des lieux plus tranquilles où ils peuvent laisser libre cours à leur imagination sans être dérangés. En s’appropriant visuellement – mais indûment – l’espace, tagueurs autant que graffeurs cherchent à exprimer leur identité propre ainsi que leur opposition à une société qu’ils perçoivent floue et fragmentée. C’est un mouvement de révolte au même titre que les punks et autres « Peace and love » des décennies précédentes.

 Et des coûts

Il n’empêche, tous ces tags et autres graffiti engendrent au sein de la société un malaise – qu’il ne faut surtout pas minimiser au même titre que le phénomène lui-même – ainsi que des coûts.

Si les transports publics et le mobilier urbain sont les plus touchés, les particuliers ne sont guère épargnés non plus.

 Des recommandations

L’étude dénonce, pour la région de Bruxelles-Capitale un manque de coordination entre les communes ainsi que l’absence de consensus politique quant aux options à suivre. De plus, si quelques expériences de peines alternatives sont tentées ici et là, elles ne s’inscrivent dans aucun cadre global. Il en résulte beaucoup de confusion et de méfiance de la part des acteurs concernés. Aussi préconise-t-elle une solution de compromis entre nettoyage, sanctions et possibilités légales de libre expression, le tout intégré dans une large campagne de sensibilisation et dans une politique globale de la ville et de la jeunesse. Elle recommande en outre :

Clarté et coordination

Il faut que tous les acteurs concernés, tant les services publics que les associations donc, connaissent clairement les options qui sont suivies et les appliquent correctement. Quitte à créer une cellule de coordination pour harmoniser les différents éléments comme la prévention, la politique de la jeunesse, etc., voire informer le grand public. Cette information expliquerait le phénomène, indiquerait les grandes lignes de la politique menée en ce domaine ainsi que les instances qui peuvent aider le citoyen désireux de supprimer un graffito. Elle permettrait en tout cas de décriminaliser cette forme d’expression, de lutter contre le sentiment d’insécurité et de renforcer la confiance dans les pouvoirs publics.

 Une approche triangulaire

Taguer étant un acte de défi envers l’autorité établie, il est évident que tout dialogue entre les antagonistes est compromis. De même, il faut éviter toute situation où ce sont les autorités répressives qui organisent elles-mêmes des projets légaux de graffiti. Ceci est source d’ambiguïté et donc de méfiance. Un intermédiaire indépendant est souhaitable pour amorcer la communication entre les deux interlocuteurs : des organisations culturelles, des mouvements de jeunesse ou des écoles constituent à cet égard des partenaires idéaux. Leur rôle serait par exemple d’organiser des manifestations hip-hop, des projets de graffiti ou des ateliers. Ils assumeraient une fonction de conseil vis-à-vis des autorités et d’information pour les tagueurs.

La légalité

Partant du principe que plus vite un tagueur en arrive à exécuter des « masterpieces », moins il y a de tags dans les rues, l’étude favorise l’attribution d’« exutoires » légaux de différents types. Il y aurait des zones de tolérance, c’est-à-dire des lieux où les tagages seraient autorisés de fait : la possibilité que certains endroits, comme les piliers de ponts, soient d’office considérés comme des zones de tolérance est à envisager sérieusement ; ensuite des murs légaux seraient officiellement reconnus et éventuellement aménagés par les pouvoirs publics pour permettre aux tagueurs de s’exercer. Il en faudrait alors en nombre suffisant ainsi que des séances d’exercice permettant aux néophytes d’apprendre à utiliser la bombe aérosol de manière plus créative.

Le nettoyage et les sanctions

Le nettoyage doit être avant tout axé sur un quartier afin d’y renforcer la qualité de la vie. Il doit être exécuté de préférence par un service spécialisé et indépendant du pouvoir local pour éviter toute confrontation directe. Le recensement des tags est, par ailleurs, vivement conseillé, ne serait-ce que pour identifier clairement les secteurs les plus problématiques. Quant aux sanctions, la conclusion est qu’une procédure à l’amiable est préférable à un procès débouchant sur une condamnation, surtout si celle-ci est assortie d’une indemnisation élevée à laquelle le jeune ne peut faire face. Il conviendrait toutefois d’analyser dans quelle mesure les peines de substitution, qui établissent un lien avec le préjudice subi par la collectivité, s’avèrent plus judicieuses.

La participation active des citoyens

En s’intéressant aux jeunes parmi eux par exemple.


Source : Le Rail, avril 1999