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Un mot, c’est chou !
Albert Doppagne.
vendredi 15 novembre 2024, par
Un seul mot va nous permettre d’illustrer à merveille la vie de la langue. Un mot courant, connu de tous : chou. Mot bien français puisqu’il vient en droite ligne du latin caulis ; au moyen âge on disait « chol » et cela nous rappelle la dualité que nous notons encore aujourd’hui pour certains termes : fol – fou, mol – mou, col – cou, sol – sou, licol – licou et, on s’en souviendra peut-être, l’adjectif que l’on avait tiré de Pompidou était pompidolien ! Ce détour linguistique pour que l’on perçoive mieux la parenté du mot français avec ses correspondants dans plusieurs familles de langues. Langues romanes : col en espagnol, cavolo en italien, chaul et caulet en occitan. Langues germaniques : kool en néerlandais, kohl en allemand, kâl en danois et en norvégien. L’anglais recourt à cabbage (apparenté à notre cabus) mais il dit cauliflower pour chou-fleur. On pourrait aller plus loin encore : kaulos en grec ancien, kaali en finnois, cuaille en irlandais...
Nous n’insisterons pas sur les nombreuses variétés de choux, ce n’est pas notre propos. Signalons simplement qu’elles s’expriment de plusieurs façons : par l’addition d’un adjectif (chou rouge, chou vert, chou pommé, chou frisé, chou cabus, chou cavalier...), par une mention d’origine (chou de Bruxelles – Littré mentionnait encore chou de Brabant –, chou d’Alsace, chou de Milan...), par le recours à une autre préposition (chou à jets, chou à grosse tête) ou encore par simple apposition (chou-fleur, chou-navet, chou-brocoli). Le nom du chou s’applique même à des espèces totalement différentes mais qui présentent quelque analogie : chou bâtard (l’arabette), chou poivré (le gouet commun), chou noir (la moutarde noire), chou des chiens (une mercuriale).
La choucroute est ainsi nommée à la suite d’une confusion phonétique : l’origine est le terme allemand Sauerkraut qui se traduit littéralement par « herbe sure », sans la moindre allusion au chou ! Une impressionnante série d’expressions mentionnant le chou doit retenir notre attention. Un bout de chou c’est un petit enfant ; une feuille de chou c’est une publication, un journal de peu de valeur, mais avoir les oreilles en feuille de chou est tout autre chose. Tête de chou se dit encore pour un homme stupide, peut-être, comme le suggérait Littré, parce que le chou a une tête et qu’il ne pense pas ; on dit aussi bête comme un chou mais cette expression cède le pas à une autre, C’est bête comme chou, pour « c’est facile, c’est enfantin », facile à comprendre ou à faire. Avec le verbe être, voici une locution dont les sens sont multiples. Être dans les choux se dit pour être en mauvaise posture, être dans l’embarras, mais aussi, en parlant d’une course de chevaux ou, plus récemment, d’un élève, pour traduire l’idée de se classer parmi les derniers. De là, le sens actuel d’échouer, en parlant de quelqu’un ou de quelque chose. On en arrive même à dire être dans les choux pour être évanoui, être dans les pommes. En Belgique, j’ai relevé assez fréquemment l’expression J’étais encore dans les choux pour dire « je n’étais pas encore né », allusion à ce folklore pour enfants qui leur fait croire qu’ils naissent « dans les choux ». Aller à travers choux s’est dit pour agir en étourdi, sans rien examiner.
Aller planter ses choux c’est se retirer à la campagne. De là, envoyer quelqu’un planter ses choux correspond à le renvoyer, à le destituer.
Faire chou blanc a vu son sens s’élargir. C’est d’abord, au jeu de quilles, ne rien abattre ; puis, ne pas réussir une affaire, manquer son but, pour finir par signifier, dans la deuxième édition du Dictionnaire de l’Académie, échouer complètement. Faire ses choux gras c’est, en général, tirer profit d’une affaire avantageuse, mais faire ses choux gras de quelque chose c’est s’en régaler, au propre comme au figuré.
Faites-en des choux, des raves : disposez de la chose comme il vous plaira. Voisine par la figure comme par le sens, cette locution oubliée : il en fait comme des choux de son jardin, il en dispose à son gré. Manger les choux par les trognons (être mort et enterré) a été remplacé, déjà chez Victor Hugo, par manger les pissenlits par la racine. L’image du trognon a survécu dans cela ne vaut pas un trognon de chou, cela ne vaut rien.
Ménager la chèvre et le chou se dit toujours pour exprimer ce que l’Académie traduit de façon moins imagée par « user d’adresse pour se conduire entre deux parties, deux adversaires, de manière à ne blesser ni l’un ni l’autre » ! S’y entendre comme à ramer les choux : les choux ne se rament pas, il s’agit donc de ne rien savoir faire. Tonner sur les choux pour dire faire plus de peur que de mal n’est plus attesté que dans quelques dictionnaires. Il a été trouvé sous un chou ou dans un chou rappelle la locution belge que nous venons de citer mais, ici, on veut dire que l’origine, la naissance de cette personne est inconnue, qu’elle est née de père inconnu. Rentrer dans le chou de quelqu’un c’est l’attaquer violemment, par des coups ou des paroles.
Aujourd’hui on emploie cette façon de dire en parlant d’une collision de véhicules. De la locution au proverbe, le pas est vite franchi mais la distinction n’est pas toujours facile. Chou pour chou : la formule initiale était Chou pour chou, Aubervilliers vaut bien Paris. Littré explique : « s’il s’agit de choux, Aubervilliers vaut Paris et, de là, chaque chose a son mérite particulier ». Il ajoute : « on dit aussi, absolument, chou pour chou, dans le même sens. Chou pour chou, cet homme-là vaut bien l’autre ». De nos jours, on perçoit une idée de réciprocité et le sens penche vers celui d’une formule à peu près équivalente à œil pour œil.
En Belgique, pour exprimer l’égalité de deux choses, nous disons C’est chou vert et vert chou. Cette formule est de chez nous, les Français recourent à une autre image : C’est blanc bonnet et bonnet blanc. Autre proverbe : Il y a chou et chou. Il semble s’opposer à Chou pour chou puisqu’il signifie que des choses de même espèce peuvent être différentes de prix et, surtout, de qualité.
Plus prosaïque mais bien oublié, celui-ci : Ce n’est pas le tout que les choux, il faut encore la graisse. Il rappelle le caractère souvent misérable, jadis, de l’alimentation chez les gens du menu peuple.
Egalement oublié, mais toujours applicable : La gelée n’est bonne que pour les choux. Enfin, une locution proverbiale qui stigmatise une personne qui étale trop ses qualités : elle fait bien valoir ses choux. Les sens du mot chou, on a déjà pu s’en rendre compte, peuvent varier d’un discours à un autre. Chou à la crème, petit chou ou, simplement, chou (que l’on relève dans pâte à chou) appartiennent au vocabulaire de la cuisine et de la pâtisserie. Un chou, c’est aussi un nœud que l’on forme avec des rubans pour représenter une figure rappelant le chou, la rosette. De la rosette on passe à un ornement de tête pour les femmes, un chou de rubans. Mon chou est une appellation affective très courante adressée à une personne que l’on aime.
Le féminin existe : ma choute. Dans la langue familière et argotique, le phénomène de polysémie, de multiplication de sens, s’accentue.
Un bout de chou, nous l’avons vu, c’est un enfant. Dans des expressions comme ne rien avoir dans le chou ou se casser le chou, il s’agit bien de la tête, mais aussi d’intelligence quand on parle d’avoir du chou. Tantôt encore, c’était le ventre dans entrer ou rentrer dans le chou. De substantif, chou devient adjectif. Un adjectif qui peut s’appliquer à une personne gentille : il est chou, soyez chou, à une chose ou à une situation charmante, c’est chou. Le mot se redouble et donne chouchou : c’est le chouchou du professeur.
Au féminin, c’est chouchoute. Chouchou sert de base au verbe chouchouter : une mère qui chouchoute trop ses enfants. On parle aussi de chouchoutage, peut-être surtout dans la langue de la pédagogie.
Un seul mot, tout simple au départ, des emplois variés, inattendus, des significations diverses, des sens métaphoriques, des locutions, des proverbes, des composés, tout cela dans les registres les plus variés de la langue, tant passés qu’actuels : en fallait-il davantage pour montrer que notre langue est bien vivante ?
Source : Le Rail, novembre 1999
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